Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
King Kong, le primate géant au cœur d’or, qui escaladait d’énormes constructions et abattait des avions avec le petit doigt.
Ouaou. Le président Kong, l’être le plus puissant sur terre.
CERTAINS d’ENTRE NOUS ont espéré que Donald Trump deviendrait une tout autre personne que le candidat. Dans une campagne électorale vous dites toutes sortes d’inepties. Pour les oublier dès le lendemain.
Mais le lendemain est venu et passé, et les inepties se sont multipliées. L’incroyable Trump dont nous ne croyions pas qu’il existait vraiment est là pour durer – pour quatre ans, au moins.
Le jour de son entrée en fonction, nous avons vu l’absurde spectacle de deux gamins dans la cour d’école rivalisant pour savoir qui l’avait le plus.
Dans ce cas, la plus grande foule à l’inauguration. Il soutenait qu’il avait la plus grande depuis toujours. Comme il aurait pu s’y attendre, en quelques minutes des photos aériennes sont apparues à la télévision, montrant que la foule d’Obama était beaucoup plus importante.
Alors, s’est-il excusé ? Au contraire, il a persisté.
Une porte-parole est intervenue pour expliquer que c’était juste un cas de ‟faits discutables”. Une phrase merveilleuse. Dommage que je ne l’aie pas connue pendant mes longues années de journaliste. Lorsque je dis à midi qu’il est minuit, c’est juste un fait que l’on peut discuter. (Et c’est bien sûr vrai – à Hawaï ou quelque part.)
MES CONNAISSANCES en économie sont très limitées. Mais juste un peu de logique simple me dit que les promesses économiques de Trump ne tiennent pas la route. On ne ‟recrée pas des emplois” avec des discours.
Les emplois manuels ont été perdus du fait de l’automatisation. Les ouvriers britanniques et allemands du textile détruisirent les machines qui leur enlevaient leurs emplois. Cela se passait il y a 300 ans et ne leur a été d’aucune aide. Aujourd’hui Trump regarde cent ans en arrière et veut revenir au passé.
Il y a cent ans il fallait un millier d’ouvriers pour effectuer le travail réalisé aujourd’hui par dix. Cela continuera et s’intensifiera, même si vous brisez tous les ordinateurs du monde.
La mondialisation est dans l’air du temps. C’est le résultat naturel d’une situation qui me permet de réagir aux paroles de Trump dans les secondes qui suivent leur émission. Alors que je peux faire le tour du monde en avion en moins de 80 heures.
Trump n’y peut pas grand chose. Il ne peut pas revenir aux politiques ‟protectionnistes” du 18e siècle. S’il frappe les importations chinoises de droits de douane punitifs, la Chine imposera des droits de douane sur les importations des États Unis. Déjà cette semaine une guerre commerciale a éclaté entre les États-Unis et Mexico.
DES GENS CRÉDULES peuvent croire de tels slogans simplistes. Ce qui nous ramène au problème de la démocratie.
Je viens de lire un article affirmant que la démocratie est morte. Partie. Passée.
Winston Churchill a eu cette formule célèbre que la démocratie est un très mauvais système, mais que tous les autres systèmes essayés jusqu’à présent sont pires
Il a aussi dit que le meilleur argument contre la démocratie est un entretien de cinq minutes avec un électeur moyen.
La démocratie pouvait marcher lorsqu’il y avait un filtre raisonnable entre le candidat et les gens. Une presse honnête, une élite éduquée. Même dans l’Allemagne de 1933, avec des millions de chômeurs, Adolf Hitler n’a jamais obtenu réellement une majorité dans des élections libres.
Aujourd’hui, avec des candidats qui s’adressent directement aux électeurs à travers les réseaux sociaux, tous les filtres ont disparu. De même pour la Vérité. Par twitter et facebook les mensonges les plus abominables atteignent en quelques secondes les esprits de millions de gens qui sont totalement incapables d’en juger.
Je pense que c’est Joseph Goebbels qui a écrit que plus le mensonge est gros, plus il est crédible, du fait que les gens simples ne peuvent pas imaginer que quelqu’un soit capable de répandre un si énorme mensonge.
Par exemple la prétention par le président Trump qu’il s’est fait voler trois millions de voix, lui faisant perdre le vote populaire. Aucune preuve. Pas même le moindre élément de preuve. Totalement absurde, mais des millions de gens ordinaires semblent le croire.
Mais si la démocratie devient obsolète, qu’y a-t-il pour la remplacer ? Comme le faisait entendre Churchill – il n’existe pas de meilleur système.
ALORS VOILÀ la récolte de la première semaine en fonction : davantage de mensonges, ou de ‟faits discutables” de jour en jour.
Qu’en est-il des questions de fond ?
Si nous pensions que nombre de ses promesses politiques n’étaient que de la came électorale, nous avions tort. Sujet après sujet, Trump a commencé à tenir fidèlement ses promesses.
Les droits à l’avortement. La protection de l’environnement. L’assurance médicale. Les taxes sur les super-riches. Tout descend le Potomac.
Ceci, aussi, est un signe des temps modernes ; les plus pauvres votent pour les plus riches, contre leurs propres intérêts fondamentaux. C’est vrai en Amérique comme c’est vrai en Israël.
AH, ISRAËL. Israël se livre à des spéculations sans fin sur la promesse de Trump de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.
On aurait pu supposer qu’Israël avait des soucis plus importants. Il y a l’espèce de guerre civile qui fait rage actuellement entre le gouvernement et la minorité arabe qui représente quelque 21% des citoyens d’Israël proprement dit. Il y a des victimes des deux côtés. Et en particulier avec les Bédouins (aussi en Israël proprement dit) qui demandent à servir dans l’armée mais dont le gouvernement veut détruire les maisons pour laisser la place à des colons juifs.
Et l’occupation de la Cisjordanie. Et le blocus de la bande de Gaza. Et les multiples enquêtes de corruption concernant le Premier ministre et sa femme, et les possibles pots-de-vin géants à des parents de Nétanyahou pour l’acquisition de sous-marins. Et concernant des magnats de presse corrupteurs.
Non, ce sont des bagatelles comparées à la localisation de l’ambassade des États-Unis.
Le plan de partage des Nations unies de 1947 qui constituait la base légale pour l’État d’Israël n’incluait pas Jérusalem dans le territoire israélien. Il prévoyait un État juif et un État arabe en Palestine, avec Jérusalem et Bethléem comme une enclave séparée.
Israël, bien sûr, a annexé Jérusalem Ouest très tôt après sa fondation, mais aucune ambassade étrangère ne s’y déplaça. Elles sont toutes restées à Tel Aviv qui est une ville plus moche mais plus agréable à vivre. Elles y sont toujours. Y compris l’ambassade américaine qui est située sur le rivage de Tel Aviv, juste devant ma fenêtre.
(Des républiques bananières d’Amérique du Sud s’étaient déplacées un temps à Jérusalem, mais elles sont vite revenues.)
À chaque élection américaine il y a un candidat pour promettre de déplacer l’ambassade à Jérusalem, et chaque président entrant annule la promesse, dès lors que ses experts le mettent au courant des réalités.
Trump aussi a promis. Lui aussi voulait s’attirer des suffrages juifs, en plus de celui de son gendre juif. Trump devait probablement se dire : à part ces sacrés Juifs, qui s’en soucie ?
Eh bien, environ 1,5 milliard de musulmans dans le monde s’en soucient. Et s’en soucient au plus haut point.
Si Trump savait quelque chose, il aurait conscience du fait qu’aux tout premiers jours de l’islam, la Qibla (direction de la prière) était Jérusalem, avant qu’elle ne soit transférée à La Mecque. Jérusalem Est représente le troisième lieu saint de l’islam. La reconnaissance de l’ensemble de Jérusalem, y compris Jérusalem Est comme capitale d’Israël pourrait conduire à des violences inimaginables contre les installations des États-Unis de l’Indonésie au Maroc.
Il semble que déjà les experts l’ont aussi dit à Trump, parce qu’il s’est mis à bégayer sur le sujet. Il y réfléchit. Il lui faut du temps. Peut-être plus tard. Peut-être que le nouvel ambassadeur des États-Unis, fervent sioniste de droite, ira vivre à Jérusalem tandis que l’ambassade restera à Tel Aviv.
Pauvre homme. Il lui faudra faire route tous les jours de Jérusalem à Tel Aviv, une route presque toujours bloquée par les embouteillages. Mais chacun doit souffrir pour ses convictions.
MAIS LE fait vraiment le plus déplorable est que, dans chaque discours depuis l’investiture, le principal sujet – et même presque le seul sujet – du président Donald Trump est Je – Je – Je.
Je – Je – Je en se frappant sans arrêt la poitrine.