Photo : Itamar Ben-Gvir en visite à Jérusalem accompagné de l’armée israélienne, 10 juin 2021 © Oren Ziv / Activestills
Israël est sur le point d’adopter une loi qui permettrait aux tribunaux israéliens de condamner à mort des prisonniers palestiniens. Lundi, la Knesset israélienne a adopté le projet de loi en première lecture par 39 voix pour et 16 contre. Le projet de loi a été présenté comme une loi « exceptionnelle », bénéficiant d’un statut spécial qui permet son adoption à la majorité des voix exprimées, et non à la majorité des membres de la Knesset, raison pour laquelle les absents et les abstentions n’ont pas été pris en compte. Il doit encore être adopté en deuxième et troisième lectures avant d’entrer en vigueur.
La loi s’applique aux personnes condamnées pour des actes ayant entraîné la mort d’Israéliens, si ces actes étaient motivés par « le racisme ou l’hostilité envers le public » et « commis dans le but de nuire à l’État d’Israël ou à la renaissance du peuple juif », ce qui la rend applicable exclusivement aux Palestiniens. Elle a été présentée par la députée Limor Son Har-Melech, membre du parti ultranationaliste « Jewish Power », qui bénéficie d’un fort soutien de la part des colons israéliens de Cisjordanie occupée, comme Har-Melech elle-même.
Le parti est dirigé par Itamar Ben-Gvir, un allié clé de la coalition gouvernementale du Premier ministre Benjamin Netanyahu. La peine de mort pour les prisonniers palestiniens est l’une des principales revendications politiques de Ben-Gvir, qui est à l’origine de la détérioration des conditions de détention des prisonniers palestiniens ces dernières années.
La peine de mort existe bel et bien dans la législation israélienne, mais elle n’est applicable que dans de rares cas de crimes graves, tels que le génocide, et n’a été appliquée qu’une seule fois, en 1962, à l’encontre de l’ancien officier nazi Adolf Eichmann. La nouvelle loi introduit trois nouvelles dispositions qui indiquent l’intention d’utiliser la peine de mort à l’encontre des Palestiniens.
Premièrement, le libellé du projet de loi autorise la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’avoir tué des Israéliens pour des motifs « nationalistes ou racistes ». Cela limite son application aux non-Israéliens et utilise l’euphémisme de crimes « nationalistes », couramment utilisé pour décrire les attaques palestiniennes contre des Israéliens. Deuxièmement, comme elle s’applique aux Palestiniens dans les territoires occupés, elle donne aux tribunaux militaires israéliens, qui sont ceux qui prononcent les peines pénales contre les Palestiniens sous occupation, le pouvoir de condamner à mort des Palestiniens. Troisièmement, elle permet de prononcer la peine de mort à la majorité simple des juges, et non à l’unanimité.
Malgré cela, Ben-Gvir continue de faire pression pour assouplir encore davantage l’application de la loi afin de donner aux forces israéliennes le pouvoir d’exécuter des Palestiniens sur le terrain. La loi a plusieurs opposants, notamment le parti d’opposition « Il y a un avenir » de Yair Lapid et les représentants orthodoxes haridi. Les opposants à la loi se sont abstenus de voter et de nombreux législateurs étaient absents. Mais comme elle a été présentée comme un projet de loi exceptionnel, ne nécessitant qu’une majorité des voix exprimées, elle a été adoptée.
Ben-Gvir a célébré le vote à la Knesset en distribuant des bonbons aux membres de la Knesset. Le chef de l’opposition, Avigdor Lieberman, a commenté en disant qu’« un terroriste doit mourir, soit sur le champ de bataille, soit devant les tribunaux ». Un autre chef de l’opposition, Yair Lapid, a refusé de voter en faveur du projet de loi, le qualifiant de « coup politique » du parti de Ben-Gvir, arguant qu’il existe déjà une loi sur la peine de mort en Israël.
Le Club des prisonniers palestiniens a déclaré dans un communiqué que les forces israéliennes exécutent déjà des Palestiniens sur le terrain grâce à des règles laxistes en matière d’usage de la force létale, qui permettent aux soldats israéliens de tirer et de tuer des Palestiniens « aux postes de contrôle militaires, en particulier en Cisjordanie, ou des Palestiniens qui participent à des manifestations pacifiques ou lors de raids dans les zones palestiniennes ».
Le Club des prisonniers a également indiqué que les prisonniers palestiniens sont exposés à « une mort lente due à la détérioration systématique de leurs conditions de vie inhumaines, à des crimes médicaux et à la torture ». Le Club a fait référence à la négligence médicale dont sont victimes les prisonniers palestiniens, dont les services pénitentiaires israéliens ont été accusés ces dernières années par des groupes de défense des droits humains, en particulier après la mort de plusieurs Palestiniens malades en prison ou peu après leur libération, faute de traitement approprié. Selon l’ONU, 75 Palestiniens sont morts dans les prisons israéliennes depuis octobre 2023.
En réaction à l’adoption du projet de loi, Erika Guevara Rosas, directrice principale du plaidoyer à Amnesty International, a déclaré dans un communiqué que l’adoption du projet de loi était « le résultat de l’impunité persistante dont bénéficie le système d’apartheid israélien », qui « ne s’est pas produit dans le vide ». Selon Mme Rosas, ce projet de loi « s’inscrit dans le contexte d’une augmentation drastique du nombre d’exécutions illégales de Palestiniens, y compris des actes équivalant à des exécutions extrajudiciaires, au cours de la dernière décennie, et d’une augmentation effrayante du nombre de décès de Palestiniens en détention depuis octobre 2023 ».
« La disposition du projet de loi selon laquelle les tribunaux doivent imposer la peine de mort aux personnes reconnues coupables de meurtre à motivation nationale dans l’intention de « nuire à l’État d’Israël ou à la renaissance du peuple juif » est une nouvelle manifestation flagrante de la discrimination institutionnalisée d’Israël à l’égard des Palestiniens, un pilier essentiel du système d’apartheid israélien, tant dans la loi que dans la pratique », a expliqué Mme Rosas.
« Il est également préoccupant que la loi autorise les tribunaux militaires à prononcer des condamnations à mort sans possibilité de commutation à l’encontre de civils, compte tenu notamment du caractère inéquitable des procès tenus par ces tribunaux, qui affichent un taux de condamnation de plus de 99 % pour les accusés palestiniens », a-t-elle poursuivi.
Mahmoud Hassan, un avocat chevronné qui représente les Palestiniens devant les tribunaux militaires israéliens depuis plus de trente ans, a déclaré à Mondoweiss que « le système judiciaire militaire israélien est un système de criminalisation, où toute activité palestinienne, aussi pacifique soit-elle, est considérée comme une infraction pénale, dans le cadre de la culture judiciaire militaire israélienne ». M. Hassan a expliqué que « les juges militaires israéliens sont issus des institutions militaires et imprégnés de la culture sécuritaire israélienne, qui est déjà partiale à l’égard des Palestiniens ».
« Lorsqu’un Palestinien est accusé d’une infraction à la sécurité, on part du principe qu’il sera condamné, et en tant qu’avocats, nous essayons de négocier une peine allégée avec le ministère public militaire, ce qui explique pourquoi le taux de condamnation est supérieur à 99 % », a expliqué Hassan.
« Jusqu’à présent, la peine de mort israélienne existante nécessitait un consensus des juges, et le ministère public militaire n’a jamais requis la peine de mort pour les Palestiniens », a déclaré Hassan. « Cette nouvelle loi permet de prononcer la peine de mort à la majorité simple, ce qui encouragerait le ministère public, si elle était adoptée, à demander la peine de mort pour un Palestinien en invoquant des motivations nationalistes... alors que si un Israélien juif était accusé de meurtre dans les mêmes circonstances, les mêmes critères ne s’appliqueraient pas à lui. La peine de mort nécessiterait toujours un consensus, et le ministère public ne la demanderait très probablement pas », a-t-il déclaré.
Bien que le projet de loi suscite une certaine opposition dans la sphère politique israélienne, le fait que la plupart des opposants aient choisi de s’abstenir, sachant que leur abstention ne serait pas prise en compte, plutôt que de voter contre, indique que la loi sera très probablement adoptée si elle atteint les phases de deuxième et troisième lectures. Bien qu’en règle générale, les lois ne s’appliquent pas rétroactivement, Itamar Ben-Gvir a explicitement appelé à l’exécution des prisonniers palestiniens condamnés pour « combat illégal », principalement ceux accusés d’être des combattants du Hamas, capturés depuis et après le 7 octobre 2023.
« Ben-Gvir a promu cette loi en s’appuyant sur son discours sur la nécessité d’exécuter les combattants du Hamas, profitant du climat qui règne depuis le 7 octobre », a déclaré Shawan Jabarin, directeur de l’organisation de défense des droits humains Al-Haq à Ramallah, à Mondoweiss.
« La loi doit encore passer deux lectures supplémentaires avant d’entrer en vigueur, mais le débat porte déjà sur son application aux personnes condamnées pour « combat illégal », ce qui a en soi des implications importantes », a souligné Jabarin. « Si la loi est appliquée rétroactivement dans un cas, à une personne, alors la règle serait enfreinte et cela créerait un précédent qui permettrait son application rétroactive à tous les Palestiniens reconnus coupables des mêmes chefs d’accusation », a-t-il ajouté.
L’adoption de la loi intervient alors qu’Israël continue d’intensifier ses arrestations de Palestiniens, tant à Gaza qu’en Cisjordanie. Depuis octobre 2023, Israël a arrêté quelque 21 000 Palestiniens, dont 9 100 sont toujours en prison, dont 3 500 en détention administrative, sans inculpation ni date de libération précise, et environ 1 000 détenus sans même un ordre de détention administrative, selon le Club des prisonniers.
Traduction : AFPS




