– 2 novembre 1917 : La déclaration Balfour
– 29 novembre 1947 : Le plan de partage de l’ONU
– 14 mai 1948 : La déclaration d’indépendance d’Israël
– 30 mai 1964 : La création de l’OLP
– juin 1967 : Israël occupe la Cisjordanie et la bande de Gaza
– 16 septembre 1970 : « Septembre noir »
– 13 avril 1975 : Le début de la guerre civile libanaise
– 17 mai 1977 : La victoire du Likoud en Israël
– 17 septembre 1978 : Les accords de Camp David
– 6 juin 1982 : L’invasion du Liban par Israël
– 7 décembre 1987 : Le déclenchement de l’Intifada
– 30 octobre 1991 : La Conférence de Madrid
– 13 septembre 1993 : L’accord d’Oslo
– 4 novembre 1995 : L’assassinat d’Itzhak Rabin
– 25 juillet 2000 : L’échec de Camp David
– 11 septembre 2001 : "Notre Ben Laden c’est Arafat
– 29 mars 2002 : L’opération "Rempart"
– 14 août 2005 : Le visage unilatéral d’Ariel Sharon
– 25 janvier 2006 : Le Hamas au pouvoir
– 12 juillet 2006 : Guerre du Liban
– Conclusion
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2 novembre 1917 : La déclaration Balfour
Un an après avoir publié son livre L’État des juifs, fondement du sio-
nisme politique, Theodor Herzl avait réuni, en 1897, le premier
Congrès sioniste à Bâle, afin d’« obtenir pour le peuple juif en Palestine un
foyer reconnu publiquement et garanti juridiquement ». Puis il chercha durant
toute sa vie à obtenir des appuis internationaux. Il rencontra le sultan
turc, les ministres du tsar, le kaiser allemand, mais sa préférence allait
d’emblée à la Grande-Bretagne. Il déclara en 1904 : « Avec l’Angleterre en
guise de point de départ, nous pouvons être assurés que l’idée sioniste s’élancera plus
avant et plus haut que jamais auparavant. »
Si Theodor Herzl meurt en 1907 sans avoir obtenu le soutien public
britannique qu’il espérait, son successeur Haïm Weizmann réussit dix
ans plus tard, le 2 avril 1917 : le secrétaire au Foreign Office, Lord Arthur
James Balfour, déclare que le gouvernement de Sa Majesté « envisage
favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer national pour le peuple juif et
emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement
entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte aux droits civils et religieux
des collectivités non-juives existant en Palestine, ou aux droits et statut politiques dont
les Juifs jouissent dans tout autre pays ».
Cette « déclaration Balfour » contredit les autres engagements que
la Grande-Bretagne avait déjà pris à l’époque. D’abord la promesse
faite en 1916 au chérif Hussein, comme à Ibn Saoud, en échange de leur
participation à la guerre contre les Turcs, de« reconnaître et soutenir l’indépendance des Arabes ». Ensuite, les accords Sykes-Picot passés la même
année avec les Français, qui partagent entre les deux pays le grand
royaume soi-disant destiné aux Arabes et qui internationalisent la
Palestine, sans y prévoir d’ailleurs de Foyer national juif. Arthur
Koestler a résumé d’une très belle formule cette opération : « Une
nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième. »
Londres compte effectivement, à l’époque, sur le mouvement sioniste dans l’immédiat pour renforcer le camp allié dans la guerre contre
l’Allemagne qui s’éternise, mais surtout pour s’assurer, après guerre,
une mainmise sur le Proche-Orient. De fait la Palestine, théoriquement
internationalisée par les accords Sykes-Picot, devient en 1920 un mandat britannique. Elle représente, en effet, le carrefour stratégique de
toutes les routes de l’Orient et notamment la protection directe du
canal de Suez.
Les espoirs sionistes ne vont donc pas être déçus. Les hauts-commissaires britanniques successifs en Palestine vont couvrir la création
d’un embryon d’État juif. Entre 1917 et 1948, les Juifs passent de 10 % à
30 % de la population de la Palestine, la superficie agricole qu’ils cultivent est multipliée par trois, le nombre de leurs colonies par dix, et
leur indice de production industrielle par cinquante. L’arrivée d’Hitler
au pouvoir en Allemagne renforce considérablement l’afflux d’immigrants et de capitaux juifs en Palestine. L’Organisation sioniste signe
d’ailleurs avec les autorités nazies, dès 1933, l’accord dit Haavara qui
permet et facilite cette immigration d’hommes et de capitaux.
Mais si le calcul est bon du côté sioniste, il l’est beaucoup moins du
côté britannique. Londres a sous-estimé la résistance des Arabes. Le
mécontentement contre la trahison par les Britanniques de leurs promesses, déjà vif en 1917, grandit durant l’entre-deux guerres au fur et à
mesure de la construction du Foyer national juif, en violation de la clause
du Mandat qui protège les population non-juives, majoritaires...
D’où des révoltes de plus en plus massives et de plus en plus violentes, suivies chaque fois d’une commission d’enquête et de livres
blancs d’une Grande-Bretagne soucieuse de ne pas miner son pouvoir
en Palestine et donc au Moyen-Orient en général. Des premiers heurts
graves ont lieu en mai 1921, suivis d’un premier Livre blanc en 1922. Les
incidents plus graves de 1929 sont suivis d’un nouveau Livre blanc en
1930. En 1936 éclate une véritable grève insurrectionnelle palestinienne, qui dure près de trois ans. Après l’avoir réprimée sauvagement
avec l’aide des milices juives, Londres tente de tirer les leçons politiques de ce qui s’est passé.
Le coup d’essai rate : la commission conduite par Lord Peel - qui
propose, en 1937 déjà, le partage de la Palestine, mais aussi un « transfert » des populations arabes vivant dans la partie allouée au futur État
juif - se heurte au refus de toutes les parties prenantes, aussi bien
juives que palestiniennes. En fait le Livre blanc du 17 mai 1939 pour
enregistrer un véritable tournant de la politique britannique. Il prévoit,
lui, des mesures draconiennes :
– limitation de l’immigration juive à 75 000 personnes pendant cinq
ans, après quoi toute immigration suivante sera soumise au consen-
tement arabe ;
– interdiction de l’achat de terres par le mouvement sioniste dans
l’essentiel du pays et réduction drastique ailleurs ;
Bref, la Palestine, vouée à l’indépendance dans les dix ans, serait
certaine de rester majoritairement arabe.
Pourquoi ce retournement britannique ? L’intérêt supérieur du
Royaume-Uni est en jeu : le conflit entre Juifs et Arabes en Palestine
atteint une telle acuité que les dirigeants des pays arabes voisins
menacent Londres de renverser leurs alliances, c’est-à-dire de
répondre aux avances de l’Allemagne nazie. Cette pression est d’au-
tant plus efficace que Londres, comme Paris, s’inquiète de la montée
en puissance de l’Allemagne hitlérienne, très active dans la région.
D’où une rupture durable entre Londres et le mouvement sioniste. Le
Livre blanc s’appliquera jusqu’au retrait britannique, le 14 mai 1948. Et l’al-
lié d’hier - le mouvement sioniste - ira jusqu’à l’action terroriste pour
forcer Londres à abandonner dans un premier temps cette politique, puis
dans un second temps son Mandat lui-même sur la Palestine.
29 NOVEMBRE 1947 : Le plan de partage de l’ONU
La Seconde Guerre mondiale marque un véritable tournant dans le
conflit israélo-palestinien. Jusque-là, l’idée sioniste restait minoritaire,
y compris parmi les juifs largement intégrés dans les différents pays où
ils vivaient, en particulier en Europe. Le génocide change tout :
– concrètement, des centaines de milliers de juifs survivants du
génocide ne peuvent pas ou ne veulent pas rentrer dans leur pays
d’origine et se voient refuser toute immigration souhaitée vers les
États-Unis. Le mouvement sioniste en profite pour organiser une
immigration « illégale » vers la Palestine ;
– idéologiquement, l’extermination de six millions de juifs donne une
légitimation tragique au combat des sionistes pour un État juif,
notamment aux yeux des consciences occidentales travaillées par
un sentiment - justifié - de culpabilité. Dès le congrès sioniste
de Baltimore, aux États-Unis, en 1942, qui fixe explicitement l’objectif de l’État juif, David Ben Gourion lance : « Qui veut et peut garantir que ce qui nous est arrivé en Europe ne se reproduira pas ? [...] Il n’y a
qu’une sauvegarde : une patrie et un État. » On imagine la force de l’argument en 1945 après la découverte de la Shoah...
Or l’opinion occidentale ignore tout des Palestiniens, lesquels ne
font pas grand chose pour s’en faire comprendre : les dirigeants arabes
palestiniens, en tête le grand mufti (de retour de Berlin où il a supervisé pendant deux ans les divisions SS musulmanes), boycotteront les
commissions d’enquête internationales, en premier lieu l’Unscop qui
séjourne en Palestine durant l’été 1947.
Londres a passé la main sous les pressions conjuguées à la fois du
mouvement sioniste et de la Maison-Blanche, très sensible à l’argumentation de celui-ci - sans oublier l’opinion britannique elle-même
qui veut sortir du bourbier. Les deux autres grandes puissances -
l’URSS et les États-Unis - prônent le partage, avec la volonté d’utiliser
la Palestine comme un levier pour mettre fin à la domination britannique
sur le Proche-Orient. Rien d’étonnant dès lors si, le 29 novembre 1947,
l’Assemblée générale des Nations unies, à la majorité requise des
deux tiers, adopte la résolution 181 :
– un État juif sur 56 % de la Palestine - dont les juifs représentent à
l’époque 32 % de la population et ne détiennent que 7 % des terres ;
– un État arabe sur les 44 % restants ;
– un régime de tutelle internationale pour Jérusalem et les Lieux
saints (« corpus separatum »).
La guerre civile commence le jour même de la décision des Nations
unies. Six mois plus tard, les forces juives, financées par les États-Unis et
armées par l’URSS via Prague, se sont emparées de la plupart des villes
arabes et ont déjà chassé le 14 mai 1948 près de quatre cent mille
Palestiniens du territoire prévu pour l’État juif. Le Plan de partage est
déjà mort lorsque Israël proclame son indépendance.
14 MAI 1948 : La déclaration d’indépendance d’Israël
La déclaration d’indépendance d’Israël constitue un tournant
majeur de la première guerre israélo-arabe :
– côté israélien, car le texte de la déclaration oublie délibérément qu’un
second État a été prévu par l’ONU dans le plan de partage : « En
vertu du droit naturel et historique du peuple juif, et de la résolution des Nations
unies, dit le texte, nous proclamons par le présent acte la création de l’État juif
de Palestine qui prendra le nom d’Israël. » Contrairement à tous les
usages, cette déclaration ne définit pas les frontières du nouvel
État. Bref, on mesure là que les dirigeants sionistes veulent, en fait,
au-delà de que que l’ONU a prévu, l’État juif le plus grand possible
et le plus « homogène » possible.
– côté arabe, car la déclaration d’indépendance d’Israël est immédiate-
ment suivie par l’intervention des armées des États arabes voisins,
officiellement pour empêcher la naissance de l’État juif. En fait, les
historiens le confirment, le roi Abdallah de Jordanie veut s’emparer
du territoire prévu pour l’État arabe, et les autres pays arabes
entendent l’en empêcher. Aucun de ces pays ne souhaite une
Palestine arabe indépendante.
Entre le 15 mai 1948, date de l’entrée des troupes arabes en Pales-
tine, et le 10 mars 1949, date de la dernière bataille de la guerre (prise
d’Umm Rashrash, future Eilat), une alternance de combats et de trêves
débouche pour les Palestiniens sur la Nakba, c’est-à-dire la « catas-
trophe ». Le bilan de la première guerre israélo-palestinienne, puis
israélo-arabe, est le suivant : Israël a augmenté d’un tiers la superficie
prévue pour lui par les Nations unies, il se répartit ce qui reste de
l’État arabe avec la Transjordanie, qui annexe la Cisjordanie et l’Égypte,
qui obtient la tutelle de Gaza. Et dans cette période huit cent mille
Palestiniens ont pris les chemins de l’exil.
Longtemps, cette guerre a été racontée par ses vainqueurs. Le récit
israélien a dominé. Mais tout a changé dans les années 1980, avec l’apparition des « nouveaux historiens » israéliens qui ont trouvé dans les
archives israéliennes de quoi ébranler trois mythes fondamentaux :
– Premièrement celui d’une menace mortelle qui aurait pesé sur Israël à
l’époque : contrairement à l’image d’un frêle État juif à peine né et
déjà confronté aux redoutables armées d’un puissant monde arabe,
les « nouveaux historiens » établissent la supériorité croissante des
forces israéliennes (en effectifs, armement, entraînement, coordination, motivation...), à la seule exception de la courte période allant du
15 mai au 11 juin 1948. De surcroît, l’accord tacite passé entre Golda
Meïr et le roi Abdallah, le 17 novembre 1947, bouleversait la situation
stratégique : la Légion arabe, seule armée arabe digne de nom, s’engageait à ne pas franchir les frontières du territoire alloué à l’État juif
en échange de la possibilité d’annexer celui prévu pour l’État arabe.
Abdallah tiendra sa promesse. Et, de fait, le partage du 17 novembre
se substituera à la fin de la guerre à celui du 29 novembre...
– Le deuxième mythe concerne l’exode des Palestiniens. Selon la thèse
traditionnelle, ceux-ci ont fui à l’appel des dirigeants palestiniens et
arabes. Or les « nouveaux historiens » n’ont pas trouvé la moindre
trace d’un tel appel, ni par écrit, ni par radio. En revanche, de nombreux documents attestent, sinon d’un plan d’expulsion global, en
tout cas de pratiques d’expulsion généralisées, notamment suite à
des massacres comme celui de Deir Yassin. Le premier bilan de l’expulsion est dressé par les Services de renseignements de la Hagana
en date du 30 juin 1948 et il porte sur la première période (judéopalestinienne) de la guerre : il estime que 73 % des 391 000 départs
recensés ont été directement provoqués par les Israéliens. Durant
la seconde période (israélo-arabe), une volonté d’expulsion ne fait
plus le moindre doute avec le symbole de l’opération de Lydda et
Ramlah, d’où, le 12 juillet 1948, 70 000 civils sont évacués militairement (près de 10 % du total !), sous la conduite d’Itzhak Rabin et
avec le feu vert du Premier ministre Ben Gourion.
– Le troisième mythe concerne la volonté de paix d’Israël au moment
des négociations de 1949. Dans une première phase, Tel-Aviv a
effectivement fait une ouverture : le 12 mai, sa délégation ratifie,
avec celles des États arabes, un protocole réaffirmant à la fois le
plan de partage de l’ONU et la résolution 194 de l’Assemblée géné-
rale des Nations unies du 11 décembre 1948. En clair, cela signifie
qu’Israël reconnaît le droit à l’existence d’un État arabe en Palestine
et le droit au retour des réfugiés, mais aussi que les Arabes recon-
naissent le droit à l’existence d’un État juif en Palestine. Mais, ce
même 12 mai, l’État juif est admis à l’ONU. Dès lors, confiera Walter
Eytan, codirecteur général du ministère israélien des Affaires étran-
gères, « mon principal objectif était de commencer à saper le protocole du
12 mai, que nous avions été contraints de signer dans le cadre de notre bataille
pour être admis aux Nations unies ». De fait, la conférence de Lausanne
finira dans une impasse. Israël s’oppose à tout retour des réfugiés
palestiniens. Et pour cause : la loi dite « propriétés abandonnées » lui
permet de mettre la main sur les biens arabes. Selon un rapport
officiel, le jeune État a ainsi récupéré trois cent mille hectares de
terres ; plus de quatre cents villes et villages arabes disparaîtront
ou deviendront juifs.
Tout se passe comme si les fondateurs d’Israël ont cru pouvoir effa-
cer le peuple palestinien d’un coup de gomme. Les quinze années qui
suivent semblent donner raison à ceux qui rêvent d’une assimilation des
Palestiniens dans les pays arabes. Faute d’une organisation représenta-
tive, ils disparaissent même de la scène politique. Mais l’apparition de
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) va changer la donne.
30 MAI 1964 : La création de l’OLP
La naissance de l’OLP sous l’égide égyptienne résulte d’une déci-
sion de la Ligue arabe. Mais elle exprime aussi la nécessité pour ces
régimes de tenir compte de la réalité palestinienne nouvelle, et en
premier lieu, de la formation en exil d’une élite palestinienne de très
haut niveau culturel et politique.
Bien plus qu’Ahmed Choukeyri, placé à la tête de l’OLP par Nasser,
Yasser Arafat symbolise la nouvelle génération palestinienne : jeune
ingénieur, plus radical et plus indépendant des pays arabes, président
de l’Union des étudiants palestiniens de 1952 à 1956, il a créé avec ses
amis au Koweït, en 1959, le mouvement Fatah.
Dix ans après sa fondation, ce dernier deviendra le principal courant de l’OLP et en prendra la direction. Cette marche vers le pouvoir
a aussi permis l’évolution stratégique de l’OLP en plusieurs étapes :
– 1er janvier 1965, la branche militaire du Fatah effectue sa première
opération en Israël. Ce modèle du combattant, le Fedaï, mobilise
largement la jeunesse palestinienne.
– 1967, la défaite arabe au cours de la guerre des Six Jours radicalise
l’OLP.
– 22 mars 1968, au lendemain de la bataille presque légendaire de
Karameh (en Jordanie), les organisations de fedayin intègrent l’OLP
qui adopte sa « Charte nationale ».
– 4 février 1969, Yasser Arafat devient président du Comité exécutif de
l’Organisation de libération de la Palestine.
Cet événement marque la victoire de la stratégie de la lutte populaire armée. Mais cette ligne se heurtera, comme on le verra, aux événements dans lesquels l’OLP sera entraînée, souvent contre sa volonté, en
Jordanie puis au Liban. D’où la nécessité d’adapter son orientation.
Sans entrer dans les détails, on peut résumer le long débat interne
au sein de l’OLP en le qualifiant de lutte entre « jusqu’au-boutistes »
et « réalistes » :
– dans un premier temps, suite au revers subi en Jordanie, l’OLP se
lance - sous couvert de l’organisation « Septembre noir » - dans
une stratégie terroriste ;
– dans un deuxième temps, après la guerre d’octobre 1973, elle accumule plusieurs succès qui vont mettre fin au recours aux attentats et
renforcer en son sein le courant politique : la reconnaissance de l’OLP comme « seul représentant du peuple palestinien » par le sommet
arabe de Rabat en 1973 et l’invitation de Yasser Arafat à l’Assem-
blée générale des Nations unies en 1974 sont des grandes victoires
pour les « réalistes » ;
– d’où, dans un troisième temps, une évolution accélérée qui va voir
l’OLP passer du mot d’ordre de « Palestine laïque et démocratique » -
qui implique la destruction de l’État d’Israël - à celui de construc-
tion d’un État « sur toute partie libérée de la Palestine » - qui admet, de
fait, l’existence d’Israël. Malgré le front du refus, constitué par le
Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) et quelques
autres organisations, l’objectif d’une coexistence entre deux États
s’impose entre 1974 et 1977.
Mais revenons auparavant au grand tournant du conflit Proche-Orient.
JUIN 1967 : Israël occupe la Cisjordanie et la bande de Gaza
La troisième guerre israélo-arabe - dite guerre des Six Jours -
constitue une étape décisive. Jusqu’en 1967, Israël occupe plus que le
territoire prévu par l’ONU, mais le reste de la Palestine demeure dans
des mains arabes. La Jordanie et l’Égypte n’ont d’ailleurs jamais profité
de la situation pour créer un État palestinien en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza. Le 12 juin 1967 introduit un changement radical : l’État
juif, qui vient de s’emparer - outre le Sinaï et le Golan - de Jérusalem-
Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, occupe ainsi la totalité de
la Palestine. Il détient désormais seul la clef du problème palestinien.
Au début, le gouvernement et les diplomates israéliens présentent
les Territoires occupés en 1967 comme une carte qu’ils sont prêts à
jouer dans des négociations : conformément à la résolution 242, adop-
tée par le Conseil de sécurité de l’ONU le 22 novembre 1967, il s’agit
d’échanger la Cisjordanie et Gaza contre la paix. Cette promesse de
négociation n’est pas vérifiable, puisque les États arabes réunis à
Khartoum refusent toute négociation.
En même temps, Israël annexe dès juillet 1967 Jérusalem-Est et
proclame la ville « réunifiée » capitale d’Israël. Cette décision, comme
celle de 1949 de faire de Jérusalem-Ouest sa capitale, viole toutes les
résolutions de l’ONU : la résolution 181 du plan de partage de 1947
prévoyant un « corpus separatum », les textes des armistices de 1949, la
résolution du 19 décembre 1949 qui réaffirmait l’internationalisation de
Jérusalem, sans oublier la résolution 242.
Mais surtout la volonté de colonisation des Territoires occupés s’af-
firme. Dès juillet 1967, de premières colonies y sont établies et le vice-
Premier ministre israélien Allon présente un plan portant son nom qui
prévoit l’annexion de près d’un tiers de la Cisjordanie et la multiplication
des colonies dites de « sécurité », en particulier dans la vallée du Jourdain.
Toutefois, dix ans plus tard, le nombre total de colons n’est que de cinq
mille, contre plus de deux cent mille aujourd’hui (sans compter les deux
cent mille habitants juifs de Jérusalem-Est).
Par ailleurs, l’occupation des Territoires à partir de 1967 en refait le
centre du combat palestinien. Cette tendance est soulignée à la fois :
– positivement, par la montée de la puissance de la résistance « de l’in-
térieur » - de l’insurrection de 1981 jusqu’à la première Intifada,
née fin 1987 ;
– négativement, par les échecs subis par l’OLP en Jordanie et au Liban.
16 SEPTEMBRE 1970 : « Septembre noir »
Après la guerre des Six Jours, l’OLP considère que la Jordanie consti-
tue sa base arrière numéro un pour mener la lutte armée contre Israël.
Cette stratégie pose de graves problèmes au régime hachémite :
– à court terme, le pays subit durement des représailles israéliennes
après chaque opération des fedayin ;
– à plus long terme, le développement d’un contre-pouvoir palestinien
sape l’autorité du roi Hussein et gêne ses tentatives de règlement ;
Mais l’essentiel est ailleurs : le « petit roi » sait que son trône est
d’autant plus fragile que la majorité de la population est palestinien-
ne. Hussein veut donc « récupérer » la Cisjordanie par un accord avec
Israël pour réunifier les deux rives, comme son grand-père Abdallah
l’avait fait. Il redoute la tentation de transformer la Jordanie en État
palestinien propre à la droite israélienne et aux organisations les plus
radicales de l’OLP. Ces dernières sont à l’origine de la crise de 1970-1971
en Jordanie : pour elles, « la route de Jérusalem passe par Amman ». D’où la
provocation du 7 septembre 1970, lorsque des hommes de George
Habache détournent trois avions occidentaux sur Zarka et les font
exploser. Le roi Hussein saisit l’occasion et lance son armée contre les
fedayin le 16 septembre 1970.
L’aviation et les chars syriens menacent d’intervenir aux côtés de
l’OLP. Mais la pression d’Israël - prêt à intervenir si le trône est en dan-
ger - et du secrétaire d’État américain Henry Kissinger - qui couvre
l’éventuelle entrée en lice de l’État juif - suffisent à Hafez Al-Assad
pour refuser de fournir une couverture aérienne aux blindés syriens
entrés en Jordanie. Les Palestiniens sont écrasés par l’armée hachémi-
te. Les combats, qui se terminent le 27 septembre, font des milliers de
victimes - dont Gamal Abdel Nasser qui meurt d’une crise cardiaque
après avoir obtenu un cessez-le-feu entre la Jordanie et l’OLP.
C’est « Septembre noir », marqué par des massacres massifs non
seulement de fedayin mais aussi de civils dans les camps palestiniens.
Un an plus tard, l’OLP a été complètement expulsée de Jordanie.
13 AVRIL 1975 : Le début de la guerre civile libanaise
Le piège libanais va se refermer sur l’OLP selon le même schéma
que le piège jordanien :
– après son expulsion de Jordanie, le Liban devient la seule base
arrière de l’OLP à proximité d’Israël ;
– les opérations des commandos palestiniens contre l’État juif entraînent des représailles dont la population libanaise est aussi victime ;
– les dirigeants libanais sont de plus en plus inquiets de voir les Palestiniens constituer un État dans l’État, avec des camps de réfugiés, des
milices, des quasi-ministères, des services d’aide sociale, etc.
La présence palestinienne, légalisée par les accords du Caire en
novembre 1969, est d’autant plus mal vécue qu’elle bouscule l’équilibre déjà précaire du Liban, dont le système économique, social, politique et institutionnel, hérité du Pacte national de 1943, repose sur
l’hégémonie des chrétiens maronites et l’alliance de ceux-ci avec l’élite sunnite, elle-même dominante parmi les musulmans.
Or l’évolution démographique a bouleversé ce schéma : la majorité
est musulmane et non plus chrétienne et, parmi les musulmans, chiite
et non plus sunnite. La construction libanaise doit donc être réformée
pour tenir compte des réalités. Mais les élites ne sont pas prêtes à
renoncer à leurs avantages économiques et politiques. Au lieu de
négocier la transformation du système, elles s’arc-boutent sur leurs privilèges au risque d’un affrontement avec les forces réformatrices,
regroupées au sein du Mouvement national. Ce dernier, quant à lui,
cherche à créer le rapport de forces le plus favorable possible pour
obtenir la laïcisation de l’État : il fait donc tout pour entraîner les fedayin
à ses côtés dans cette bataille. Si la direction de l’OLP est consciente
du danger, le FPLP et le FDLP foncent tête baissée dans le piège qui
leur est tendu. Les Phalangistes en appellent à la Syrie, qui intervient
le 1er juin 1976, écrase le Mouvement national et les Palestiniens, avant
de se retourner contre ceux qui l’avaient appelée. Les troupes de
Damas sont d’ailleurs toujours là, vingt-six ans après...
On n’a pas le temps de faire ici l’histoire de la guerre civile libanaise. La fusillade dont un bus palestinien est victime dans le faubourg
d’Aïn Al Remmaneh, le 13 avril 1975, marque le début de quinze
années de combats sanglants, dont les Palestiniens sont parmi les premières victimes, du massacre de Tall Al Zaatar pendant l’été 1976 par
les Syriens et des Phalangistes, à celui de Sabra et Chatila en 1982 par
les milices chrétiennes sous les yeux d’Ariel Sharon...
17 MAI 1977 : La victoire du Likoud en Israël
On a parfois la tentation de considérer le Parti travailliste et le
Likoud comme « blanc bonnet et bonnet blanc ». Comme toutes les formules
simplistes, celle-ci n’aide pas à comprendre. Ainsi la victoire de la droi-
te et de l’extrême droite en 1977, pour la première fois dans l’histoire
d’Israël, marque un tournant redoutable pour les Palestiniens.
Certes, le Parti travailliste est l’héritier de la ligne nationaliste de
David Ben Gourion. À partir de 1967 notamment, il assume l’occupation
et la colonisation de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza - comme celles du Golan. Mais Menahem Begin, après la victoi-
re du Likoud aux élections législatives le 17 mai 1977, radicalise tous
azimuts la politique du gouvernement travailliste :
– il intensifie la colonisation dans tous les Territoires occupés - et
plus seulement dans les « zones de sécurité ». Lors de l’arrivée au
pouvoir de Itzhak Rabin, quinze ans plus tard, on compte
110 000 colons en Cisjordanie, 120 000 à Jérusalem-Est, 4 000 à Gaza,
12 000 dans le Golan ;
– le chef du Likoud multiplie les opérations militaires ou répressives
contre la Résistance palestinienne, depuis la première intervention
massive au Sud-Liban en 1978 jusqu’à l’invasion totale du Liban
en 1982, en passant par la répression extrêmement violente de l’in-
surrection des Territoires occupés de mai 1981 ;
– car le projet de Menahem Begin va bien au-delà de ceux de ses
prédécesseurs : il affirme clairement sa volonté de réaliser Eretz
Israël - le Grand Israël.
Le gouvernement du Likoud est d’autant plus inquiétant, qu’il sait
conjuguer une plus grande fermeté sur les principes et une plus gran-
de souplesse quant à la tactique. Le meilleur exemple est celui des
négociations entre Israël et l’Égypte, sous l’égide des États-Unis, à
Camp David.
17 SEPTEMBRE 1978 : Les accords de Camp David
Le 19 novembre 1977, Sadate effectue une visite surprise à
Jérusalem. Le raïs égyptien estime avoir remporté une victoire psy-
chologique suffisante lors de la première phase de la guerre du
Kippour, en octobre 1973, pour rechercher avec Israël la paix dont son
pays a besoin.
Pendant un temps pris à contre-pied, Begin se ressaisit et exploite
à fond le désir de Sadate et du président Carter d’aboutir à un accord
rapide. Sachant que les questions de l’arrêt de la colonisation, du
retrait israélien de la Cisjordanie et de Gaza et de l’autodétermination
des Palestiniens sont les plus difficiles pour lui, il focalise les négocia-
tions sur... ce qui n’est pas négociable : le retrait évident d’Israël du
Sinaï et la normalisation, évidente en cas d’accord de paix, des rela-
tions égypto-israéliennes. Il obtient ainsi la dissociation des deux dos-
siers : le document de Camp David du 17 septembre 1978 comprend
deux « accords-cadres » :
– le premier concerne la conclusion de la paix entre l’Égypte et Israël
qui aboutira effectivement au traité du 26 mars 1979. L’Égypte récu-
pérera le Sinaï le 25 avril 1982, en échange de la normalisation entre
les deux pays ;
– en revanche, dans le second texte consacré aux Palestiniens, si
Israël a dû accepter la mention de la résolution 242, le processus
proposé est mort-né, et c’est en vain que l’Égypte tente d’entraîner
la Jordanie et l’OLP dans la négociation.
Ainsi Menahem Begin a obtenu en échange du Sinaï - secondaire
pour Israël - quelque chose au contraire essentiel pour lui : une paix
séparée qui élimine le risque d’une guerre sur plusieurs fronts. Pour
preuve : un mois et demi après la normalisation égypto-israélienne, le
25 avril 1982, Tsahal se lance dans l’invasion du Liban.
6 JUIN 1982 : L’invasion du Liban par Israël
« Paix en Galilée » est le nom officiel de l’opération déclenchée le 6 juin
1982 par Israël au Liban pour y liquider la structure politico-militaire de
l’OLP. Mais la fiction d’une intervention limitée à quarante kilomètres au
nord de la frontière libano-israélienne ne tient pas longtemps : sur ordre
du ministre de la Défense, Ariel Sharon, Tsahal remonte jusqu’à Beyrouth.
Mais, contrairement aux espoirs des organisateurs, l’opération s’en-
lise. Non seulement le siège de Beyrouth dure plus de deux mois, mais
les fedayin ont déjà embarqué sous la protection de la Force multina-
tionale dans des bateaux français, le 30 août, lorsque les Israéliens
pénètrent dans la capitale libanaise, le 15 septembre. La veille, l’hom-
me des Phalanges et d’Israël, Bechir Gemayel, a été assassiné. Le len-
demain, commencent les massacres des camps palestiniens de Sabra
et de Chatila par les hommes (si on peut dire) des Forces libanaises et
de l’Armée du Liban sud, sous les yeux de l’état-major israélien.
Pour l’État juif, l’aventure libanaise se transforme en un bourbier
sanglant, coûteux humainement et désastreux politiquement. Il suffit
de comparer les objectifs affichés et les résultats :
– Ariel Sharon voulait mettre en place un Liban avec un gouverne-
ment fort, à direction chrétienne, capable de sortir le pays de la
guerre civile et de signer une paix durable avec Israël. Or l’accord
de paix israélo-libanais du 17 mai 1983 ne durera pas plus long-
temps que le pouvoir d’Amine Gemayel.
– Ariel Sharon voulait « détruire totalement et pour toujours les terroristes de
l’OLP. » Or, si la centrale palestinienne a perdu beaucoup de com-
battants, si elle est privée de son quasi-État et dépossédée de sa
dernière base proche des masses palestiniennes, c’est-à-dire des
Territoires occupés, elle n’est pas pour autant détruite.
Ce qui explique pourquoi, trois ans après, Israël finit par se replier
sur la bande dite « de sécurité », au Sud-Liban, avec des pertes considé-
rables : des centaines de morts, des milliers de blessés, des milliards
de dollars gaspillés, sans compter la dégradation de l’image de l’État
juif à l’étranger.
Pour les Palestiniens, la leçon est claire : ils ne remporteront pas le
combat pour l’autodétermination ailleurs qu’en Palestine même. Ce
n’est pas un hasard si, deux ans après le repli israélien du Liban,
l’Intifada se déclenche.
7 DÉCEMBRE 1987 : Le déclenchement de l’Intifada
À Gaza, le 7 décembre 1987, un accident de circulation entre un
véhicule israélien et un taxi collectif palestinien, dont deux occupants
meurent, met le feu aux poudres. Le soulèvement durera trois ans,
malgré une répression brutale - mais sans commune mesure avec la
répression actuelle.
Avec le recul, l’Intifada représente le bond qualitatif le plus important
du mouvement palestinien depuis 1967. C’est un mouvement populaire
massif et non armé, de longue durée, dont les effets se font sentir :
– sur l’opinion israélienne qui, comprenant que le statu quo n’est pas
durable, vit une lente bipolarisation : une fraction minoritaire opte
pour l’annexion des Territoires occupés et même pour le « transfert »
de leurs habitants, mais une majorité choisit la recherche d’une
paix de compromis ;
– sur la stratégie de la Jordanie, où le roi Hussein renonce au rêve de
récupérer la Cisjordanie conquise par son grand-père Abdallah et
perdue en 1967 ;
– sur l’OLP elle-même, qui est transformée, par la décision jorda-
nienne de renoncer à la Cisjordanie, en interlocuteur incontour-
nable pour Israël et la communauté internationale ;
– sur l’opinion internationale qui est choquée par le spectacle d’une
armée puissante réprimant durement des jeunes ne lançant - à
l’époque - que des pierres.
D’autant que les Palestiniens lui donnent un débouché politique
avec le Conseil national palestinien d’Alger de novembre 1988, qui
franchit un triple pas :
– il proclame l’État indépendant de Palestine ;
– il accepte comme bases de règlement les résolutions des Nations
unies : la résolution 181 de l’Assemblée générale de 1947 (partage), la 242 du Conseil de sécurité de 1967 (échange de territoires
contre la paix) et la 338 du Conseil de sécurité de 1973 qui actualise la précédente ;
– il condamne explicitement toute forme de terrorisme.
La reconnaissance d’Israël sera confirmée le 15 décembre 1988 par
Yasser Arafat devant l’Assemblée générale des Nations unies, réunie à
Genève. Les États-Unis lui ayant demandé de traduire explicitement la
déclaration du Conseil national palestinien, le chef de l’OLP prononce
les mots magiques. Ceci provoque un véritable bouleversement du
paysage proche-oriental :
– le soutien à l’Intifada grandit, l’État de Palestine, proclamé à Alger,
est reconnu à l’époque par quatre-vingt-dix pays, c’est-à-dire plus
que le nombre de pays qui reconnaissaient l’État d’Israël ;
– le président Ronald Reagan annonce l’ouverture du dialogue américano-palestinien ;
– les dirigeants israéliens, de plus en plus isolés, entament une
longue période de résistance, puis Itzhak Shamir, qui dirige le gouvernement israélien, essaye de manoeuvrer en retrait pour éviter
les plans américains de paix successifs. Itzhak Shamir disait à propos du plan Shultz (secrétaire d’État de Ronald Reagan) : « Je suis
d’accord sur un seul point, la signature ! »
Cette impasse au Proche-Orient favorise les plans de Saddam
Hussein qui espère en profiter pour assurer le leadership de l’Irak sur
la région. D’où la crise puis la guerre du Golfe, après laquelle seulement on reviendra à la négociation interrompue à laquelle Israël devra
cette fois participer.
30 OCTOBRE 1991 : La Conférence de Madrid
Malgré la survie de la dictature de Saddam Hussein, la guerre du
Golfe se solde pour les États-Unis par une grande victoire :
– ils ont réaffirmé leur leadership mondial et régional face au défi de
l’Irak, mais aussi de l’URSS en décomposition et des Occidentaux
qui sont contraints de suivre leur grand allié. James Baker parle du
« test politique de l’après-guerre froide. L’Amérique doit diriger » ;
– ils ont commencé à redessiner politiquement la carte du Proche-
Orient en leur faveur avec la vaste alliance anti-irakienne ;
– ils ont renforcé leur mainmise sur le pétrole (la région détient 65 %
des réserves mondiales).
Ces modifications fondamentales entraînent un infléchissement
stratégique dans la politique américaine. Certes, Israël demeure l’allié
le plus puissant, le plus fiable et le plus durable. Mais cette alliance est
relativisée par la disparition de la « menace » soviétique. La priorité
pour Washington est désormais la stabilisation des acquis de la guerre
du Golfe. Or le « consensus stratégique », dont l’Amérique a toujours
rêvé au Proche-Orient, achoppe comme toujours sur le conflit israélo-
arabe, donc en dernier ressort sur le problème palestinien.
D’où la pression sans précédent des États-Unis sur Israël pour
négocier un compromis. Avec deux atouts : l’affaiblissement du lobby
pro-israélien en Amérique et la dépendance croissante de l’État juif
vis-à-vis des États-Unis du fait du coût fantastique que représente l’in-
tégration des juifs qui arrivent de l’Union soviétique.
Un an, jour pour jour, après l’occupation du Koweït, Itzhak Shamir
est contraint d’accepter le principe de la conférence de paix proposée
par les États-Unis, avec une participation palestinienne au sein d’une
délégation commune avec la Jordanie. Malgré cette limite, l’ouverture
de la conférence de Madrid, le 30 octobre 1991, marque une victoire
historique pour les Palestiniens puisque, pour la première fois, ils se
retrouvent aux côtés des autres délégations arabes pour négocier avec
Israël une paix fondée sur le retrait de celui-ci des Territoires occupés
en échange de la normalisation des relations.
Ces négociations bilatérales et multilatérales officielles s’enlise-
ront, mais elles déboucheront sur des tractations, secrètes, à Oslo.
13 SEPTEMBRE 1993 : L’accord d’Oslo
C’est une des images les plus fortes de l’histoire du Proche-Orient :
la poignée de mains d’Itzhak Rabin et de Yasser Arafat, sous le regard
de Bill Clinton, sur la pelouse de la Maison-Blanche.
La déclaration de principes sur l’autonomie qu’ils viennent de para-
pher représente, malgré les limites qui reflètent les rapports de forces
très défavorables aux Palestiniens, une triple avancée :
– pour la première fois, Israël et l’OLP se reconnaissent mutuelle-
ment. C’est une nouveauté absolue pour le gouvernement israé-
lien, alors que le Conseil national palestinien, lui, avait franchi ce
pas en 1988 ;
– les deux signataires affirment vouloir mettre en place une autono-
mie palestinienne transitoire dans les Territoires occupés par Israël
en 1967 ;
– ils conviennent théoriquement de trouver une solution définitive,
dans les cinq ans, aux questions cruciales qui sont nommées dans
le texte : statut, frontières, territoires, avenir des colonies juives,
sort des réfugiés, sans oublier Jérusalem.
Ce cadre se remplit avec l’accord du Caire, dit Oslo I, en mai 1994,
dont l’application commence sur le terrain au début de 1995. L’armée
israélienne se retire progressivement des grandes villes palesti-
niennes. Yasser Arafat est élu démocratiquement président, à la tête
d’un Conseil législatif qui est majoritairement acquis au Fatah.
L’Autorité palestinienne se met en place.
Une nouvelle étape est franchie le 28 septembre 1995, avec la
signature à Taba d’un nouvel accord, dit Oslo II. Mais cet accord ne sera
jamais appliqué puisque, un mois plus tard, le Premier ministre israé-
lien est assassiné.
4 NOVEMBRE 1995 : L’assassinat d’Itzhak Rabin
A-t-il été victime d’un individu isolé ? Ou d’un complot par les
ennemis de la paix avec la complicité des responsables des services
secrets israéliens ? En tout cas, la droite et l’extrême droite menaient
depuis des mois une campagne hystérique contre Oslo et contre son
signataire israélien, n’hésitant pas à le dépeindre en uniforme SS.
Avec le recul, il est clair que ce drame a condamné à terme le pro-
cessus de paix. Les circonstances tragiques de la mort d’Itzhak Rabin
ne justifient bien sûr pas qu’on le présente sous les traits d’un pacifis-
te de toujours : il a été successivement un des acteurs majeur de l’ex-
pulsion des Palestiniens en 1948, le dirigeant des principales guerres
d’Israël et le chef de la répression de la première Intifada. Mais le vieux
général avait tiré des leçons de l’impasse de l’occupation et choisi cou-
rageusement d’essayer d’en sortir.
Son successeur, Shimon Peres, va, lui, se suicider politiquement. Le
5 janvier 1996, en période de calme, il donne le feu vert à l’exécution
de l’« ingénieur » du Hamas, Yehia Ayache. Le mouvement islamiste
riposte par une vague d’attentats terroristes en Israël. Tel-Aviv répond
par le blocus des Territoires. Le Hezbollah libanais envoie, par solida-
rité, des roquettes sur l’État hébreu. Lequel déclenche l’opération des
« Raisins de la colère » et commet une « bavure » meurtrière à Canaa.
Le résultat, c’est que la droite et l’extrême droite remportent, avec
Benyamin Netanyahou, les élections du 29 mai 1996.
À l’exception de l’arrangement de Hebron, le nouveau Premier
ministre va bloquer toute négociation sérieuse avec les Palestiniens.
Trois ans après, Benyamin Netanyahou est battu par Ehud Barak. Pour
la troisième fois en sept ans, la majorité des Israéliens bascule.
25 JUILLET 2000 : L’échec de Camp David
Le nouveau Premier ministre va hélas décevoir les espoirs de paix
qui ont été placés en lui. Pendant un an durant, Ehud Barak reporte
aussi bien le troisième redéploiement de l’armée israélienne des
Territoires occupés que les négociations sur le statut final, qui auraient
dû commencer en 1996 !
Lorsque il se tourne enfin, au printemps 2000, vers les Palestiniens,
c’est après l’échec de ses négociations avec la Syrie, et le fossé entre
les positions des deux parties est très profond. C’est pourquoi Yasser
Arafat propose de reporter le sommet. Mais le président Clinton tient
à conclure ses deux mandats sur un succès international. Et Ehud Barak
rêve d’imposer, grâce à cette situation d’urgence, ses propositions aux
Palestiniens, en sous-estimant une donnée fondamentale : cette fois,
l’accord n’est pas intérimaire, mais définitif.
Les trois parties se retrouvent donc à Camp David le 11 juillet pour
se séparer, deux semaines plus tard, sur un constat d’échec.
L’explication souvent donnée est simple, pour ne pas dire simpliste :
Ehud Barak a fait une « offre généreuse », et Yasser Arafat l’a refusée. Les
propositions de Ehud Barak vont effectivement plus loin qu’aucun de
ses prédécesseurs n’avait été. Mais pas assez loin, ni du point de vue
du droit international, ni au regard des conditions nécessaires à la créa-
tion d’un État palestinien réellement indépendant et viable :
– il aurait, dit-on, promis le retrait de 90 % de la Cisjordanie, mais ce
chiffre « oublie » la région de Jérusalem, la vallée du Jourdain et le
territoire contrôlé par les colonies (42 % de la Cisjordanie). Surtout,
les zones qu’Israël prétend annexer pour regrouper 80 % des colons
coupent la Cisjordanie en trois morceaux discontinus ;
– sur Jérusalem, il n’y a pas d’avancée décisive. La fameuse déclaration
sur le partage de la souveraineté n’interviendra que le 29 septembre ;
– de même, sur le sort des réfugiés, il n’y a pas un millimètre d’avan-
cée dans les positions de Ehud Barak à Camp David.
Bref, c’était l’échec annoncé. Malgré la campagne qui a été développée pour en faire porter la responsabilité aux Palestiniens, les faits
sont têtus. L’OLP a fait en 1988, en reconnaissant Israël, le principal
compromis, puisqu’elle lui a abandonné 78 % de la Palestine mandataire. Et c’est sur les 22 % restants que Ehud Barak exige de nouvelles
concessions.
Le Premier ministre israélien pouvait-il aller plus loin ? L’Histoire a
tranché : la délégation israélienne est allée beaucoup plus loin cinq mois
plus tard lors des négociations de Taba en janvier 2001. Les minutes de
l’envoyé spécial de l’Union européenne, Miguel Angel Moratinos,
comme les témoignages de plusieurs négociateurs palestiniens et israéliens, confirment que les deux parties ont approché, sur la base des propositions du président Clinton, un accord sur toutes les questions,
même sur celle des réfugiés. Hélas, Taba était inutile, Ehud Barak ayant
décidé de démissionner, provoquant des élections anticipées en février.
C’était un véritable suicide politique pour lui et pour la « gauche » : au
lieu de miser sur la conclusion d’un accord à Taba et de se donner
quelques mois pour convaincre l’opinion israélienne, le Premier ministre
s’est lancé dans un affrontement avec la droite, sans la moindre alternative à la politique de force qu’incarne Ariel Sharon. Le piège qui a été
tendu par le vieux général en montant sur l’esplanade des mosquées, le
28 septembre 2000, se referme. Le 6 février 2001, Ariel Sharon est élu
Premier ministre d’Israël. La suite est - hélas ! - connue...
Conclusion
En conclusion, je voudrais seulement insister sur un point : les
Palestiniens, bien sûr, sont les premières victimes de ce conflit interminable. Sur les quelques deux mille cinq cents victimes recensées de
l’Intifada, mille neuf cents sont palestiniennes et six cents israéliennes.
Mais le rapport de forces militaire écrasant dont jouit Israël ne doit pas
dissimuler les risques majeurs qu’il court aussi à terme. La nature
même du conflit est en train de changer. Car il a pris, avec la seconde
Intifada et la répression brutale, un tour inconnu depuis 1948 : « On a le
sentiment, observait l’historien israélien Tom Segev, de revenir à l’époque du
Mandat britannique, qui a précédé la création de l’État d’Israël, où deux communautés s’affrontaient par les armes ». Les vingt-quatre mois écoulés depuis
le 28 septembre 2000 préfigurent ce que risque de devenir la bataille
de Palestine : une guerre civile, tantôt larvée, tantôt généralisée, entre
deux populations imbriquées. Au coeur d’une telle mêlée, la clé de la
victoire a pour nom : démographie. Or, dans le « Grand Israël », cher au
chef du Likoud, les Arabes deviendront majoritaires en 2010 ; et, en
2020, ils seront 8,1 millions contre 6,7 millions de Juifs. Et cette majorité deviendra vite écrasante.
À défaut d’une immigration juive massive vers Israël, peu vraisemblable malgré l’exploitation cynique que font certains dirigeants israéliens de toutes les manifestations antisémites, Israël, « État juif et démocratique », fera donc face à une contradiction stratégique majeure :
– soit il choisira la démocratie, donc il accordera le droit de vote à
tous les habitants, auquel cas ce ne sera plus un État juif ;
– soit il tiendra à préserver son caractère juif, auquel cas il ne pourra
pas être démocratique.
Pis : l’imposition de la loi juive à une majorité arabe, sans cesse
plus large, exigera l’instauration d’un véritable apartheid. Ce qui provoquera des soulèvements plus puissants encore que l’actuel, auxquels l’armée israélienne réagira par une répression dont le présent
massacre ne représente qu’un avant-goût. Ce scénario comporte une
fin possible : l’écrasement des Palestiniens, mais aussi la disparition
de l’État d’Israël.
Paradoxalement, quatre-vingt-cinq ans après la « déclaration Balfour »,
la création d’un État palestinien indépendant et viable est seule à même
de sauvegarder la survie d’Israël, en tout cas son caractère juif...
Cela n’est bien évidemment pas le choix d’Ariel Sharon. Il rêve
d’une autre solution : l’expulsion de centaines de milliers de
Palestiniens, qui repousserait de plusieurs décennies la menace
démographique et perpétuerait l’occupation et la colonisation. N’estce pas à cela qu’il pense lorsqu’il répète inlassablement, depuis son
élection : « La guerre de 1948 n’est pas terminée. »
Certes, la réédition des opérations d’expulsion d’il y a quarante-
quatre ans n’est pas simple, ni militairement, ni politiquement. Mais il
y a de quoi s’inquiéter :
– l’omniprésence du thème du « transfert » dans les médias et le
débat politique israéliens ;
– les progrès sensibles du projet de transfert dans l’opinion israélienne : selon un récent sondage du Jaffe Studies Center de Tel-
Aviv, 46 % des Israéliens acceptent l’expulsion des Palestiniens des
Territoires occupés et 31 % l’expulsion des Palestiniens de l’État
d’Israël ;
– le sens de l’opération « Rempart ». Certes, elle était destinée,
comme tous les observateurs l’ont souligné, à porter des coups décisifs à l’Autorité palestinienne. Mais on n’a pas assez dit que la destruction systématique de toutes les infrastructures, les couvre-feux
permanents, les humiliations... avaient aussi pour but de rendre la
vie impossible aux Palestiniens et de les pousser ainsi au départ -
non sans succès : on estime à plusieurs dizaines de milliers le
nombre de Palestiniens - notamment de jeunes, de cadres, de buisnessman, qui ont quitté les Territoires occupés depuis deux ans.
Il faut absolument mobiliser contre ce risque d’une nouvelle catastrophe. Et la campagne contre la guerre américaine est inséparable de
la bataille contre la menace d’une nouvelle expulsion massive.