Photo : Les gardiens israéliens font subir des abus aux détenus palestiniens à la prison de Meggido, avril 2025 © Motassem A Dalloul
La Haute Cour de justice israélienne a statué dimanche que l’État devait garantir un niveau minimum d’alimentation aux prisonniers palestiniens détenus dans les prisons israéliennes pour des raisons de sécurité. Cette décision fait suite à une requête déposée en avril 2024 par deux organisations israéliennes de défense des droits humains, l’Association pour les droits civils en Israël et Gisha – Centre juridique pour la liberté de circulation, après la multiplication des preuves de torture, de mauvais traitements et de privation de nourriture.
Les trois juges « ont statué à l’unanimité que le service pénitentiaire est tenu par la loi de fournir aux prisonniers détenus pour raisons de sécurité les conditions de base nécessaires à leur existence, y compris la quantité et les types de nourriture appropriés pour maintenir leur santé », selon le résumé de la Cour.
Noa Sattath, directrice exécutive de l’ACRI, a déclaré dans un communiqué que cette décision « représente une victoire cruciale pour l’État de droit et la dignité humaine. La Cour suprême a rejeté sans équivoque la politique de privation systématique de nourriture menée par le ministre [Itamar] Ben-Gvir, affirmant que même en temps de guerre, Israël doit respecter les normes fondamentales en matière de droits humains ».
Cette décision est arrivée trop tard pour un nombre indéterminé de prisonniers qui ont été maltraités, torturés et affamés depuis le 7 octobre.
Fin août, Haaretz a rapporté que l’administration pénitentiaire refusait de restituer le corps d’un prisonnier palestinien de 17 ans décédé en détention. Il était en bonne santé lorsqu’il a été arrêté et accusé d’avoir lancé un cocktail Molotov. Il est mort après six mois de prison ; l’autopsie officielle a révélé qu’il souffrait de « malnutrition, de scorbut et d’une infection intestinale ». Dans une autre affaire, un homme de 40 ans faisant l’objet d’une enquête du service de sécurité Shin Bet est mort après être tombé d’un étage élevé, alors qu’il était menotté.
S’agit-il d’incidents malheureux, mais inhabituels ?
Alex de Waal, l’un des plus grands experts mondiaux en matière de famine et d’affamement, a déclaré à Haaretz en juillet que « tout ce que nous savons sur le déroulement d’une famine nous indique que ce sont les actions d’Israël qui ont créé ces conditions ». Il a ensuite écrit dans le New York Times que « la famine prend du temps ; les autorités ne peuvent pas affamer une population par accident ». Si tel est le cas, les prisonniers des prisons israéliennes ne peuvent certainement pas être affamés ou maltraités accidentellement. De plus, ces pratiques n’étaient ni cachées, ni récentes.
Les médias israéliens ont fait état de graves abus commis à l’encontre de prisonniers palestiniens détenus pour des raisons de sécurité depuis le début de la guerre, notamment Haaretz, +972 Magazine et son site hébreu Local Call. Les rapports datent de fin 2023 et début 2024. En mars de cette année-là, Hagar Shezaf, journaliste à Haaretz, a révélé que 27 détenus de Gaza arrêtés depuis le 7 octobre ou depuis le début de la guerre étaient morts dans des établissements israéliens. En avril 2024, les organisations de défense des droits humains ont déposé leur requête auprès de la Haute Cour.
Fin juillet 2024, tous les grands médias israéliens ont rapporté un cas de sodomie commise par des gardiens sur un prisonnier à la prison de Sde Teiman, mais comme ces médias couvraient rarement le sujet, la plupart des Israéliens y ont vu une anomalie, comme d’habitude. En août 2024, B’Tselem a publié un rapport accablant documentant les abus systématiques dont sont victimes les prisonniers sécuritaires.
En d’autres termes, le public aurait pu être au courant, mais il ne l’était pas, ou s’en moquait. Une poignée de personnes ont même participé à une émeute pour soutenir les auteurs des abus à Sde Teiman. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, responsable du service pénitentiaire israélien, est fier de sa politique, même si les rapports faisant état d’abus et de privation de nourriture se sont succédé presque sans interruption de fin 2023 à 2025. Le 6 juillet, Shezaf a rapporté que 73 prisonniers ou détenus palestiniens étaient morts en détention, selon le Club des prisonniers palestiniens.
Revenons à la décision rendue dimanche par la Haute Cour : la longue attente du verdict, près de 18 mois après le dépôt de la requête, « semble sans précédent », a déclaré Tania Hary, directrice de Gisha, dans une interview accordée à Haaretz. La requête d’avril 2024 a été présentée comme urgente lors de son dépôt, et Tania Hary pose la question suivante : « Y a-t-il un cas qui mérite davantage le qualificatif d’« urgent » que [la question de savoir] si les gens ont suffisamment à manger ? »
Mais la cour que les libéraux israéliens traditionnels aiment et soutiennent massivement ces dernières années a largement échoué à protéger les droits humains des Palestiniens. La cour que la droite israélienne adore détester a statué en avril dernier qu’Israël n’occupe ni ne contrôle Gaza, et n’est pas tenu d’apporter une aide humanitaire aux civils qui s’y trouvent, mais seulement de la laisser entrer, en vertu du droit de la guerre.
Il est à noter que bon nombre des excuses avancées par Israël pour justifier la famine dans la bande de Gaza se concentrent sur le sort malheureux de l’aide une fois qu’elle entre dans la bande. La Cour n’a même pas tenu d’audience sur une autre requête urgente visant à mettre fin à la famine à Gaza, déposée en mai ; les requérants ont demandé à la retirer en signe de protestation.
Après la fusillade meurtrière perpétrée lundi par des Palestiniens, qui a fait au moins six morts dans un bus à Jérusalem, et après la mort de quatre soldats supplémentaires de l’armée israélienne à Gaza, il sera trop facile pour beaucoup de minimiser l’importance des droits fondamentaux des prisonniers, dont certains ont participé à des attentats terroristes (tandis que d’autres n’ont jamais été condamnés et que certains n’ont même jamais été inculpés). Mais les Israéliens qui nient la famine à Gaza auront beaucoup plus de mal à se décharger de leur responsabilité dans la famine, les mauvais traitements, la torture et la mort des Palestiniens dans les prisons israéliennes, sur un territoire souverain, où il n’y a pas de complot du Hamas, de l’ONU ou des médias internationaux à blâmer.
Traduction : AFPS