Paris, le 22 juin 2013
Madame Christiane Taubira
Ministre de la Justice
Garde des Sceaux
Place Vendôme
75001 Paris
Madame la Ministre,
Le 23 mai dernier puis le 13 juin, je vous envoyais deux courriers à propos de la circulaire, dite Alliot-Marie. Cette circulaire vise criminaliser les appels au boycott des produits israéliens ou produits dans les colonies israéliennes illégales en dévoyant totalement la loi de 1881 sur la liberté de la presse laquelle, en son article 28 alinéa 8, ne vise que les discriminations exercées contre une personne ou un groupe de personnes.
Mes deux courriers n’ont pas reçu la moindre réponse, ni la moindre suite en matière de demande de rendez-vous que je sollicitais de votre part suite aux promesses faites par votre précédent Conseiller diplomatique que j’ai rencontré dans votre ministère.
Venant de vous, ceci m’étonne au plus haut point.
D’autant que les procès intentés par le ministère public reprennent en raison de cette circulaire liberticide.
Je reviens de Perpignan où, de manière conjointe, le ministère public, l’association bien connue de vous dite « Avocats sans frontières », la Chambre de commerce France-Israël et le BNVCA traduisaient devant le tribunal correctionnel trois militants – Jeanne, Yamina et Bernard – qui avaient usé de leur liberté d’expression politique et appelé au boycott des produits israéliens tant que l’Etat d’Israël ne se conformera pas au droit international.
Un Etat et des produits ne sont ni une personne ni un groupe de personnes tombant sous le coup de la loi sur la presse et son article déjà cité, pas plus que sous le coup de l’article 225-1 et suivants du Code pénal ainsi que rappelé par plusieurs tribunaux dans des affaires similaires, inclus par la Cour d’appel de Paris le 24 mai 2012, soit deux jours après la Cour de cassation ne jugeant pas sur le fond.
Je suis ressorti littéralement choqué de ce tribunal correctionnel de Perpignan suite aux propos tenus par le Procureur, agissant au nom du ministère public comme il a tenu à le rappeler, demandant au tribunal de déclarer « coupables de discrimination » ces trois personnes en lien direct avec la circulaire dont il exécute les attendus frauduleux.
Vous êtes en charge d’assurer une justice égale pour tous les citoyennes et citoyens de ce pays. Vous avez souligné tout récemment que votre rôle ne pouvait se soustraire à l’envoi d’instructions permettant précisément cette égalité de traitement.
Je ne ferai pas ici la liste ici de tous les appels à boycotter qui se sont, depuis plus de 60 ans, exprimés en France et qui n’ont jamais donné lieu à la moindre poursuite dès lors qu’ils entraient bien, et sans débordement, dans le cadre de la liberté d’expression. Depuis l’Afrique du Sud en passant par l’URSS ou la Chine mais aussi l’Ukraine et le Mexique – autant de pays, pour ne parler que de ceux-là, mis à l’index par des hommes et des femmes politiques ou de simples citoyens de notre pays. L’appel au boycott de « l’année du Mexique en France » a été lancé par Madame Martine Aubry, alors première secrétaire du Parti socialiste, sans que cela, et c’est normal, ne donne suite à des poursuites du ministère public : la liberté d’expression valant plus que tout.
Alors pourquoi, et hors propos, un seul pays fait l’objet d’une dérogation ostentatoire tandis qu’il n’observe absolument aucune résolution internationale : Israël ? Pourquoi ? Et encore une fois : ce pays n’est ni une personne ni un groupe de personnes.
Comme le rappelle avec force le tribunal de Bobigny le 3 mai 2012 : « Il convient de rappeler que les textes répressifs sont d’interprétation stricte et que tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis. En outre la liberté d’expression doit demeurer le principe et les restrictions à cette liberté l’exception. Or l’article 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881 vise précisément la discrimination à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes. Dans la mesure où son existence ne suppose pas seulement une population – celle ci n’étant qu’une de ses composantes – mais aussi un territoire et un gouvernement, un État ne saurait être assimilé à un groupe de personnes. De même les biens matériels et les marchandises - bien qu’ils soient produits par des personnes – ne sauraient être assimilés à celles-ci. Par conséquent, il doit être considéré que le texte susvisé ne doit pas trouver application en cas de provocation au boycott de marchandises fabriqué dans un État quel qu’il soit » (pages 19 et 20).
Tous ces faits, et bien d’autres arguments pourraient être invoqués, prouvent qu’il y a inégalité de traitement pour les justiciables de ce pays, tous pouvant critiquer ou appeler au boycott de tout pays dans le monde sauf un seul placé au-dessus des lois : Israël.
Il est de votre devoir, Madame la Garde des sceaux, d’envoyer des instructions sur ce point pour annuler la circulaire Alliot-Marie, sans parler de celle de votre prédécesseur envoyée toutes affaires cessantes la veille de votre prise de fonction, afin d’assurer et de garantir l’égalité de traitement de tous les justiciables français.
Je vous le demande pour la troisième fois, cette fois suite à ma présence dans la salle d’audience du tribunal correctionnel de Perpignan le 20 juin dernier.
Je réitère ma demande de rendez-vous auprès de vous, alors que vous avez rencontré diverses personnes d’avis opposé.
Dans l’attente,
Je vous prie de croire, Madame la Ministre, en mon profond respect.
M. Jean-Claude Lefort
Député honoraire
Président d’honneur de l’AFPS