Jean-Louis Vey, AFPS - Pal Sol n°66
L’attaque venue d’Israël contre la réglementation
Dans un communiqué du 23 juillet 2018, le Bureau national de l’AFPS dénonce le recul du gouvernement français sur l’étiquetage des produits des colonies israéliennes. Ce communiqué précise qu’une requête a été formée auprès du Conseil d’État pour mettre en cause les réglementations françaises et européennes sur l’étiquetage. Le Conseil d’État ne s’est pas prononcé sur cette requête, se contentant de renvoyer la balle à la Cour de Justice de l’Union Européenne.
Alors que cette non-décision du Conseil d’État n’avait aucun caractère suspensif, le Ministère de l’Économie et des Finances s’est empressé de geler toutes les poursuites en cours et à venir pour infractions à la réglementation sur l’étiquetage, exprimant, de fait, « un encouragement à la politique coloniale du gouvernement israélien ».
Dans cette scandaleuse affaire qui démontre, une nouvelle fois, la complicité active du gouvernement français avec la politique criminelle d’Israël, il est révélateur que l’un des deux auteurs [1] de la requête auprès du Conseil d’État, soit un colon israélien, producteur de vin dans une colonie de Cisjordanie… Mais pourquoi donc un colon producteur de vin s’engage-t-il personnellement dans une telle procédure hors d’Israël ? Pour le comprendre et pour saisir tous les enjeux de cette affaire, il convient de remonter le fil de l’histoire des vins israéliens produits dans les colonies, histoire dans laquelle l’AFPS a joué et continuera à jouer un rôle majeur.
L’AFPS agit pour faire respecter la réglementation
Tout commence en novembre 2015, lorsque l’UE produit une « communication interprétative relative à l’indication de l’origine des marchandises issues des territoires occupés par Israël depuis juin 1967 ». Un an plus tard, en novembre 2016, le Ministère de l’Économie et des Finances publie un « avis aux opérateurs » qui reprend l’essentiel de la communication de l’UE, en particulier, l’obligation, pour les opérateurs français, d’ajouter la mention « colonie israélienne » sur les étiquettes des produits concernés.
Aussitôt, certains groupes locaux de l’AFPS se saisissent de ces textes. En s’appuyant sur le fait qu’il est très difficile, voire impossible, de tricher sur le lieu de production des vins, ils entreprennent des repérages qui débouchent sur des constatations d’infractions signalées aux distributeurs et vendeurs français contrevenants et aux administrations chargées de faire respecter les réglementations, les DDPP [2]. C’est ainsi que des actions notables sont menées, entre autres, par le GL de Montpellier à l’occasion du salon des vins Vinisud, par le GL Palestine 33 à l’encontre de la Cité du vin à Bordeaux ou par les GL de Loire Atlantique et Lorraine Sud concernant la présence de ces vins dans des grandes surfaces locales.
Dans le courant de l’année 2017, le Groupe de travail BDS se donne un double objectif sur cette question : appuyer, ou reprendre au niveau national, les démarches entreprises par ces GL et faire une recherche systématique des infractions commises sur internet par les sites de vente de vins en ligne, les signaler aux administrations et suivre très régulièrement et avec insistance l’avancée des dossiers par des appels téléphoniques aux administrations concernées, partout en France. Depuis janvier 2017, 11 dossiers de signalement d’infractions ont été déposés par l’AFPS qui ont donné lieu à l’envoi de 37 courriers et un nombre encore plus important d’appels téléphoniques aux administrations.
Ces interventions persévérantes et répétées ne sont pas du goût de ceux qui, en Israël et en France, entendent développer et légitimer la colonisation. Nous savons qu’ils ne reculeront devant rien pour nous faire taire comme en témoignent les attaques ignobles dont ont été victimes les responsables du GL Paris 14-6 pour avoir signalé le non-respect des réglementations par deux supermarchés Franprix parisiens : création d’un faux profil Facebook publiant des messages orduriers, utilisation frauduleuse du numéro de téléphone du GL, insultes et menaces téléphoniques.
Des références bibliques à la rescousse des colons producteurs
Parallèlement à ses actions de repérage et de signalement des vins « illégaux », le GT BDS mène des recherches sur l’ensemble de la question des vins en provenance d’Israël qui vont, entre autres, aboutir à découvrir l’existence du colon auteur de la requête auprès du Conseil d’État : Yaakov Berg, producteur du vin Psagot, implanté dans une colonie de Cisjordanie. La lecture d’un article du Times of Israël (journal pourtant peu suspect de sympathie pour la cause palestinienne) nous apprend que le développement de la viticulture dans les colonies de Cisjordanie est un moyen essentiel de légitimation des colonies : « Pour Yaakov Berg et ses concurrents de Cisjordanie, la viticulture en Cisjordanie est un mélange de commerce et d’idéologie. Ils ont commercialisé avec succès, à la fois, leur vin primé et les colonies auprès du public israélien… Yaakov Berg décrit la vie juive et la viticulture florissant en Cisjordanie comme une affirmation de la justesse pour les juifs du projet sioniste de retourner à leur patrie biblique… » Et Berg de préciser : « La terre n’accepterait pas quelqu’un d’autre. Elle a attendu que ses fils reviennent… Le vin est la meilleure chose qui pouvait arriver à la Judée et à la Samarie… ». [3]
Le Times of Israël indique également que « le vin fait partie d’une stratégie relativement nouvelle visant à normaliser les colonies de Cisjordanie » [4]. Et, cerise sur le gâteau pour les colons, l’ONG israélienne Who Profits note que « les vignobles bénéficient d’un soutien gouvernemental généreux, même au-delà de ce qui est offert aux colonies. »
De plus, cette stratégie trouve un appui international concret à travers l’action de l’association évangélique Ha Yovel qui recrute des volontaires, majoritairement venus des États-Unis pour participer bénévolement aux vendanges dans les colonies israéliennes de Cisjordanie ainsi que le révèle un récent article du journal Le Monde [5] « Ha Yovel entend contribuer à la restauration prophétique de la terre d’Israël en la faisant fructifier… Le fondateur de Ha Yovel cite la bible : “Tu (Israël) sera planté de vignes sur la montagne de Samarie » (Jérémie 31,5)”… Depuis ses débuts en 2007, Ha Yovel a mobilisé plus de 1 800 bénévoles pour les vendanges en Cisjordanie. Un clair soutien à la colonisation dans les territoires palestiniens occupés que ces chrétiens considèrent comme le coeur historique d’Israël… »
Poursuivre le combat
Dans ces conditions, le développement des caves dans les colonies en Cisjordanie a explosé ces dernières années. Le Times of Israël précise encore que « les colonies de Cisjordanie abritent 29 des 150 établissements viticoles d’Israël, contre seulement 14 dans la célèbre région viticole du Golan » [6]. Parallèlement à ce développement, on assiste à des actions terroristes menées par des colons visant à détruire des vignes palestiniennes. C’est ainsi que le 5 juillet 2018, 350 pieds de vigne ont été coupés dans la localité d’Al Khader au sud de Bethléem.
Dans ce contexte, il devient facile de comprendre que l’action persévérante de l’AFPS gêne au plus haut point le gouvernement d’Israël, les colons producteurs de vins et leurs alliés, en France, qui se dissimulent à peine derrière leur façade d’importateur, distributeur ou vendeur de vins. Leur démarche de légitimation et de normalisation des colonies est attaquée de front ! Il s’agit, à l’évidence, d’un enjeu essentiel sur lequel il ne faut rien lâcher. Même si le gouvernement français a pris la scandaleuse décision de suspendre toutes les poursuites d’infractions, affichant, ainsi, sa complicité avec les pratiques coloniales, il convient de poursuivre la traque des vins des colonies et la mise au jour de l’enjeu majeur que cette question représente dans la tentative de normalisation des colonies. Dans la mesure où, comme le note Who Profits « toutes les grandes entreprises vinicoles israéliennes utilisent, pour leurs vins, des raisins provenant de Cisjordanie et beaucoup de ces entreprises possèdent des vignobles en Cisjordanie. », il convient également de n’acheter aucun vin en provenance d’Israël et d’appeler à ne pas en acheter.