e pense que la poésie c’est ma façon d’affirmer mon humanité et de me connecter à mon être profond. Dans la vie de tous les jours nous vivons dans ce que j’appelle la surface des choses, essayant de réaliser les petites choses du quotidien mais sans être jamais réellement connecté à son moi profond ni à l’essence de ce moi.
La poésie permet de soulever le voile - votre être est toujours là bien sûr - mais la poésie permet d’atteindre la profondeur de votre être, de plus en plus profondément, ce qui est très thérapeutique....
Parce que si vous laissez votre âme à la surface des choses, vous êtes toujours anxieux, en train de tourner en rond, vous sentant en inadéquation, étranger, vous perdez le sens de sa vie, la raison de vivre et vous vous sentez agoniser. Et c’est très douloureux.
La poésie, c’est juste une façon de vous permettre de vous relier au noyau de votre être. C’est réellement quelque chose de très bon.
J’ai commencé à écrire la poésie comme une sorte de thérapie mais je ne le savais pas. Je ne savais pas que j’écrivais de la poésie parce que j’ai vécu beaucoup d’événements très durs, comme beaucoup de Palestiniens. Je ne suis pas le seul dans ce cas, mais je peux dire que je suis un bon exemple du Palestinien qui a connu toute la gamme de l’oppression israélienne...ou presque.
On m’a tiré dessus, j’ai été blessé à l’âge de 15 ans, je suis allé en prison plusieurs fois, j’ai été torturé par les Israéliens, j’ai été frappé, j’ai failli en mourir parce qu’ils ont piétiné mes blessures. Ils m’ont envoyé en prison deux mois après m’avoir tiré dessus, mais c’est quand ils m’ont piétiné qu’ils se sont rendu compte que j’avais été blessé par balle. Ils ont pris peur parce qu’ils étaient sur le point de tuer un gosse de quinze ans. Ils ont attendu que les marques sur mon corps disparaissent et puis ils m’ont relâché. Donc , on m’a tiré dessus, ce qui m’a préservé de tortures ultérieures, mais le fait est que j’ai bien été torturé.
A cette époque j’étais un gosse de quinze ans, mais je me sentais comme un homme. Mais en y repensant, je n’étais qu’un enfant qui traversait des épreuves terribles.
Je crois que mon premier poème venait de nulle part. Le premier poème que j’ai réellement écrit - je ne sais plus très bien si c’était avant ou après qu’on m’ait tiré dessus - venait de nulle part, mais c’était terriblement beau. J’avais le sentiment de la beauté des mots comme si c’était de la magie, vous comprenez ?
C’était un soir, si je me souviens bien, j’allais me coucher, je me suis endormi, et tout d’un coup je me suis réveillé, et ces mots me sont venus. Les mots étaient comme ça [Saed dit le poème en arabe...], quelque chose comme ça, je ne me souviens plus exactement parce que c’était il y a très longtemps. Mais c’était quelque chose comme ça : « je dirai mes mots et je me fondrai dans le sens des mots ; je les écrirai et j’essaierai de les fondre dans la mélodie de ma chanson ». Quelque chose comme ça... Et je me suis senti au transporté. Le chant était tellement beau ! Vous savez : « je lis et je m’exprime, magnifique ! » D’où cela vient-il ? Ensuite j’ai pris ce poème, c’était ma première année à l’école secondaire, et je l’ai montré à mon professeur. Il a demandé : - « c’est toi qui as écrit ça ? » - « oui, je l’ai écrit hier soir » - « c’est bien ». Il m’a dit de l’envoyer au journal local de Jérusalem. « Vraiment ? »
Et comme au journal il y a une chronique littéraire pour les jeunes débutants, ils l’ont publié. Je planais ! Vous savez, je planais ! J’étais au paradis !
Et puis ceci est arrivé une autre fois après ma terrible expérience, lorsque je suis allé aux USA en 1984, et qu’alors je vivais une sorte d’exil, j’étais parti de Palestine , et j’ai commencé à écrire un journal parce que j’avais tellement d’émotions, et puis étant aussi loin, dans la diaspora, je me sentais coupable parce que mes amis palestiniens eux n’avaient pas pu partir....
[1]
La bicyclette et le char
(El Boskolait Al Saree3ee)
Je chevauchais ma bicyclette
Il menait son F-16 et son char
J’ai chanté ma chanson
Il a tiré et gagné ses épaulettes.
C’est moi le terroriste et lui la victime !
Je suis un martyr maintenant, à l’école je ne suis pas allé
Je suis l’idiot et c’est lui le civilisé.
Quoi que je dise, c’est lui qui a raison
Chaque jour il vous dit « le terrorisme nous le combattons »
Mon arbre déraciné, ma maison bombardée
Ma terre confisquée, ma grand-mère éplorée
Ils fouaillent ma chair, ils me brisent les os, je suis emprisonné.
Ne me tue pas aujourd’hui, j’ai une meilleure idée
Faisons la course, voyons qui va gagner
Le plus rapide deviendra le maître
Moi à bicyclette et toi sur ton char
Celui qui le premier atteindra la Terre d’Amour
Aux générations à venir racontera l’histoire
Saed J. Abu-Hijleh
Naplouse, Palestine occupée
Septembre 2002 [2]