Photo : Ursula von der Leyen © Dati Bendo-Commission Européenne
Mme Von der Leyen, une conservatrice allemande qui avait été la principale défenseuse d’Israël au sein de l’UE au cours des deux dernières années de la guerre à Gaza, a fait volte-face dans son discours sur l’état de l’Union prononcé mercredi 10 septembre devant le Parlement européen à Strasbourg.
« Nous proposerons des sanctions contre les ministres extrémistes [israéliens] et les colons violents. Nous proposerons également une suspension partielle de l’accord d’association [UE-Israël] sur les questions commerciales », a-t-elle déclaré.
Elle a également évoqué « les personnes tuées alors qu’elles mendiaient de la nourriture [à Gaza], les mères tenant leurs bébés sans vie dans leurs bras... la famine provoquée par [Israël] ».
« Cela me fait vraiment mal de prononcer ces mots », a-t-elle ajouté.
Pour inscrire sur la liste noire les ministres israéliens Belazel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, qui ont ouvertement appelé à l’extermination des civils de Gaza, il faudrait l’unanimité des 27 États membres de l’UE, ce qui reste impossible en raison des vetos des principaux alliés d’Israël au sein de l’UE, à savoir la République tchèque et la Hongrie.
Le gel des avantages commerciaux entre l’UE et Israël coûterait aux entreprises israéliennes environ 1 milliard d’euros par an en pertes de revenus et nécessiterait un vote à la majorité qualifiée au Conseil de l’UE, qui ne serait adopté que si l’Allemagne ou l’Italie renonçaient à leur opposition antérieure.
Ni Berlin ni Rome n’ont immédiatement réagi au revirement de Mme von der Leyen.
Mais son discours est intervenu un jour après qu’Israël ait soudainement bombardé le Qatar pour tenter de tuer des négociateurs palestiniens basés à Doha, ce qui a incité le chancelier allemand Friedrich Merz et la Première ministre italienne Georgia Meloni, ainsi que d’autres dirigeants, à condamner cette « escalade ».
Quelque 68 % des électeurs conservateurs allemands et 63 % de l’ensemble des Allemands ont également soutenu les sanctions de l’UE contre Israël dans un sondage réalisé par le magazine allemand Der Spiegel, publié le même jour.
Dans le même temps, les diplomates des quelques 18 pays de l’UE qui soutiennent les sanctions commerciales contre Israël ont félicité Mme von der Leyen.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a déclaré : « Toutes ces mesures ont été demandées avec force et insistance par [l’Espagne]... elles commencent enfin à être mises sur la table ».
Le discours de Mme von der Leyen « obligera ces quelques dix pays [pro-israéliens de l’UE] à se montrer beaucoup plus ouverts et à expliquer à leurs citoyens, à l’opinion publique européenne et au monde entier pourquoi ils bloquent toute initiative », a déclaré un diplomate européen.
« Je suis très heureux que la Commission – et surtout sa présidente – ait enfin fait preuve de leadership sur cette question, comme elle l’a fait par le passé sur l’Ukraine », a-t-il ajouté.
Un deuxième diplomate européen a déclaré que le discours de Mme von der Leyen avait peut-être été prononcé après avoir reçu le feu vert de Berlin.
« La question est de savoir si l’Allemagne maintiendra son cap [pro-israélien]. Peut-être en sait-elle plus que nous », a-t-il déclaré.
Le ministre irlandais des Affaires étrangères, Simon Harris, a déclaré à la presse à Dublin qu’il fallait « convoquer rapidement le Conseil des affaires étrangères de l’UE afin que les États membres aient la possibilité [...] de voter sur ces mesures ».
Mais les diplomates s’attendent également à ce que les discussions sur les sanctions avancent lentement, les ministres des Affaires étrangères de l’UE devant se réunir à nouveau le 20 octobre, malgré l’attaque d’Israël contre le Qatar et la destruction continue de la ville de Gaza.
« Je ne m’attends pas à une avancée significative dans les prochains jours », a déclaré l’un des diplomates de l’UE.
Un troisième diplomate de l’UE a déclaré à EUobserver : « [Une décision de sanctions contre Israël] est bien sûr très spéculative à ce stade, mais nous pensons que cela reste peu probable pour le moment ».
Outre les vetos sur la liste noire et les votes sur les sanctions commerciales, Mme von der Leyen a également déclaré mercredi que la Commission ferait « tout ce qu’elle peut » de manière unilatérale.
« Nous suspendrons notre soutien bilatéral à Israël. Nous arrêterons tous les paiements dans ces domaines, sans affecter notre travail avec la société civile israélienne ou Yad Vashem [le musée de l’Holocauste à Jérusalem] », a-t-elle déclaré.
Mais les sommes en jeu sont modestes : 2 millions d’euros par an pour des « projets de jumelage », selon le site web de la Commission.
Et Israël reste éligible aux subventions de recherche scientifique de l’UE dans le cadre du programme Horizon Europe, d’une valeur de 1,1 milliard d’euros depuis 2021, car l’arrêt de ces subventions nécessitait également une majorité qualifiée du Conseil de l’UE.
Dans le même temps, les députés européens de gauche et les défenseurs des droits humains ont salué le discours de Mme von der Leyen, le considérant comme un tournant, malgré ses limites.
Les députés européens du groupe de centre-gauche S&D, par exemple, avaient revêtu des t-shirts rouges et se sont levés en silence dans l’hémicycle de Strasbourg pendant son discours, afin de protester contre l’inaction passée de l’UE.
« C’est trop peu, trop tard, compte tenu de la catastrophe à Gaza, mais c’est une rupture sans précédent dans les relations habituelles entre l’UE et Israël », a déclaré Martin Konečný, de l’ONG European Middle East Project, basée à Bruxelles, à EUobserver.
« Compte tenu de la mentalité profondément pro-israélienne dont elle [von der Leyen] est issue, il s’agit d’un changement politique remarquable... mais certains autres membres de sa famille politique n’ont pas encore bougé d’un pouce », a-t-il ajouté sur X.
Dans le passé, Israël a régulièrement accusé ses détracteurs européens d’être « antisémites » ou des « porte-parole » des terroristes, et les a déclarés persona non grata en Israël.
Von der Leyen antisémite ?
Mais le ministre israélien des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, s’est montré plus indulgent envers von der Leyen.
Son discours était « regrettable... inacceptable... et commettait l’erreur de céder à la pression [anti-israélienne] », a-t-il déclaré sur X.
Il a ajouté qu’il « faisait écho à la fausse propagande du Hamas », un groupe militant palestinien que l’UE qualifie depuis longtemps d’entité « terroriste ».
« Une fois de plus, l’Europe envoie un mauvais message qui renforce le Hamas et l’axe radical au Moyen-Orient », a-t-il déclaré.
Malgré tout, les événements de mercredi à Strasbourg ont marqué un échec majeur pour la diplomatie israélienne. L’ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, Mark Regev, avait par exemple déclaré à EUobserver dans une interview en 2023 qu’il se moquait des manifestants pro-palestiniens en Europe, tant que les diplomates et les responsables de l’UE restaient du côté d’Israël.
« Compte tenu de sa position initiale sur cette question, le fait qu’elle [von der Leyen] fasse cette proposition montre à quel point le débat a évolué », a déclaré mercredi un quatrième diplomate européen.
Et quoi qu’il arrive au Conseil de l’UE, l’Assemblée générale des Nations unies à New York, qui a débuté mardi, marquera bientôt un échec encore plus grand, lorsque la Belgique, la France, Malte, l’Australie, le Canada, le Royaume-Uni et, potentiellement, la Finlande, le Luxembourg, le Portugal et la Nouvelle-Zélande reconnaîtront la souveraineté palestinienne, en réaction à ce que d’éminents universitaires ont qualifié de « génocide » commis par Israël le 1er septembre.
Traduction : AFPS