agrexcoalition
“Agrexco instrument direct de la colonisation agricole.” C’est ce que dénonce l’appel lancé le 4 juin par des associations, syndicats et partis politiques contre l’arrivée, prévue en 2011, de l’exportateur israélien dans le port de Sète. Mais la longue liste des signataires (1) n’a visiblement pas paru assez significative à Midi Libre et à La Gazette de Montpellier. Suite à la conférence de presse du 4 juin organisé par les signataires de l’appel, le premier a juste fait une brève dans son édition sétoise (7/06) et la seconde…rien. Pourtant, tous deux avait annoncé l’arrivée d’Agrexco à plusieurs reprises (Midi Libre, pages région : 12/11, 22/01, 26/02, 5/05 ; La Gazette : 20/11, 5/03, 7/05). À chacun sa hiérarchie de l’information.
Contrôlée à 50 % par le ministère de l’agriculture israélien
Promue par Georges Frêche, l’arrivée de cette entreprise est donc surtout contestée du fait de la provenance des produits qu’elle exporte. Contrôlée à 50% par le ministère de l’agriculture israélien, Agrexco est en effet suspectée d’exporter massivement la production des territoires occupés par Israël en Cisjordanie, essentiellement dans la vallée du Jourdain. “70 % de ses exportations proviennent des colonies”, affirme même l’appel de “l’Agrexcoalition” qui précise que ceci a été “reconnu en 2006 par le directeur d’Agrexco lors d’un procès en Grande Bretagne”. Exagération ou erreur de traduction sans doute d’un article d’Indimedia Royaume uni qui écrivait (24/01/06) que le responsable de l’entrepôt avait déclaré : “60 - 70% of settlement produce is marketed through Agrexco.” Ce qu’on peut traduire par “60-70 % de la production des implantations est commercialisée par Agrexco”. Ce n’est pas la même chose que ce qui est écrit dans l’appel.
Il aurait en effet été étonnant qu’un responsable d’Agrexco déclare publiquement que la majorité de ses exportations provient des territoires occupés. Interrogé par Montpellier journal, Ouzi Kouris, directeur général d’Agrexco France, déclare d’ailleurs : “On a certains - pas grand chose - moshavim ou kibboutzim [coopératives agricoles] qui se trouvent dans la vallée du Jourdain qui produisent des produits agricoles et certains, mais pas beaucoup, qui produisent du côté du Golan. Mais on a un accord avec la communauté européenne et pour ceux qui habitent là, on paye les droits de douanes différemment (2). Mais ce n’est pas la Palestine parce que le plateau du Golan appartenait à la Syrie. Dans la région où il y a les Palestiniens, on n’a pratiquement pas de production. [...] En Cisjordanie, il n’y a pas de production pour l’export. Dans la vallée du Jourdain, à l’époque, c’était des Jordaniens qui étaient là, il y a quelques moshavim mais pas énormément. On va dire que 95 % de toute la production de fruits et légumes en Israël se fait à l’intérieur du pays. Il n’y a pas plus que 5 % qui vient d’autres régions.”
Identifier la provenance
Dans un magasin à Montpellier, inscrit sur le carton : "Pays d’origine Israël". Difficile donc de trancher d’autant qu’un reproche qui est souvent fait aux exportateurs israéliens c’est d’étiqueter les produits en provenance des territoires occupés comme venant d’Israël et donc de rendre impossible toute différentiation. Le gouvernement britannique a d’ailleurs tenté de convaincre, à l’automne 2008, les membres de l’Union européenne de mener des contrôles plus approfondis pour identifier la provenance des produits (3). Ce qui a eu le don d’énerver le gouvernement israélien qui a qualifié la position britannique d’“exagérée” (Haaretz, 17/11). Pas pour la Délégation générale de la Palestine en France où on déclare à Montpellier journal : “La colonisation couvre 42 % de la Cisjordanie et la plupart de ces colonies sont des coopératives agricoles. La quantité de produits qui sort des colonies est énorme.”
Autres éléments : les photos fournies par l’Association France Palestine solidarité qui montrent des panneaux Agrexco ou Carmel (la marque de commercialisation des produits) dans les territoires occupés. Ou encore la mention sur le site d’Agrexco de l’inauguration, en juillet 2008, de “chambres frigorifiques d’une capacité de 2000 m3″ dans la vallée du Jourdain (p6, traduit de l’hébreu par l’AFPS). Et aussi le détail de la production à Megilot, environ 15 000 tonnes, dont le principal est “destiné à l’export” via Agrexco pour les produits maraîchers (p8). Autre élément mentionné par Robert Kissous de l’AFPS 34 : un rapport des Nations unies relatif à l’impact sur les Palestiniens des implantations israéliennes en Cisjordanie (4). On y voit deux photos de terres agricoles cultivées par des israéliens (p 40 et 115). Par ailleurs le rapport précise (p40) que ce sont “10 122 hectares de la Cisjordanie” qui sont cultivés par les colons (settlers) et dont la carte est fournie (p41). Et encore, celle-ci date de 2005 et la colonisation s’est poursuivie depuis.
Georges Frêche : “Je n’ai pas à vous répondre”
Au vu de ce qui précède et d’un article de Midi Libre (5/05) titré : “Frêche « Israël, nouvel allié commercial de la Région »” (5), Robert Kissous prend sa plume et envoie au président de région une lettre ouverte datée du 12 mai. “Non seulement vous ne tenez aucun compte du contexte créé par l’intensification de la colonisation de la Cisjordanie - dont Jérusalem - ni de l’étouffement par le blocus de la population de Gaza, écrit notamment le président de l’AFPS, mais vous l’encouragez en développant des relations économiques de la région avec un état qui ne respecte aucune de ses obligations.” Georges Frêche répond seulement quelques jours plus tard. Et la lettre datée du 20 mai tient en 4 lignes : “Je n’ai pas l’habitude de mêler la politique et l’économie. Le port de Sète aura des relations commerciales aussi bien avec Israël qu’avec la Turquie, l’Egypte, le Maroc ou tout autre pays arabe ou musulman. Vous mélangez tout. Je n’ai pas à vous répondre.”
Une des arguments avancés par le président de région qui met 40 M€ sur la table pour l’implantation d’Agrexco a Sète, ce sont les emplois qui seraient créés. Et sur ce point les chiffres ont varié. Le 12 novembre, Midi Libre annonçait “entre 50 et 100 emplois créés” et confirmait ce chiffre le 22 janvier en y ajoutant “la cinquantaine de dockers que cela fera travailler” citant Michel Liguori, responsable CFDT du port sétois. Le 26 février, 200 emplois sont annoncés par le quotidien régional et “une vingtaine de dockers seront embauchés mais aussi des manutentionnaires, consignataires, etc.” Pour relativiser cette inflation, on peut citer Antoine Montoyat de la CGT des dockers de Marseille qui déclarait, en janvier 2009, lors du départ d’Agrexco du port phocéen : “Ce départ représente entre 12.000 à 14.000 journées de travail.” (Econostrum, 22/01) Soit moins de 60 temps plein.
Dockers sud-africains
Néanmoins, cela semblait suffisamment important pour que le syndicaliste marseillais déplore “qu’on n’ait pas déroulé le tapis rouge pour retenir Agrexco”. (La Provence, 23/01) En Afrique du sud, le point de vue des dockers semblent quelque peu différent puisque ceux-ci ont refusé, début février, de décharger un navire israélien allant même jusqu’à appeler “les autres travailleurs et syndicats à travers le monde à faire de même et à faire tout ce qui est nécessaire pour s’assurer qu’ils boycottent toutes les marchandises de et vers Israël jusqu’à ce que la Palestine soit libre”. (Sunday tribune, 3/02, traduction Mj)
On l’a vu, les emplois qui devraient être créés à Sète pourraient trouver leur origine dans la colonisation israélienne. Mais ils pourraient l’être aussi au détriment des paysans de la région. Agrexco exporte notamment des pomelos, des avocats, des mangues, des dates mais aussi des pommes de terre, tomates, poivrons, etc. Son directeur général, Shlomo Tirosh, n’a d’ailleurs pas caché ses objectifs même si c’était sur le ton de la plaisanterie : “J’espère que tous les Héraultais mangeront nos avocats !” (Midi Libre 26/02). Pour Nicolas Duntz de la confédération paysanne c’est une “aberration écologique et économique de transporter un produit sur des milliers de kilomètres alors que dans le même temps on dit qu’on prend conscience de catastrophes pouvant amener le réchauffement climatique. [...] On ne peut pas avoir de politique de développement agricole régionale fiable si on ne met pas tout en oeuvre pour créer de l’emploi paysan. L’arrivée massive de 200 000 tonnes annoncées avec des produits que les paysans languedociens ont la capacité de produire, nous semble aller en contradiction avec une politique régionale de développement régional cohérent. En tant que syndicat paysan, on s’interroge sur la réelle volonté politique du conseil régional.”
Pastor (Verts) : “On n’est pas pour l’autarcie totale”
Du côté des conseillers régionaux Verts et PC, on est beaucoup plus nuancé. Même si ces deux partis ont signé l’appel contre l’implantation d’Agrexco du fait de ses liens présumés avec les colonies, aucun ne s’oppose à l’installation d’un terminal fruitier à Sète. Jean-Louis Bousquet, président du groupe communiste à la région, explique : “C’est tout a fait normal de se battre pour développer, avec une agriculture raisonnée, des productions locales mais que le port de Sète soit une entrée commerciale pour l’ensemble de l’Europe, je ne vois pas pourquoi ça serait en contradiction. Ou alors, il faut dire qu’on vit en autarcie et qu’on n’a plus d’échanges commerciaux.” Silvain Pastor (Verts) : “Il y a la question de la concurrence déloyale avec les fruits et légumes produits localement mais si ce sont des trucs qui ne sont pas produit localement et que ça arrive en plus par bateau… On n’est pas contre l’arrivée sur le territoire de produits qui viennent d’ailleurs. On n’est pas pour l’autarcie totale.” Reste que la délibération visant à approuver la “convention pour la création d’un terminal fruitier et d’un terminal conteneur” a été votée le 23 février. Et aucun de ces deux élus ne se souvient avoir voté contre. Une manifestation est prévue le 25 juin, jour de session au conseil régional, pour s’opposer à l’arrivée d’Agrexco à Sète. Reste à savoir si des actions ou des déclarations seront faites par les élus communistes et Verts au niveau de l’institution pour mettre en pratique leurs signatures. Soulignons enfin qu’aucune trace de l’appel n’ a été trouvée sur le site des Verts ou sur celui des élus communistes de l’Hérault.
(1) Notamment : la Cimade, la Confédération paysanne, l’union syndicale Solidaire, la Ligue des droits de l’homme, le NPA, le Parti communiste, le Parti de gauche et plusieurs associations de soutien au peuple palestinien donc la CCIPPP ou l’Association France Palestine solidarité.
(2) L’accord d’association entre la Communauté européenne et Israël prévoie l’exemption des droits de douane pour les produits israéliens .
(3) Lire :
* Israelis bristle at attempt to limit exports (The Independent, traduit sur le site de The International solidarity movement)
* David Miliband in showdown with Israel over West Bank goods (The Times)
* Livni to Miliband : U.K. plan to label West Bank goods is ‘exaggerated’ (Haaretz)
(4) L’impact humanitaire sur les Palestiniens des implantations israéliennes et autres infrastructures en Cisjordanie, Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), juillet 2007
(5) Il faut noter que le titre de cet article, “Frêche « Israël, nouvel allié commercial de la Région »”, prête à confusion. En effet le texte entre guillemet ne se retrouve pas dans le texte de l’interview.
14 juin 2009 à 18:36