Ben & Jerry’s et sa société mère Unilever ne seraient pas parvenus à un accord négocié dans le cadre de leur différend découlant de la décision du fabricant de glaces de cesser leurs ventes dans les colonies israéliennes de Cisjordanie occupée.
"Les discussions n’ont pas abouti parce que Ben & Jerry’s ne veut pas céder sur sa mission sociale et sa position sur les droits humains en Palestine", a rapporté Reuters vendredi, citant une "source anonyme ayant une connaissance directe".
Cela signifie que l’affaire retournera au tribunal fédéral de New York après une interruption de deux semaines pour donner une chance à la médiation.
Au début du mois, Ben & Jerry’s a poursuivi Unilever pour avoir vendu la marque et les droits du fabricant de crème glacée en Israël à son licencié local Avi Zinger et à sa société AQP.
Unilever a admis dans des documents judiciaires que cette démarche visait à alléger la pression des forces pro-israéliennes.
Aux termes de l’accord, le titulaire de la licence israélienne - désormais propriétaire potentiel de la marque en Israël - continuerait à vendre des produits Ben & Jerry’s dans les colonies, malgré les objections de la société Ben & Jerry’s, basée dans le Vermont.
L’accord a été salué par les groupes de pression israéliens et par Yair Lapid, le premier ministre israélien, comme une victoire sur le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) en faveur des droits des Palestiniens.
Mais Ben & Jerry’s affirme qu’Unilever n’avait pas le droit de conclure cet accord.
L’action en justice allègue qu’Unilever a violé l’accord signé lors de l’acquisition de Ben & Jerry’s en 2001. Cet accord donne au conseil d’administration indépendant du fabricant de crème glacée le pouvoir de décision ultime sur sa mission sociale et "l’intégrité de la marque".
Depuis que Ben & Jerry’s a annoncé, en juillet 2021, que l’entreprise mettait fin à son accord de licence en Israël afin d’arrêter les ventes de colonies, cette dernière et sa société mère ont fait l’objet de pressions et de menaces intenses de la part d’Israël et de ses partisans.
Naftali Bennett, le premier ministre israélien de l’époque, s’est entretenu avec le PDG d’Unilever, Alan Jope, le mettant en garde contre de "graves conséquences."
Le gouvernement israélien a également écrit aux gouverneurs de dizaines d’États américains pour leur demander de punir Ben & Jerry’s pour son action "antisémite".
Les groupes de pression israéliens ont même organisé une manifestation à New York où le fabricant de glaces a été accusé de "haine des Juifs".
I urged them to act against @benandjerrys decision to not sell its products in the eastern part of Jerusalem and Judea & Samaria. We will make clear to Ben & Jerry’s that its antisemitic decision will have consequences. 2/2
— Ambassador Gilad Erdan גלעד ארדן (@giladerdan1) July 20, 2021
Céder devant l’intimidation israélienne
Unilever - une multinationale qui utilise également le nom Conopco - a maintenant admis que la campagne d’intimidation menée par Israël a fonctionné.
Bien qu’Unilever ait "initialement espéré pouvoir respecter la décision politiquement chargée du conseil d’administration sans avoir à intervenir et à faire valoir ses propres droits pour protéger Ben & Jerry’s et ses parents, il est devenu clair au début de l’année qu’elle ne pouvait plus le faire", a déclaré Unilever dans un document déposé au tribunal au début du mois.
"La volonté du conseil d’administration de mettre fin à l’activité de Ben & Jerry’s en Cisjordanie pour protester contre les politiques du gouvernement israélien a soumis Unilever, Conopco et Ben & Jerry’s à de multiples poursuites judiciaires, à des allégations selon lesquelles ils violeraient la loi israélienne et les lois ou politiques de plusieurs États américains, ainsi qu’à des désinvestissements importants de la part des actionnaires.
"Face à ces menaces, Unilever et Conopco ont conclu qu’une vente limitée des activités de Ben & Jerry’s en Israël était le meilleur moyen d’équilibrer les préoccupations concurrentes en jeu et de protéger les intérêts d’Unilever, de Conopco et de Ben & Jerry’s", ajoute le document.
Il est clair que le conseil d’administration de Ben & Jerry’s n’était pas d’accord et qu’il a vu dans cette démarche un effort sournois pour annuler une décision qu’il avait parfaitement le droit de prendre.
Si l’objectif d’Unilever était d’apaiser Israël et de faire disparaître le problème de Ben & Jerry’s, il a clairement échoué alors que la controverse s’intensifie.
Les principes vides d’Unilever
Il est également peu probable que Ben & Jerry’s soit satisfait des commentaires condescendants formulés cette semaine par le PDG d’Unilever, Alan Jope.
"Il y a beaucoup de choses à se mettre sous la dent pour Ben & Jerry’s sur leur mission de justice sociale sans s’égarer dans la géopolitique", a déclaré Jope mardi. "Je suis sûr que la marque continuera à jouir d’un avenir très brillant en faisant exactement cela".
Jope a dit à Ben & Jerry’s de s’en tenir à des questions plus sûres comme l’urgence climatique et la "justice sociale" - comme si le droit des Palestiniens à être libérés de l’occupation militaire et de la colonisation brutale n’était pas une question de justice sociale.
Comme de nombreuses entreprises, Unilever prétend suivre les principes de la responsabilité sociale des entreprises.
La firme affirme que "nous voulons voir une société où tout le monde est traité de manière égale" et qu’Unilever "travaille à créer un monde plus juste et plus inclusif socialement."
"Trop de gens sont exclus et sous-représentés simplement en raison de ce qu’ils sont", reconnaît Unilever.
Mais tout cela n’est manifestement que du langage marketing de la part d’une entreprise dont le seul objectif - sans surprise - est de maximiser les profits.
Avec sa décision de cesser de tirer profit du vol violent par Israël de terres et de vies palestiniennes, Ben & Jerry’s a - enfin - pris des mesures pour défendre exactement les principes qu’Unilever prétend défendre.
Mais la réaction d’Unilever a été de remuer ciel et terre pour réconforter et apaiser les oppresseurs.
Unilever condamne et boycotte la Russie
L’hypocrisie et la lâcheté d’Unilever sont d’autant plus évidentes que l’entreprise a imposé un boycott majeur de la Russie, interrompant presque toutes ses activités dans ce pays en raison de la décision de Moscou d’envahir l’Ukraine.
"Nous continuons à condamner la guerre en Ukraine comme un acte brutal et insensé de l’État russe", a déclaré Jope en mars.
"Nous nous joignons aux appels à la fin de cette guerre et espérons que la paix, les droits de l’Homme et l’état de droit international prévaudront", a conclu le PDG d’Unilever.
Une fois de plus, Unilever démontre qu’Israël est toujours l’exception à ces nobles principes. Non seulement Tel Aviv est autorisé à bafouer le droit international et à violer les droits humains en toute impunité, mais il est récompensé pour cela.
En s’en tenant à sa décision de principe, Ben & Jerry’s donne un exemple rare, mais un exemple que d’autres auront, espérons-le, le courage de suivre.
Traduction : AFPS / DD