En d’autres temps, la nouvelle aurait sonné comme un coup de tonnerre ! La publication, mercredi 12 février, par le bureau de la haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet, d’une liste de 112 entreprises commerçant dans les colonies israéliennes, a été unanimement condamnée en Israël : « Journée noire pour les droits de l’homme », pour le leader de l’opposition de centre droit Benny Gantz, et même « initiative honteuse qui rappelle les périodes noires de notre Histoire », pour le président Reuven Rivlin. Venant quinze jours après le sidérant plan de paix de Donald Trump, accordant en guise d’État palestinien un « fromage suisse » (selon l’expression de Mahmoud Abbas), cette liste, qui incite implicitement au boycott de ces entreprises, n’a pourtant pas fait beaucoup de bruit. « La majorité des entreprises ciblées sont israéliennes, y compris les grandes banques, mais cette liste n’aura qu’un impact symbolique », estime Sylvain Cypel, qui vient de publier L’État d’Israël contre les Juifs (aux éditions La Découverte). « Une liste n’a pas la portée d’une résolution, et de toute façon aucune des résolutions votées à l’ONU depuis 1967, y compris celles du Conseil de sécurité sur l’occupation des territoires et la colonisation, n’a été respectée par Israël », poursuit-il. Michelle Bachelet a en outre pris soin de préciser que la publication de cette liste ne constituait pas, et n’entendait pas constituer « un processus judiciaire ou quasi judiciaire ». Les entreprises étrangères qui commercent dans les territoires occupés ne courent aucun risque devant les tribunaux.
Aucun risque économique non plus. Fondé en 2005, le mouvement BDS (Boycott, désinvestissement et sanctions) n’a eu qu’un impact économique minuscule, très inférieur aux investissements étrangers dont bénéficient les colonies : « Même lorsque l’Union européenne intègre, dans l’accord d’association qu’elle signe en 2005 avec Israël, l’obligation pour ce pays d’indiquer la provenance des produits exportés, afin que ceux issus des colonies ne bénéficient pas de tarifs préférentiels, Israël n’en tient aucun compte », constate Sylvain Cypel.
En novembre 2018, Airbnb annonce qu’il raye de ses listings les 139 offres de locations situées dans les colonies israéliennes. La société américaine justifie sa décision en évoquant le cas d’un villageois palestinien, exproprié de ses terres, ultérieurement remises à la colonie Ofra, au nord de Ramallah, sur lesquelles a été édifié l’appartement mis en location par un colon. Après une campagne très active du gouvernement Netanyahou et de ses relais américains, Airbnb, accusé d’antisémitisme, réintègre six mois plus tard ses offres de locations.
Pour autant, estime Sylvain Cypel, si l’impact de BDS est infinitésimal, ce mouvement représente une vraie menace politique pour Israël : « L’impact de BDS sur les campus américains est indubitablement important et c’est cela qui fait peur. La moitié des militants de BDS sont de jeunes Juifs, ils viennent d’ailleurs de se regrouper à Harvard. Et même ceux qui ne soutiennent pas BDS, s’éloignent d’Israël, beaucoup voudraient juste vivre une existence juive américaine, sans subir cette pression israélienne. » L’élection de Donald Trump, ses liens avec Benyamin Netanyahou, leurs relations troubles avec les suprémacistes blancs, avec des régimes autoritaires, droitiers, voire antisémites, ont considérablement dégradé l’image d’Israël et aggravé le risque d’une « délégitimation » – c’est le terme qu’utilise le gouvernement Netanyahou.
Au point qu’il a créé, au sein d’un ministère des Affaires stratégiques, un département spécifique pour lutter contre la « menace » BDS, doté de moyens considérables. Il loue les services d’un gros cabinet d’avocats de Chicago, Sidley Austin, pour préparer des dossiers permettant d’incriminer les dirigeants de BDS. Un site web, Canary Mission, dresse des listes d’enseignants et d’étudiants « mal pensants » pour les harceler, listes qui, « si l’on se fie aux progrès croissants de BDS en milieu universitaire aux États-Unis, ne font que renforcer ce mouvement », estime Sylvain Cypel.
Dès lors, qui dégrade le plus l’image d’Israël ? Le plan Trump-Netanyahou visant à annexer une bonne partie de la Cisjordanie, ou une simple liste de 112 entreprises qui font comme si de rien n’était et développent leurs activités sur des terres occupées en toute illégalité depuis plus d’un demi-siècle ?