Mais, dans le cas contraire, le livre conforte nombre d’idées reçues et clichés sur les deux peuples et leurs réalités. Il trompe des lecteurs de parfaite bonne foi.
Il a été et est abondamment relayé dans les milieux scolaires, des bibliothèques et librairies, notamment pour la jeunesse. Il me semble donc important d’en décrypter les présupposés.
A travers les deux jeunes personnages, Tal, l’Israélienne et Naïm, le Palestinien , quelles images des deux peuples ?
Image d’Israël
Toute l’évocation d’Israël est positive.
Tous les Israéliens décrits sont « pour la paix » et respectueux des arabes*. Pas un colon, pas un raciste, pas un patron abusif, pas un juif intégriste, juste des "juifs pieux en habit noir".
Le mot "haine" est toujours employé comme vécue par les Palestiniens, vue dans leurs yeux, dans leurs paroles. C’est oublier les sondages indiquant une haine grandissante des Israéliens envers les Arabes, y compris envers les Palestiniens "citoyens" d’Israël. Et les affiches claironnant à Hébron : « j’en ai tué deux (Palestiniens). Et toi ? ». Et les partis politiques appelant au transfert (c’est à dire la déportation) des Palestiniens hors d’Israël.
Tal ne nomme pas la cause essentielle de la situation, à savoir l’occupation israélienne et le non-respect des droits des Palestinien malgré ce que l’ONU et le Droit international affirment depuis des années. Au contraire, elle exprime, à plusieurs reprises, des questions (sans réponses, bien sûr) : comment cela a commencé ? comment pourrait-on faire que cela aille mieux ? qui pourrait bien agir ? pourquoi la violence palestinienne ? Elle parle souvent d’espoir.... Comme si les deux peuples étaient à responsabilités égales dans la situation et non, l’un occupant, l’autre occupé. Elle laisse entendre qu’Israël ne fait que se défendre puisqu’elle justifie la violence israélienne "parce qu’il y a des attentats, bien sûr", oubliant (?) que ceux-ci n’ont commencé que bien après l’expulsion de 1948 et la dépossession de 1967.
Charles Enderlin dans son dernier livre montre, au contraire, comment Israël utilise une stratégie de provocations comme les "assassinats ciblés", déclenchant en réponse les attentats-suicides, ce qui lui permet des représailles systématiques. Les chiffres sont parlants : en 2006, 23 Israéliens tués dont 6 des services de sécurité mais 660 Palestiniens tués dont 322 ne prenaient pas part aux hostilités.(Chiffres de B’Tselem, association israélienne pour les droits de l’homme.).
V. Zenatti règle en deux mots la question de la violence israélienne : l’armée en fait autant mais "chez nous, il y a des gens qui protestent". Elle se flatte de grandes manifestations "pacifistes". Celles-ci, précisons-le, ont toujours été très minoritaires quand il s’agissait de rendre les Territoires aux Palestiniens, d’observer les abus des soldats sur les check-points ou de protester contre les exactions ou les crimes de guerre de l’armée. Au printemps 2002, quand l’armée a réoccupé les villes de Cisjordanie, il n’y a eu que quelques voix de protestation, comme l’été 2006 pendant l’attaque massive de Gaza.
Répétons-le, les Israéliens engagés "pour la paix" existent, même s’ils sont très minoritaires. Mais, ils n’attendent pas de "formule magique", ils ne se contentent pas d’"espérer". Ils nomment l’occupation israélienne, la désignent comme cause fondamentale de la violence de la situation et luttent contre elle, aux côtés des Palestiniens.
Ils racontent souvent comment leur éducation, raciste, les conditionne à estimer que ce qu’ils font, aussi immoral et illégal soit-il, est toujours "justifié" puisqu’ils se "défendent". Reconnaître la réalité a exigé d’eux une profonde remise en cause. Ce que ne fait pas du tout la jeune Tal.
En plus du conflit sur le terrain, il se joue aussi une guerre de perceptions et de représentations. En relayant le discours de diabolisation des Palestiniens et de délégitimation de leur résistance à l’occupation israélienne, V. Zenatti et son livre y jouent bien leur rôle.
Image de la Palestine
Elle est égative et stéréotypée. La réalité de l’occupation est occultée.
Rappelons, même si cela va de soi, que ce "Palestinien" n’est qu’un artifice d’écriture et que ce sont les opinions de l’auteur que nous lisons !
Dans une interview, V.Zenatti dit que pour les besoins de la fiction, elle a voulu qu’un des deux "personnages soit cynique, haineux" et ... le personnage "haineux", c’est le Palestinien !
Lui, n’est pas bien dans sa vie. Mais étrangement, il parle plus de ce qu’il reproche à son propre peuple que de ce qu’il subit chaque jour en raison de l’occupation israélienne ! Le nombre des personnages israéliens et leur variété permettent à V. Zenatti de les développer dans leurs particularités. En choisissant de faire de Naïm un être mal inséré dans sa société, elle l’isole et élimine la possibilité qu’il décrive des situations variées et plus complètes de son côté !
Naïm présente une société palestinienne pleine d’images caricaturales et simplistes mais conformes aux clichés habituels.
Deux pages sur les jeunes qui « jouent à jeter des pierres », s’attaquent aux soldats et sont complaisamment filmés par les « journalistes qui n’attendent que çà ». Il est indispensable de rappeler que si les jeunes sont dans la rue, c’est que les conditions d’habitation et d’enclavement dues à l’occupation les y contraignent. Que l’autre lieu où les enfants pourraient être, à savoir les maisons, sont de plus en plus ciblées par l’armée qui y pénètre brutalement à toute heure, y malmène ou arrête les adultes de la famille. Que souvent ce sont les soldats eux-mêmes qui bloquent le passage vers l’école ; à moins que les locaux de l’école n’aient été réquisitionnés par l’armée. Voir les traces de rafales de mitraillette dans les murs des classes à hauteur d’enfant donne une autre image de la situation que le petit spectacle proposé par l’auteur. Ainsi que le nombre des enfants tués entre autres par balles ! Dommage que le livre ne propose pas un seul dialogue avec les mots d’un de ces enfants palestiniens qui sont "80%" à être "blessés, ou traumatisés par un acte de guerre...".
Les commentaires sur les « journalistes qui n’attendent que çà », font fi des grandes difficultés des médias pour accéder aux territoires palestiniens occupés, sans l’accord d’Israël, et des pressions exercées sur les journalistes, photographes pour y montrer l’action de l’armée. Si la réalité palestinienne est si bien montrée, comment expliquer le choc décrit par les visiteurs, élus ou autres, quand ils se rendent sur place ?
Naïm parle de la situation comme une guerre entre les 2 peuples où tout le monde s’entre-tue sans explication. Un Palestinien, même enfant, à Gaza subit chaque jour directement les exactions, l’oppression et les contraintes de l’armée israélienne. Il comprend très vite qui est occupant et qui est occupé. Il n’y a pas à s’en souvenir, chaque minute de sa vie le lui rappelle.
La description du début du conflit est inexacte et inverse la chronologie des évènements donc les responsabilités. Dès novembre 1947, les forces juives ont attaqué, réalisant ce qu’on nommerait aujourd’hui un nettoyage ethnique. La fuite mais surtout l’expulsion par la force des habitants de Jaffa, et autres villes et villages palestiniens ont eu lieu avant le 14 mai 1948, date de déclaration d’indépendance de l’état d’Israël. Et pendant des mois. La déclaration de la guerre par les Arabes n’a eu lieu que le 15 mai 1948.
« Nous les musulmans » dit Naïm. V Zenatti ignore-t-elle que les Palestiniens sont aussi chrétiens, et dans ce cas, aussi mal traités par les Israéliens ? En tout cas, cette phrase entretient dans la tête des lecteurs la confusion habituelle et permet des diatribes anti-islam, qui donnent là aussi une image grossièrement caricaturale.
Un élément essentiel est la question des colonies. Elle est traitée en 2 lignes. Pas de description des colonies que Naïm appelle, comme un Israélien, des "implantations" : rien sur leur droit à construire des maisons, et à creuser des puits profonds leur donnant eau en abondance, et piscines pleines quand les Palestiniens n’ont pas de quoi arroser leurs cultures. Rien sur le nombre de soldats qui les accompagnent, sur les routes réservées qui découpent le territoire et rend kafkaïenne la circulation. Rien sur leur extrémisme religieux, sur leur agressivité et leur surarmement. La dévoration incessante par les colonies de l’espace palestinien est le coeur à la fois du problème et de la solution du conflit. Et Naïm l’effleure seulement !
Le livre présente une image du monde arabe archaïque, peu évolué, bien conforme aux idées reçues, voire racistes. Pas un mot sur les associations pour les droits des femmes mettant en cause les exactions contre elles de Palestiniens et aussi de l’occupation, ni des regroupements de juristes militant pour le respect des droits de l’homme ; rien sur les associations d’agriculteurs, les syndicats affiliés aux structures internationales, le pluripartisme y compris au sein de l’OLP, les élections démocratiques validées par des observateurs européens à plusieurs reprises. Bref, Naïm ne décrit rien des forces modernes et démocratiques qui agissent aussi dans la société palestinienne laissant place à une image incomplète mais conforme aux stéréotypes habituels.
Naïm, bien qu’il en ait atrocement besoin, ne "s’échappe" que pour le happy end du roman, quand la quasi totalité des habitants réels reste bloquée à Gaza, prison où même le ciel est fermé par l’armée d’Israël. Il prévoit de revenir en Palestine après ses études mais de nombreux Palestiniens n’ont pas pu le faire. Cela aussi est soumis à l’autorisation d‘Israël.
En résumé, en lisant ce livre, le lecteur français est conforté dans tout ce que les médias répètent sur la situation, et l’état d’esprit supposé des 2 peuples. Il peut continuer de croire que les Israéliens désirent la paix mais n’apprend pas que maintenir ou développer la colonisation signifie : choisir la guerre. Il peut continuer de croire que le "dialogue" est la solution alors que celui-ci sans le Droit et la justice est évidemment vain. Il n’apprend pas que les Palestiniens sont d’abord un peuple qui défend ses droits bafoués par une occupation et une colonisation illégitimes. Il n’apprend rien des éléments qui font de cette société palestinienne, une société beaucoup plus proche de nous qu’on ne nous le dit.
Enfin, imaginons que quelqu’un ait fait le choix contraire : le jeune Palestinien, désireux de paix, dans une association palestinienne pour les droits de l’homme confronté à une Israélienne juive agressive, critiquant son peuple, décrivant les juifs intégristes et les inégalités imposées aux femmes, parlant des colons lançant des grenades lacrymogènes dans les maisons palestiniennes ou appelant au meurtre des arabes, expliquant les discriminations dont les Arabes israéliens sont victimes, montrant l’armée qui réprime une manifestation contre le Mur ... On peut parier que le livre aurait été violemment mis en cause comme véhiculant des stéréotypes racistes, voire accusé d’antisémitisme !