Photo : Les ministres d’extrême droite israéliens Itamar Ben Gvir et Bezalel Smotrich © utilisateur X
Des demandes de mandat d’arrêt contre deux ministres israéliens de premier plan, accusés d’apartheid, sont prêtes et ont été transmises à deux procureurs adjoints de la Cour pénale internationale (CPI), révèle Middle East Eye.
Si les mandats d’arrêt contre le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir et le ministre des Finances Bezalel Smotrich sont délivrés, ce sera la première fois que le crime d’apartheid sera jugé par un tribunal international.
Le procureur général de la CPI, Karim Khan, avait préparé des dossiers contre Ben Gvir et Smotrich avant de prendre congé en mai, selon de nombreuses sources au sein de la cour ayant connaissance de l’affaire.
« Ces demandes de mandats d’arrêt sont tout à fait prêtes », a déclaré une source de la CPI à MEE.
« La seule chose qui n’a pas été faite, c’est de les soumettre à la cour », a déclaré la source sous couvert d’anonymat.
MEE peut révéler que les procureurs adjoints ont le pouvoir de les soumettre aux juges d’instruction pour examen, mais certains membres de la CPI estiment que les demandes seront discrètement classées sans suite, car la cour fait face à une pression externe sans précédent.
La nouvelle administration américaine élue sous Donald Trump a sanctionné Khan en février, et celui-ci a pris un congé en mai dans le cadre d’une enquête de l’ONU sur des allégations d’inconduite sexuelle à son encontre, qu’il a niées.
En juin, les États-Unis ont sanctionné quatre autres juges de la CPI.
Parmi eux figuraient deux juges qui avaient approuvé la demande de Khan visant à obtenir des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, l’ancien ministre israélien de la Défense Yoav Gallant et trois dirigeants du Hamas en novembre dernier.
MEE a révélé au début du mois que Khan avait fait l’objet d’une série de menaces et d’avertissements de la part de personnalités éminentes, dont l’ancien ministre britannique des Affaires étrangères David Cameron, ainsi que de proches collègues et amis de la famille qui ont fait des déclarations contre lui, et que la sécurité du procureur était menacée par une équipe du Mossad à La Haye.
Khan a néanmoins déposé des demandes le 20 mai 2024, qui ont abouti à la délivrance de mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant en novembre de la même année.
« Il n’y avait plus rien à faire sur les demandes »
MEE comprend que malgré les pressions continues, l’équipe d’avocats du procureur a poursuivi son enquête sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité présumés commis par Israël en Cisjordanie occupée.
Mais avant de pouvoir déposer les demandes, Khan a pris un congé après une tentative infructueuse de le suspendre.
« Karim était prêt », a déclaré la source de la CPI à MEE.
« Il n’y avait plus rien à faire sur les requêtes. Elles n’étaient pas en cours de rédaction. Elles n’étaient pas en cours de révision. Elles étaient terminées.
Il ne restait plus qu’à suivre les procédures judiciaires pour soumettre une requête. Mais Karim n’a pas eu le temps de le faire parce que tout s’est déroulé très rapidement. Et puis il s’est retiré. »
Une déclaration de la CPI à l’époque indiquait que les adjoints de Khan poursuivraient son travail dans toutes les affaires, y compris l’enquête sur la Palestine.
Mais la question de savoir si les demandes de mandat d’arrêt contre Ben Gvir et Smotrich ont été déposées ne sera pas rendue publique, car la cour a ordonné en avril que toute nouvelle demande ne puisse être rendue publique.
Deux sources de la CPI ont déclaré à MEE que les deux procureurs adjoints, Nazhat Shameem Khan et Mame Mandiaye Niang, n’avaient pas déposé les demandes en raison de la menace de sanctions américaines.
L’avocat britannique-israélien de la CPI, Nicholas Kaufman, a déclaré en juin à la chaîne publique israélienne Kan que les sanctions américaines contre quatre juges de la CPI « visaient à encourager l’abandon des mandats d’arrêt contre le Premier ministre Netanyahu et l’ancien ministre de la Défense Gallant ».
Kaufman a ajouté : « En conséquence, la plupart des commentateurs estiment que [les sanctions contre les juges] constituent un nouvel avertissement, si je puis m’exprimer ainsi, avant les sanctions contre les procureurs adjoints qui ont désormais pris la relève de Karim Khan. »
Interrogé par MEE sur l’état d’avancement des demandes de Ben Gvir et Smotrich, et sur la question de savoir si la crainte de sanctions avait retardé leur dépôt, le bureau du procureur a déclaré : « Le bureau ne peut pas faire de commentaires sur les questions liées aux enquêtes en cours et aux accusations spécifiques qui pourraient être portées en rapport avec les situations traitées par le bureau. Cette approche est essentielle pour protéger l’intégrité des enquêtes et garantir la sécurité des victimes, des témoins et de toutes les personnes avec lesquelles le bureau interagit. »
Khan a refusé de commenter en réponse à une demande de MEE.
« Une justice retardée est une justice refusée »
Raji Sourani, avocat représentant la Palestine devant la CPI et la CIJ, a critiqué les procureurs adjoints pour leur retard dans la demande des mandats.
« Pour nous, ils sont très en retard. Qu’attendent-ils ? Ils ont tout ce qu’il faut », a-t-il déclaré à MEE. « Une justice retardée est une justice refusée. »
Une source de la CPI a déclaré craindre que l’affaire ne voie jamais le jour.
« Des mois et des mois de travail intense ont été nécessaires pour les préparer. Il s’agit de documents très sérieux qui attestent de crimes très graves.
Si les demandes concernant Ben Gvir et Smotrich disparaissent, l’occasion de poursuivre l’un des exemples les plus flagrants d’apartheid dans le monde aujourd’hui sera probablement perdue à jamais. »
Le 27 mai, le Wall Street Journal a rapporté que le procureur s’apprêtait à demander des mandats d’arrêt contre Ben Gvir et Smotrich avant de prendre congé, et que les procureurs « évaluaient » si les deux hommes avaient commis des crimes de guerre liés à leur rôle dans l’expansion des colonies.
Mais l’article ne mentionnait pas que l’apartheid était l’accusation principale portée contre les deux dirigeants israéliens, comme l’ont indiqué trois sources proches du dossier à MEE, ni que la seule étape restante pour le bureau du procureur était de soumettre les demandes.
En vertu du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, l’apartheid est un crime contre l’humanité. Il est défini comme « des actes inhumains [...] commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques d’un groupe racial sur tout autre groupe ou groupes raciaux et commis dans l’intention de maintenir ce régime ».
Israël a été accusé d’apartheid par des juristes et de nombreuses organisations de défense des droits humains, notamment Human Rights Watch, basée à New York, et B’Tselem, en Israël.
En juillet 2024, la Cour internationale de justice (CIJ), principale instance judiciaire des Nations unies, a rendu un avis juridique selon lequel l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie par Israël est illégale. Elle a également conclu que la « séparation quasi totale » des Palestiniens en Cisjordanie par Israël, notamment par l’expansion des colonies, violait ses obligations en vertu du droit international de prévenir, interdire et éradiquer toute ségrégation raciale et tout apartheid.
Le 10 juin, le Royaume-Uni, l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande et la Norvège ont sanctionné Smotrich et Ben Gvir pour « leurs incitations répétées à la violence contre les communautés palestiniennes ».
MEE a contacté le gouvernement israélien pour obtenir ses commentaires, mais n’avait pas reçu de réponse au moment de la publication.
« Ils vous détruiront »
Le mois dernier, une enquête de MEE a révélé que le 1er mai, l’avocat de la défense devant la CPI, Kaufman, avait déclaré à Khan qu’il s’était entretenu avec le conseiller juridique de Netanyahu et qu’il était « autorisé » à faire à Khan une proposition qui lui permettrait de « descendre de l’arbre ».
Il a dit à Khan de demander à la cour de reclasser les mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant comme « confidentiels », selon une note de la réunion versée au dossier de la CPI et consultée par MEE.
Cela permettrait à Israël d’accéder aux détails des allégations, ce qu’il ne pouvait pas faire à l’époque, et de les contester en privé, sans que le résultat ne soit rendu public.
Mais Kaufman a averti que s’il s’avérait que le procureur demandait d’autres mandats d’arrêt liés à la Cisjordanie ou si les mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant n’étaient pas retirés, alors « toutes les options seraient exclues ».
Selon la note, Kaufman a déclaré à Khan : « Ils vous détruiront et ils détruiront la cour. »
Le bureau de Netanyahu n’a pas répondu aux demandes de commentaires à l’époque.
En réponse aux questions de MEE, Kaufman a nié avoir menacé Khan. Il a nié avoir été autorisé à faire des propositions au nom du gouvernement israélien et a déclaré avoir partagé avec Khan son opinion personnelle sur la situation en Palestine.
Deux semaines après la réunion, Khan a démissionné pour un congé indéfini à la suite de la publication par le Wall Street Journal de nouvelles allégations d’agression sexuelle à son encontre, qu’il a niées.
Rien ne suggère un lien entre la rencontre entre Kaufman et Khan et la publication de ces accusations.
MEE a également révélé en juin que le 23 avril 2024, alors que Khan s’apprêtait à demander des mandats d’arrêt contre Netanyahu et Gallant, le ministre britannique des Affaires étrangères de l’époque, David Cameron, avait menacé le procureur lors d’un appel téléphonique de retirer le financement du Royaume-Uni à la CPI et de se retirer de la Cour si celle-ci délivrait les mandats.
Cet appel téléphonique a également été rapporté au début du mois par le journal français Le Monde.
Le ministère britannique des Affaires étrangères et Khan ont tous deux refusé de commenter cette information, tandis que Cameron n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires de MEE.
Khan a subi davantage de pressions de la part d’autres sources. Lors d’une réunion virtuelle avec des responsables de la CPI en mai 2024, le sénateur républicain américain Lindsey Graham a menacé de sanctions si Khan demandait les mandats d’arrêt.
Aujourd’hui, la CPI se trouve dans une position précaire. Beaucoup craignent que l’institution elle-même ne soit la cible de sanctions, une mesure qui paralyserait le fonctionnement de la cour.
Le mois dernier, le conseiller juridique du département d’État américain, Reed Rubinstein, a proféré une nouvelle menace à l’encontre de la cour, avertissant que « toutes les options restaient sur la table » à moins que tous les mandats d’arrêt et l’enquête sur les crimes de guerre présumés commis par Israël ne soient abandonnés.
Reste à voir si la CPI délivrera des mandats d’arrêt contre Ben Gvir et Smotrich dans ces circonstances.
Traduction : AFPS