Michel Platini
Président de l’UEFA
Objet : coupe d’Europe de football des moins de 21 ans en Israël
Paris, le 11 avril 2012
Monsieur le Président,
En 2010, vous êtes intervenu en votre nom et en tant que président de l’UEFA car vous aviez jugé que les autorités israéliennes discriminaient les Palestiniens dans leur pratique du football. Deux axes apparaissaient alors dans votre analyse :
la liberté de mouvement en Palestine ne leur permettait pas de tenir un championnat normal : contrôles aux check point, temps de déplacement pour un pays de la taille d’un département moyen français, etc…
l’impossibilité de rentrer en Palestine pour des joueurs sélectionnés dans l’équipe nationale et jouant dans un championnat étranger.
Nous n’avons pas l’impression que cela ait changé depuis deux ans, si ce n’est une accélération de la colonisation en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, et un blocus toujours implacable de la bande de Gaza qui entravent gravement la liberté de circulation pour tous les palestiniens.
Nous voudrions vous alerter sur un autre problème : le racisme anti-arabe qui sévit dans le football israélien.
Selon une étude menée à l’Université Ben Gourion par le Professeur Amir Ben Porat, depuis la fin des années 1990 le cri « Mort aux Arabes » n’est pas lancé que par des supporters d’extrême-droite mais il est devenu commun dans pratiquement tous les stades de football en Israël et, du fait de l’importance de ce sport dans la société israélienne, il s’est propagé au-delà des stades. [1]
Le cas le plus extrême est celui du Beitar de Jérusalem. Ce club de première ligue israélienne pratique très ouvertement un racisme violent à l’égard des Arabes israéliens. Le Beitar indique clairement qu’il n’a et n’aura jamais d’Arabes dans son effectif et ses actions violentes sont souvent relatées.
Une vidéo de France 24 disponible sur internet montre la violence de ces hooligans : http://cahiers-ultras.over-blog.com...
Selon le quotidien Haaretz (journal israélien), qui cite des témoins, le lundi19 mars 2012 [2] "des centaines" de supporteurs du Beitar ont envahi le centre commercial de Malha, voisin du stade, en scandant "Mort aux Arabes" pour célébrer leur victoire sur le Bné Yéhouda.
Certains d’entre eux ont craché sur une femme arabe et battu deux employés arabes affectés au nettoyage qui tentaient d’intervenir, les frappant et les poussant violemment contre des vitrines de magasins :
« Les événements dégénèrent rapidement en émeute lors de laquelle les employés de nettoyage arabes, cible directe d’attaques verbales, sont également agressés physiquement, frappés et violentés : "Ils ont attrapé quelques travailleurs et les ont explosé de coups", relate le propriétaire d’une boulangerie située dans l’espace restauration.
D’autres bribes de témoignages éloquentes citées dans le journal révèlent la gravité d’un événement raciste qui a duré beaucoup trop longtemps. En effet, il aurait fallu quarante minutes aux services de l’ordre pour évacuer les hooligans sans qu’aucun ne soit arrêté, faute "de plainte déposée contre eux" selon les dires de la police …
Les trois quotidiens en langue hébreu les plus lus dans le pays protègent d’une indifférence bienveillante l’hooliganisme arabophobe du club de foot beitariste malheureusement réputé pour ses nombreux outrages antidémocratiques. Même complicité honteuse de la part des journaux télévisés, vendredi et samedi.
Sans doute, grâce à la ténacité du journal Haaretz qui publie dimanche 25 mars un second article à la une et l’étaye d’un reportage de fond en troisième page, l’on verra enfin apparaître ce même jour, bon gré mal gré, sur le net, quelques articles supplémentaires. Les téléspectateurs auront droit eux aussi à un court reportage transmis au journal télévisé de la première chaine israélienne, dimanche 25 mars. Quant à la police, suite à la visibilité donnée à des événements que l’on aurait voulu taire, elle annonce l’ouverture d’une enquête judiciaire. » [3]
Les dirigeants du Beitar, condamnant la violence en général, ont osé déclarer qu’il n’y avait pas eu de violence raciste.
Et la police n’est pas intervenue au prétexte fallacieux qu’elle n’était pas au courant, qu’il n’y a pas eu de plaintes. Ce n’est qu’après la dénonciation de ces faits, qualifiés de lynchage par des journalistes, que la justice dut ouvrir une enquête.
Mais quelles seront les sanctions alors que le comportement ouvertement raciste de son public et de ses dirigeants est institutionnalisé depuis longtemps ?
Le grand footballeur arabe israélien Abbas Suan ayant subit des insultes racistes à plusieurs reprises rappelait récemment que, d’après le règlement de l’Association du Football Israélien, un supporter proférant ces insultes pourrait être condamné à deux ans d’emprisonnement. Et demande « comment se fait-il que cela ne soit jamais arrivé ? » [4]
En 2005 Suan échappait de justesse à une bande de supporters du Beitar Jérusalem décidée à le passer à tabac.
Il est de notoriété publique que le club Beitar Jérusalem s’interdit formellement de recruter des joueurs arabes. Les responsables du club ont tous « respecté » cette règle, y compris Luis Fernandez entraîneur du Beitar en 2005-2006. En novembre 2009, le capitaine de l’équipe, Aviram Baruchyan, après avoir évoqué l’idée d’accueillir un joueur arabe, dut se rétracter « S’ils [les fans du Beitar] ne veulent pas d’Arabes dans l’équipe, il n’y en aura pas ».
« Les dérives racistes du Beitar se banalisent dans un championnat où évoluent actuellement une cinquantaine de joueurs arabes israéliens [5] Cette ségrégation doit cesser », s’insurge le journaliste de Haaretz Yoav Borowitz, favorable à un boycott du club. « Que dirait-on si on empêchait des juifs de jouer dans le championnat de France ou d’Angleterre ? ».
La minorité palestinienne de Jérusalem-Est, dont l’annexion par Israël est unanimement condamnée et déclarée illégale par le Conseil de Sécurité de l’ONU [6], « a dû récemment débourser 100 millions de shekels (20 millions d’euros) pour les travaux de rénovation du Teddy Stadium, en prévision de l’Euro Espoirs qu’Israël est supposé accueillir en juin 2013. ». [7]
Mais comment pourrait-elle assister à une quelconque rencontre sportive dans un tel contexte de menaces et d’agressions ?
Si certains clubs de foot ont un comportement « normal », il est à noter que les manifestations racistes ne se limitent pas au Beitar de Jérusalem. Les supporters du SC de Ashdod, par exemple, ont hurlé aussi « Mort aux Arabes » et pourtant l’arbitre a déclaré n’avoir rien vu, rien entendu ! [8]
Tenir cette compétition en Israël en 2013 n’est-ce pas fermer les yeux sur tous ces problèmes ?
Les autorités israéliennes tenteront-elles de faire jouer des matches dans les colonies israéliennes, toutes illégales faut-il le rappeler ?
Le stade du Beitar est l’un des stades où sont prévus des matchs de la coupe d’Europe des moins de 21 ans. Ne serait-ce pas récompenser des comportements odieux, racistes ?
De plus tenir une compétition de l’UEFA à Jérusalem ne revient-il pas à fermer les yeux sur l’annexion de Jérusalem par Israêl alors qu’aucune ambassade d’aucun pays ne se trouve à Jérusalem pour cette raison ?
Le système ouvertement colonialiste d’Israël vis-à-vis de son voisin et l’ensemble des pratiques contraires à la Charte de l’UEFA et de toutes les Chartes relatives au sport ne devraient pas lui permettre, selon nous, d’organiser une telle manifestation surtout orientée vers des jeunes gens de moins de 21 ans.
Dans l’attente de votre réponse,
Veuillez recevoir, Monsieur le Président, l’expression de mes salutations distinguées.
Robert Kissous,
Pour le Bureau National de l’Association France Palestine Solidarité