Plus de 100.000 Israéliens se sont rassemblés jeudi 3 mai à Tel-Aviv pour réclamer la démission du Premier ministre Ehoud Olmert, mis en cause par la commission Winograd chargée de tirer les leçons de la guerre menée l’été dernier au Liban.
Trois jours après la publication de son rapport, qui pointe les "graves défaillances" du chef du gouvernement, Olmert semble néanmoins avoir échappé au gros de la tempête en obtenant mercredi le soutien des élus de Kadima, son parti, et la marginalisation de la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, qui s’est prononcée pour son départ et s’est portée candidate à sa succession.
A la tombée de la nuit, près de 150.000 personnes de droite comme de gauche, religieux ou laïques, répondant à l’appel de vétérans, de réservistes et de parents de soldats tués au Liban, se trouvaient réunies place Yitzhak-Rabin, selon les estimations avancées par les chaînes de télévision.
"Vous êtes viré !"
"M. le Premier ministre, vous dites que vous êtes notre serviteur, eh bien vous êtes viré !", leur a lancé l’écrivain Meir Shalev.
En dépit d’une cote de popularité étale et d’une opinion aux deux tiers favorable à son départ, Olmert s’est dit déterminé à rester à son poste pour "réparer les erreurs" qu’il reconnaît avoir commises pendant les 34 jours de l’offensive menée contre le Hezbollah Libanais.
La menace de la milice islamiste, qui a tiré 4.000 roquettes en direction de l’Etat juif pendant le conflit de juillet-août 2006, reste une réalité et la plupart des Israéliens considèrent l’opération comme un échec.
"Le peuple israélien ne fait pas confiance à Ehoud Olmert et on ne peut pas continuer comme ça. Ce que vous entendez ce soir, c’est la voix du peuple et il faudrait être sourd pour ne pas entendre une voix aussi forte", a fait valoir Uzi Dayan, général en retraite et organisateur du rassemblement, s’adressant à son tour à la foule.
"Nous sommes ici pour dire à Olmert (...) de s’en aller. Il est au bord du gouffre. Il suffit d’une petite poussée, mais, ce soir, nous allons lui en donner une grande", a renchéri Yigal Armoni, un manifestant.
Le rapport Winograd
Tal Zilberstein, conseiller d’Olmert, avait auparavant estimé que ce rassemblement ne remettrait pas en cause sa détermination à tirer lui-même les leçons du rapport Winograd.
Dans la journée, un débat à la Knesset sur les conclusions de ce rapport d’étape avait donné à ses détracteurs l’occasion de renouveler leurs appels à la démission, mais aucune motion de censure n’avait été déposée.
"Nous devons revenir devant le peuple et le laisser donner son opinion", a déclaré le chef de file de l’opposition et ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu, réclamant la tenue d’élections anticipées. Plusieurs sondages pronostiquent une victoire du Likoud si un tel scrutin était organisé.
Olmert et Livni, qui entretiennent des rapports tendus depuis plusieurs mois, se sont assis côte à côte à leur place respective au parlement et se sont largement ignorés durant toute la séance.
"Dans n’importe quel autre pays, le gouvernement aurait démissionné", a déclaré Danny Yatom, député du Parti travailliste, principal partenaire de Kadima au sein de la coalition gouvernementale.
Les travaillistes doivent désigner leur nouveau dirigeant le 28 mai lors d’une élection qui déterminera si le parti reste ou non au sein de la coalition. [1]
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Ces derniers mois, la ministre des Affaires étrangères, Tzipi Livni, était devenue la coqueluche des diplomates et des journalistes du monde entier, qui voyaient en elle une femme politique intelligente et créative. Gageons qu’ils vont désormais lui demander comment elle compte rester au gouvernement après avoir appelé à la démission du Premier ministre. Après avoir soigneusement étudié le rapport Winograd pendant quarante-huit heures, elle est parvenue à cette conclusion stupéfiante : Ehoud Olmert doit démissionner, mais ne comptez pas sur elle pour l’y inviter. Quant au fait de rester au gouvernement, cela ne lui pose pas le moindre problème. Qu’Olmert décide ou non de la renvoyer - et elle lui a donné toutes les raisons de le faire - la menace Livni a été écartée.
Livni aurait été ravie que d’autres personnes fassent le sale boulot à sa place. Si le chef du groupe parlementaire Kadima, le démissionnaire Avigdor Yitzhaki, lui aussi partisan du départ d’Olmert, avait présenté une liste de quinze députés de Kadima demandant la démission du chef du gouvernement, Livni aurait volontiers pris la tête du mouvement. Mais en politique rien ne vous est jamais présenté sur un plateau d’argent. Quiconque veut prendre les rênes du pouvoir doit le faire avec fermeté et détermination et être prêt à essuyer le baptême du feu. Après cette semaine, Livni aura du mal à convaincre ses collègues qu’elle est dotée des aptitudes nécessaires à diriger.
Les rebelles potentiels de Kadima sont déjà en train de se chercher un nouveau champion. Mais, devant la facilité avec laquelle la rébellion naissante au sein du parti a été étouffée, ils risquent d’avoir du mal à en trouver un autre. Livni n’est pas la première à mettre de l’eau dans son vin au sein du gouvernement. En début de journée, son allié, le ministre de la Sécurité intérieure, Avi Dichter, également pressenti pour prendre la tête de l’insurrection, annonçait qu’il fallait laisser une chance à Ehoud Olmert, du moins jusqu’à cet été, date à laquelle sera publié le deuxième rapport de la commission Winograd. Deux autres concurrents, membres du gouvernement, Shaul Mofaz et Meir Sheetrit, sont quant à eux restés étrangement silencieux.
La réputation d’Olmert en matière de manipulation n’est plus à faire, mais la façon dont le soulèvement a été tué dans l’œuf est un coup de maître. La riposte des conseillers et alliés du Premier ministre, quelques heures après la publication du rapport Winograd, était simple mais néanmoins efficace. La démission d’Olmert, a-t-on pu les entendre répéter partout, entraînerait un tel chaos qu’il faudrait inévitablement organiser des élections. Ce qui reviendrait à porter au pouvoir le chef du Likoud, Benyamin Netanyahou, et à faire disparaître Kadima. Bien entendu, les membres du parti n’ignorent pas que, d’un point de vue technique, la coalition peut nommer un autre Premier ministre sans avoir recours à des élections, mais ils ne sont pas prêts à courir ce risque.
Livni, Mofaz et Dichter n’ont guère l’expérience des manœuvres politiciennes et sont novices dans l’art de former des coalitions. La perspective de devoir marchander comme des grands avec les leaders des autres partis leur donne des sueurs froides. Même un vieux renard comme Sheetrit [le ministre de l’Habitat] craint qu’un putsch contre Ehoud Olmert et une lutte fratricide prématurée entre les candidats à sa succession ne fassent voler en éclats ce jeune parti, qui n’a pas plus de dix-huit mois. Parmi les ministres de Kadima, personne ou presque ne s’attend à ce qu’Ehoud Olmert reste plus de quelques mois au pouvoir, mais ils ont apparemment décidé qu’il vaut mieux pour le parti qu’il y reste encore un peu.
Pour Mofaz et Sheetrit, qui se battent pour la direction du parti, c’est un moyen de gagner du temps afin de rassembler leurs troupes et d’établir un plan de campagne. Livni, lors de sa conférence de presse du mercredi 2 mai, a elle aussi annoncé qu’elle se lançait dans la course, mais son hésitation des deux derniers jours lui aura coûté l’avance dont elle disposait sur ses concurrents. [2]