La Cour pénale internationale (CPI selon son acronyme) juge des personnes et ne doit pas être confondue avec la Cour internationale de justice (CIJ) qui se prononce sur les litiges entre États, comme dans l’arrêt historique du 9 juillet 2004 déclarant illégal le Mur israélien en Palestine occupée.
Créée en 1998 avec l’adoption par 120 pays du « Statut de Rome », elle est entrée en activité une fois le statut ratifié par 60 pays, le 1er juillet 2002. À la différence des tribunaux temporaires créés pour des cas spécifiques comme l’Ex-Yougoslavie ou le Rwanda, sa compétence n’est pas limitée dans le temps ou l’espace. Elle s’applique aux crimes commis à partir du 1er juillet 2002 et peut s’auto-saisir pour tout cas relevant d’un pays ayant ratifié le statut.
Plusieurs pays ont refusé cette juridiction : la Russie, la Chine, l’Inde, les États-Unis… et Israël. Les États-Unis ont, dès l’origine, fait pression pour dissuader les états de rejoindre la CPI, l’administration Bush menaçant plusieurs pays latino-américains en cas de ratification.
La Palestine ? Sa première déclaration d’acceptation de compétence déposée le 21 janvier 2009 avait été rejetée en 2012 au motif qu’elle n’était pas encore un état mais elle a obtenu, le 29 novembre de cette année-là, le statut d’« État observateur non membre » à l’ONU.
Le 30 décembre 2014 elle a ratifié les Conventions de Genève et le 2 janvier 2015 a adhéré au Statut de Rome. Son adhésion est devenue effective le 1er avril 2015. Sans attendre cette date, la Procureure, Fatou Bensouda, s’appuyant sur le vote du Conseil des droits de l’homme de l’ONU du 23 juillet 2014 (au moment de l’attaque contre Gaza), avait ouvert le 16 janvier des investigations préliminaires sur les crimes présumés commis dans les territoires palestiniens.
Dès ce moment, les amis d’Israël ont tenté de neutraliser l’adhésion de la Palestine. La Nouvelle-Zélande (dirigée alors par le Parti National) présentait le 30 octobre 2015 un projet de résolution au Conseil de Sécurité « pour apaiser les violences entre Israéliens et Palestiniens et relancer le processus de paix ». Idée lumineuse : échanger l’arrêt des constructions dans les colonies contre la renonciation de la Palestine à saisir la CPI…
Autrement dit, pour « apaiser les violences », on devait renoncer à poursuivre des crimes. J. O’Donohue, conseiller juridique d’Amnesty International, répond alors : « Il n’y a pas de paix durable sans justice (…) Le projet présenté par la Nouvelle-Zélande priverait des milliers de victimes palestiniennes et israéliennes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité de leur seule chance de se faire entendre devant les tribunaux ».
Une position viciée, comme le soulignera Shawan Jabarin, directeur de l’ONG palestinienne Al-Haq :
Ce mécanisme est un moyen de bâtir la paix, pas seulement un outil pour punir, mais aussi un outil de prévention pour bâtir une culture et une conduite dans la guerre qui soit respectueuse du droit humanitaire. Cela affectera aussi notre société et notre résistance.
La violence des réactions américaines est constante. Ainsi en septembre 2018, à la suite du projet de la CPI d’enquêter sur les crimes de guerre commis par l’armée américaine en Afghanistan, John R. Bolton, alors conseiller de Trump, menaçait les magistrats de la CPI de sanctions : « Nous allons interdire à ces juges et procureurs l’entrée aux États-Unis […et] engager des poursuites contre eux dans notre système judiciaire. Si la Cour s’en prend à nous, à Israël ou à d’autres alliés des Américains, nous n’allons pas rester silencieux. »
Le 20 décembre dernier (voir Pal Sol 71) Fatou Bensouda se prononçait pour l’ouverture d’une enquête :
Je suis convaincue qu’il existe une base raisonnable justifiant l’ouverture d’une enquête dans la situation en Palestine en application de l’article 531 du Statut. En résumé, je suis convaincue : a) que des crimes de guerre ont été commis ou sont en train de l’être en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza ; b) que les affaires susceptibles de résulter de la situation en cause seraient recevables ; et c) qu’il n’existe aucune raison de penser que l’ouverture d’une enquête desservirait les intérêts de la justice.
Réponse immédiate de Netanyahou : « pur antisémitisme » de la procureure. Elle juge alors prudent de se border juridiquement en demandant à la Chambre préliminaire de la Cour de s’assurer que sa compétence vaut pour le territoire palestinien occupé. En réalité, ceci ne devrait pas souffrir de contestation dès lors que la Palestine a pu adhérer au Statut de Rome et formuler ses requêtes. C’est ce que pense le professeur canadien de droit international William Schabas qui fait valoir qu’une fois que la Palestine a été acceptée comme État partie au Statut de Rome, personne, y compris la chambre préliminaire de la CPI, n’a plus le pouvoir de contester ce fait. Et en tant qu’État partie, la Palestine remplit clairement les critères de l’État requis, affirme-t-il.
Sauf qu’en urgence plusieurs États (Allemagne, Autriche, République tchèque, Hongrie, Brésil, Australie et Ouganda) volent au secours d’Israël comme « amis de la Cour » pour argumenter sur l’incompétence de cette dernière, avançant le fait que la Palestine n’est pas vraiment un État. Comble d’ironie, un juriste reconnu, Robert Badinter pour ne pas le nommer, intervient lui aussi, et au même titre, et dans le même sens. Il ne se place pas du point de vue qu’on attendrait de lui, celui des victimes, mais sur le seul terrain où il pense avoir une chance d’être entendu pour protéger Israël, celui de la forme. En somme, il y a des victimes mais dommage pour elles, elles n’appartiennent pas à un État relevant de la compétence de la CPI ! Les naïfs que nous sommes attendaient mieux d’une icône des droits de l’homme.
Il est par contre remarquable que l’ONG israélienne B’Tselem ait déposé un solide argumentaire pour appuyer la recevabilité, tout comme l’ensemble des ONG palestiniennes.
A vrai dire, nous arrivons au moment de vérité. Et c’est là que la position de la France fait plus qu’interroger. Elle avait pesé de tout son poids, quels que soient ses gouvernements, pour la création de la CPI et incité à son extension universelle. Elle se tait aujourd’hui et reste sans réaction face aux menaces de l’administration américaine. Elle avait pourtant voté in extremis pour l’admission de la Palestine comme État observateur à l’ONU. Elle aurait pu se déclarer « amie de la Cour » et ne l’a pas fait. Trop tard ?
Pas du tout. Elle peut même faire mieux : mettre à la disposition de la Cour, qui n’a aucun moyen d’investigation sur place du fait de l’interdiction israélienne, les informations de première main dont elle dispose grâce à sa présence diplomatique. Il lui suffit de verser officiellement à la Cour les rapports annuels des chefs de mission diplomatique en poste à Jérusalem et Ramallah.
Ce serait là, enfin, une contribution à la hauteur de nos obligations pour la recherche de la vérité et de la justice.
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