Leurs auteurs s’attachent à établir l’existence d’un régime d’apartheid appliqué par Israël à l’encontre du peuple palestinien selon la définition du droit international [2]. Ils appréhendent celui-ci « en son entier / dans son ensemble », comme étant victime – où qu’il se trouve – d’une même politique et de pratiques appliquées par un seul et même État. Leurs études débutent dès la création de l’État d’Israël en 1948. Elles rappellent que la vaste opération de nettoyage ethnique qui s’est soldée par l’expulsion de près de 800 000 Palestiniens a été le prélude à la mise en place d’une véritable « ingénierie démographique » planifiée et continue.
Identifier les intentions qui sous-tendent la mise en place et le maintien d’un régime de domination et d’oppression est un préalable indispensable.
Amnesty International résume ces intentions : « Depuis sa création en 1948, Israël mène une politique explicite visant à instituer et à entretenir une hégémonie démographique juive et à optimiser son contrôle sur le territoire au bénéfice des juifs et juives israéliens, tout en minimisant le nombre de Palestiniens et Palestiniennes, en restreignant leurs droits et en les empêchant de contester cette dépossession […] ». Le rapport de 2022 signé Al Haq est plus explicite dans son titre et ses arguments : l’apartheid israélien est un outil du colonialisme de peuplement sioniste.
Ainsi la réalisation du projet sioniste implique l’expulsion des autochtones, la confiscation de leurs biens et parallèlement l’installation de nouveaux occupants exclusivement Juifs. Par la force et par des moyens « légaux », institutionnalisés pour rendre la situation irréversible.
Le régime institutionnalisé de domination raciale mis en place par Israël
Dès 1950, l’État d’Israël promulgue une série de lois discriminant le peuple palestinien et privilégiant l’immigration juive.
La Loi du retour (1950) accorde à chaque personne juive le droit exclusif d’entrer en Israël en tant qu’immigrant. En revanche, les réfugiés palestiniens, chassés lors de la Nakba, se voient refuser le droit de retourner dans leurs foyers et de récupérer leurs biens. La Loi sur la citoyenneté (1952) confère automatiquement la citoyenneté israélienne à toute personne juive qui entre en Israël en vertu de la Loi du retour. Et la refuse à tout Palestinien, même muni de documents témoignant d’un passé de résidence dans le pays.
La Loi sur le bien des absents (1950) légalise la confiscation des terres et des biens des Palestiniens « qui n’étaient pas présents dans leur propriété entre 1947 et 1948 », complétée par d’autres lois visant à légaliser les expropriations et surtout à garantir l’usage exclusif des terres par des Juifs.
La Loi fondamentale Israël État-nation du peuple juif de 2018 vient amplifier ces dispositions suprémacistes et coloniales, notamment en réservant le droit à l’autodétermination aux seuls citoyens juifs.
L’État organise le transfert des biens confisqués aux Palestiniens et en confie la gestion à deux organismes paraétatiques : d’une part, le Fonds national juif, dont la mission est d’empêcher l’accès aux ressources naturelles – dont la terre – par les « non juifs » pour les attribuer exclusivement aux colonies juives, et d’autre part, l’Autorité des terres d’Israël.
Les réfugiés de 1948, les exilés « involontaires » (absents au moment des offensives sionistes), puis ceux de 1967 et les déplacés internes sont interdits de rentrer dans leur foyer, spoliés, privés de nationalité et du droit à l’autodétermination.
Séparés et éloignés dans l’intention de maintenir ce régime
Parmi les lois, politiques et pratiques mises en place pour perpétuer cette domination, on relèvera quatre moyens « légaux » qui ciblent les populations palestiniennes déplacées de force : la fragmentation, le déni du droit au retour, à la résidence et à la nationalité, les transferts forcés et les manipulations démographiques.
La fragmentation. Falk et Tilley ont exposé très clairement comment la fragmentation du peuple palestinien a été la méthode centrale par laquelle Israël a institué et entretenu l’apartheid. Israël a fragmenté le peuple palestinien en quatre « champs » géographiques, juridiques et politiques, distincts : Palestiniens citoyens d’Israël, Palestiniens de Jérusalem-Est, Palestiniens du territoire occupé, Palestiniens réfugiés ou exilés involontaires. Falk et Tilley ont souligné l’importance du « champ 4 », l’interdiction du retour des réfugiés et des exilés devant empêcher tout changement démographique en défaveur des Israéliens juifs. Al-Haq insiste sur les effets recherchés de cette fragmentation : les Palestiniens ne peuvent se déplacer, se rencontrer, vivre ensemble et, surtout, revendiquer leurs droits collectifs, à commencer par le droit à l’autodétermination.
Il convient de souligner l’impact de la fragmentation géographique et politique de près de 2,6 millions de Palestiniens, réfugiés de 1948 et de 1967 et leurs descendants, parfois plusieurs fois déplacés, et vivant dans le territoire palestinien occupé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces réfugiés cumulent les situations discriminantes et oppressives : exil, occupation, blocus.
Le déni du droit au retour, à la résidence et à la nationalité. De 1948 aux années 2020, Israël réitère son refus de laisser rentrer les réfugiés et leurs descendants dans leurs foyers et de restituer leurs terres et leurs biens et/ou de les indemniser. Non seulement en n’appliquant pas les résolutions de l’ONU (194 et suivantes) mais en « enracinant » cette interdiction dans sa législation dans deux domaines essentiels : la terre et la nationalité [3].
La loi sur la citoyenneté de 1952 est toujours en vigueur. Israël interdit toujours aux réfugiés palestiniens déplacés pendant les conflits de 1947-1949 et de 1967, ainsi qu’à leurs descendants, d’obtenir la citoyenneté israélienne ou le statut de résident en Israël ou dans le Territoire palestinien occupé (TPO). Les autorités israéliennes refusent à des milliers de Palestiniens le droit de retour, de résidence et de nationalité en conservant le contrôle du recensement de la population. En 1967, près de 270 000 Palestiniens qui avaient fui les hostilités ou n’étaient pas présents ont été exclus des registres et donc dépossédés de documents reconnaissant leur résidence d’origine. La Loi de 2003 sur l’entrée en Israël et l’ordonnance de 2022 font barrage au regroupement familial découlant d’un mariage.
Les transferts forcés et les manipulations démographiques. Un environnement coercitif est entretenu par les autorités militaires israéliennes pour inciter les populations palestiniennes du territoire occupé à quitter leur lieu de vie, abandonner leur terre, au profit de nouvelles colonies : démolitions de maisons et de biens agricoles, transferts forcés. Sont particulièrement visées les populations palestiniennes de Jérusalem-Est, et les communautés bédouines (du Néguev, à l’est de Jérusalem, dans la vallée du Jourdain, et du secteur de Masafer Yatta).
La planification urbaine est mise au service des modifications démographiques. Ainsi, le tracé du mur a été étudié pour évincer de la municipalité de Jérusalem deux quartiers palestiniens très peuplés (Kfar Aqab et Anata) et le camp de réfugiés de Shu’fat, alors qu’ils se situent dans le périmètre de Jérusalem-Est et que leurs habitants ont le statut de résidents permanents.
Réfugiés victimes d’actes inhumains
Perpétrés par Israël à l’égard de tous les Palestiniens, les « actes inhumains » sont identifiés comme ayant été commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination [4]. De nombreuses violations ont été documentées, en particulier les mesures privant les personnes du droit de quitter leur pays et de revenir, du droit de nationalité, du droit de circuler librement et de choisir sa résidence, les obstacles à la réunification des familles, les transferts forcés, la suspension des droits civiques qui concernent les réfugiés, où qu’ils vivent. Sans oublier les actes de persécution. Entre 1948 et 1956, les forces israéliennes ont tué près de 5000 réfugiés qui tentaient de rentrer chez eux. Les marches du retour en 2018 -2019 ont été violemment réprimées. Hier comme aujourd’hui les forces israéliennes ciblent la résistance qui naît et renaît dans les camps.
Tous ces actes participent d’une même logique : contrôler et tenir à distance les Palestiniens, où qu’ils résident, les empêcher de s’unir pour résister et faire valoir leurs droits.
Les réfugiés palestiniens ne sont en rien un « problème à part » et sans issue. Ils sont partie intégrante d’une même communauté humaine privée de ses droits parce que faisant obstacle à un projet colonial et suprémaciste, encore impuni. Le droit au retour ne pourra s’appliquer sans le démantèlement du régime d’apartheid israélien.
Groupe de travail AFPS sur les réfugiés palestiniens