Bonjour,
Je m’appelle Michal R. et je suis israélienne. Je suis venue faire mes études en France il y a cinq ans et actuellement j’étudie à l’ENS.
Ce soir, je prends la parole parce que je suis en colère. Non, je ne vais pas vous parler d’Israël, ni de la Palestine, bien qu’il y ait beaucoup de choses à en dire. Je vais plutôt vous parler de la France.
Je n’arrive pas à comprendre pour quelles raisons la conférence prévue pour ce soir, et à laquelle je comptais me rendre, a été annulée.
J’ai pu examiner de près l’échange de mails pour la réservation de la salle et je dois dire que la « nature » de la conférence ne laissait pas l’ombre d’un doute (contrairement à ce qu’affirme le communiqué de la Direction daté du 17 janvier), et la Directrice s’est dite « heureuse » de pouvoir l’accueillir.
Quant au motif invoquant la « sécurité » des participant-e-s, je dois dire que je connais bien ces arguments d’autorité qui sont utilisés comme une excuse passe-partout.
Car cette conférence était prévue dans les mêmes conditions que la plupart des autres manifestations de l’Ecole qui sont toutes ouvertes au public.
Le communiqué de la Direction nous dit donc que l’annulation de la conférence n’est pas liée aux pressions du CRIF et du Ministère. Si c’est effectivement le cas, je demande à cette Direction de dénoncer publiquement l’éditorial du CRIF pour l’utilisation fallacieuse qu’il fait du nom de la Directrice de l’Ecole Mme Monique Canto-Sperber, ainsi que pour les insultes à l’égard des étudiant-e-s de l’Ecole, réduits à des « staliniens ».
Je souhaite que la liberté d’expression soit affirmée haut et fort, que l’autonomie des membres de l’Ecole soit garantie, et qu’ils puissent organiser des débats sur tous les sujets, même sur ceux qui fâchent.
Il me paraît absurde qu’en France, dans un établissement public, on n’ait pas le droit de discuter ouvertement, de débattre s’il le faut, des politiques du gouvernement israélien et, plus précisément dans le cas qui nous occupe, de l’utilisation du boycott comme arme politique légitime.
Moi, j’aurais aimé me rendre à cette conférence. Et je ne me sens pas pour autant « haïe » par les intervenant-e-s, ni remplie de « haine de soi ».
Que l’annulation de la conférence soit liée aux pressions politiques ou non, dans tous les cas il faut, et c’est urgent, s’indigner contre les organisations telles que le CRIF mais aussi l’UEJF (Union des Etudiants Juifs de France (Arielle Schwab, présidente de l’UEJF, a été en effet remerciée pour sa contribution au processus qui a conduit à l’annulation de la conférence) et l’UPJF (Union des Patrons Juifs de France) qui prônent souvent les mêmes positions.
Ces organisations s’octroient, avec le soutien des politiques français, le droit de parler au nom de tous les Israéliens et de tous les Juifs. Elles prétendent représenter les Juifs de France et avoir le monopole de décider de qui a la légitimité de parler d’Israël, qui est antisémite et qui est « à la plus extrême pointe de la haine contre Israël » (ce sont les mots employés par le CRIF pour qualifier Michel Warschawski).
Elles prennent constamment la défense d’Israël, comme si tous les Juifs devaient le faire, et elles s’étonnent et s’indignent ensuite du fait que des personnes font l’amalgame entre juif, israélien et sioniste. Ce sont eux qui le font cet amalgame, et je trouve cela extrêmement grave.
Ces groupes obtiennent du pouvoir politique en diffusant la haine et en distinguant ceux qu’ils qualifient de « bons » et de « mauvais » juifs. Mais au fond, ils ne représentent non pas les intérêts des « Juifs de France », mais ceux des gouvernements israéliens, dont les actions ont été maintes fois condamnées par la communauté internationale.
Je propose donc au CRIF de changer son nom, pour une meilleure transparence, sans même changer de sigle. Je leur propose de se rebaptiser la « Coalition des Représentants d’Israël en France ».
De même, l’Union des Etudiants Juifs de France n’est pas la voix de tous les étudiants juifs : il en est qui veulent discuter, étudier et critiquer Israël. Qui veulent participer à des débats publics et ne pas confondre le fait d’être juif avec le soutien aveugle et absolu d’Israël.
Moi, en tant qu’israélienne, j’ai la responsabilité et le devoir de parler, de raconter ce qui s’y passe et j’espère avoir le droit d’en parler librement dans le cadre de l’Ecole comme ailleurs, sans que des représentants autoproclamés ne m’empêchent de le faire.
Je vous demande donc d’autoriser ces conférences à l’Ecole, sans considérer que certaines personnes seraient plus légitimes que d’autres pour parler de ces questions certes pénibles, mais d’une urgence incontestable.
Michal R., étudiante à l’ENS (Ulm)