Chers amis,
C’est avec une vive émotion, une émotion cependant mêlée et chargée de fierté, que je me trouve aujourd’hui, avec vous tous, dans ce village palestinien de Bil’in, ce village où se concentrent la résistance et le courage, la solidarité et la dignité mais aussi tant d’injustice et tant de souffrances, tant de répression et tant d’oppression.
Venu de France avec de nombreux autres amis, des élus - je salue en particulier mon amie la sénatrice Madame Boumédienne -, des membres de la Plateforme unitaire des ONG françaises pour la Palestine, mes premiers mots seront pour saluer et féliciter chaleureusement le « Comité populaire de Bil’in contre le mur » ainsi que le « Conseil de village ». Saluer et féliciter toutes celles et tous ceux qui, semaine après semaine, se retrouvent ici de manière pacifique - Palestiniens et Israéliens -, qui se mobilisent contre l’arbitraire et la prison à ciel ouvert qu’on construit ici. Je veux, encore une fois, les assurer tous de ma plus totale solidarité.
Aujourd’hui, dans ce village si symbolique à plus d’un titre, vous êtes entourés de nombreux amis venus d’à côté de chez vous mais aussi des amis venus plus loin.
Je veux aussi les saluer toutes et tous - personnalités ou simples citoyens comme on dit - tous ceux qui sont venus ici. Je veux vous dire ma joie d’être avec vous.
Nous exprimons et nous reflétons une grande diversité. C’est ce qui nous nous caractérise mais c’est aussi ce qui donne toute sa force et toute sa richesse à cette Conférence. Car si nous sommes divers nos avons un point commun qui nous rassemble. Nous sommes venus pour former, dans et autour de ce village symbole et symptôme, une chaîne humaine dont les maillons sont solides puisqu’ils s’appellent la solidarité internationale, le respect du droit et des droits, la justice pour la paix.
Nous qui sommes ici, si nous sommes solidaires de Bil’in qui en a besoin, nous exprimons aussi un paradoxe qui n’est pas des moindres.
Nous portons et défendons ici le droit tandis que le Quartet que ce qu’on appelle « la communauté internationale » se refusent, eux, à l’appliquer !
Chacun le sait et le dira mais il faut le dire et le redire : la Cour internationale de justice, saisie par l’Assemblée générale de l’ONU, a donné un avis officiel parfaitement limpide sur cette question du mur.
Elle a déclaré que le mur construit ici est illégal et absolument contraire au droit international. Elle a également exprimé la volonté que sa construction soit stoppée et que soient démolis tous les tronçons construits, y compris à Jérusalem-Est.
Elle a formellement et explicitement demandé au Conseil de sécurité d’examiner « quelles nouvelles mesures doivent être prises afin de mettre un terme à la situation illicite découlant du mur et du régime qui lui est associé ».
Elle a appelé tous les Etats au respect des obligations qui en découlent, à savoir « ne pas reconnaître la situation illicite découlant de la construction de mur et de ne pas prêter assistance au maintien de la situation créée par cette construction ».
Et elle a demandé « que tous les Etats liés à la quatrième Convention de Genève [...] de faire respecter par Israël le droit humanitaire incorporé dans cette Convention ».
On ne peut être plus clair et plus catégorique !
De même que dans ses attendus la Cour a réfuté les arguments d’Israël suivant lesquels ce mur serait uniquement un élément lié à sa sécurité.
Cet argument a été écarté. Car s’il est une chose certaine et établie, c’est que ce mur n’est rien d’autre qu’un honteux et inhumain mur d’annexion. Il est l’expression matérielle d’une volonté politique : la volonté d’Israël de continuer à annexer, à occuper et à coloniser.
Ce mur prend Israël en flagrant délit d’occupation.
Au reste si le problème était réellement et uniquement une question de sécurité, les autorités israéliennes auraient un autre moyen, un moyen beaucoup plus efficace et beaucoup moins onéreux pour elles, pour y faire face.
Israël pourrait, en effet, demander le déploiement, sur la ligne verte de 1967, d’une force internationale sous mandat de l’ONU ! Une force chargée de garantir la sécurité et les droits de chacun.
Voilà qui serait efficace. Voilà qui éliminerait tout mur. Voilà qui pourrait réduire les rancœurs explosives que provoque ce mur d’annexion.
Pourquoi donc, alors, se sont-elles toujours refusées à pareille présence internationale, une présence que nous demandons pour notre part ?
Ce qui se passe à Bil’in témoigne douloureusement qu’il s’agit d’un mur d’annexion. Et il en va de même à Jérusalem et partout en Cisjordanie.
76% des colons occupant illégalement cette terre palestinienne, où se trouve aussi l’eau, sont englobés et protégés par ce mur tandis que de l’autre côté les souffrances sont inouïes.
Ce n’est que trop clair : les autorités israéliennes veulent, avec ce mur en béton fixer unilatéralement ce qu’elles considèrent, elles et elles seules, comme devant être les frontières d’Israël.
Ehud Olmert a dit avoir renoncé au rêve du « Grand Israël ». Mais c’est quoi son rêve aujourd’hui ? Confisquer encore et toujours de terres palestiniennes sur les 22% censés revenir aux Palestiniens.
Tour cela, encore une fois, en violation totale avec le droit international et sans la moindre considération pour la personne humaine et de ses droits inaliénables. C’est absolument intolérable.
Mais ce qui n’est pas moins intolérable c’est que cet avis de la Cour internationale de justice date du 9 juillet 2004, un avis qui a été confirmé par le rapport du Conseil des Droits de l’homme de l’ONU de janvier dernier.
Et que se passe-t-il concrètement pour le faire appliquer ? Il ne se passe rien qui aille dans le sens de son respect. Au contraire, le mur avance obstinément.
Je veux le dire avec gravité et avec solennité : en laissant faire, le Conseil de sécurité, le Quartet dont est partie prenante l’Union européenne - tous sont coupables de non-assistance à peuple en danger !
Fût une époque où quand un mur tombait c’était la joie qui retentissait dans le monde entier, spécialement dans les pays occidentaux. Et voilà qu’aujourd’hui non seulement on ne fait rien et on voudrait en plus que nous acceptions et qu’en nous applaudissions !
Ce sont aussi nos esprits qu’on veut ainsi également emmurer.
Nous sommes donc bien, ici, les porteurs du droit international bafoué sans vergogne ni réaction. Les défenseurs de ce droit supérieur à tout les autres : le droit international. C’est votre honneur que de le manifester toutes les semaines, au prix souvent de répressions inadmissibles.
Mais vous êtes le droit. Nous sommes le droit. Et ils sont illégaux. Vous êtes courageux. Et ils sont lâches.
Votre lutte ici est donc bien particulièrement remarquable, courageuse et importante.
Et c’est pourquoi je pense - c’est une suggestion que je me permets de faire - que le moment est sans doute venu de mettre en place à vos côtés un « Comité International d’action et de soutien » à ce combat exemplaire mené à Bil’in.
Chers amis, puisque les officiels, puisque l’ONU et ses organes, puisque le Quartet se montrent inactifs et se refusent à remplir leurs obligations sacrées qui est de faire respecter le droit international pertinent, il revient à la société civile, c’est-à-dire à nous tous, de prendre effectivement le relais au plan international.
A nous de dire et de clamer le droit ! A nous de prendre nos responsabilités et d’exiger, par une ample mobilisation, ici mais aussi ailleurs, en Europe et dans le monde, notre farouche volonté que « droit édicté soit droit appliqué » !
A nous de dire que nous refusons le droit de la force et que nous lui opposons la force du droit ! Nous ferons de la sorte œuvre utile non seulement pour cette question du mur d’annexion, mais plus largement. En refusant ce mur nous oeuvrerons en effet pour la paix au Proche-orient.
Car c’est cela le fond de l’affaire : la paix.
S’il est bien un autre symbole derrière la lutte exemplaire menée ici, c’est la preuve et la confirmation que tous les problèmes - je dis bien « tous » les problèmes - résultent de l’occupation et de la colonisation israéliennes qui n’en finissent pas de durer, et cela depuis 40 ans.
40 ans d’occupation et de guerre ! C’est un cas unique sur la planète. 40 ans... Toujours aucune paix sur cette terre, une paix dont on connaît pourtant quels en sont les termes exacts.
Chers amis,
La Charte des Nations unies, en son chapitre VII, précise que le rôle de l’ONU est de « maintenir ou de rétablir la paix ». Mais pas plus l’ONU que le Quartet n’appliquent cette ardente et absolue obligation qui est la leur.
On nous dit, manière de nous endormir, que rien n’est possible en raison d’un prévisible veto américain. C’est faux. Dès lors qu’il y a blocage constaté au niveau du Conseil de sécurité, c’est un fait de jurisprudence qui date de 1950, il revient à l’Assemblée générale de se substituer au Conseil. Or personne ne propose cette voie utilisée pourtant à maintes reprises. C’est donc que personne n’en a la volonté.
Il n’y a donc qu’un chemin pour déboucher la voie. C’est celui de l’intervention populaire qui peut rendre intenable l’inaction coupable constatée aujourd’hui.
D’ailleurs ils le savent, en face. Ils ne négligent en effet aucun effort pour anesthésier cette même opinion publique.
Je voudrais juste prendre un élément qu’il faut contrebattre pour que cette opinion se manifeste pleinement.
Chacun se souvient qu’après les dramatiques événements du 11 septembre, une grille de lecture de l’évolution du monde a été, et est encore, largement martelée. Selon ce schéma, le monde serait aujourd’hui face à un seul dilemme : le combat entre le terrorisme et la démocratie. Tout tiendrait dans cette explication.
Selon ce raisonnement, Israël serait aux prises justement avec un problème de sécurité dont les responsables et les coupables seraient bien évidemment les Palestiniens. En conséquence il faudrait expliquer tous les événements qui se déroulent ici selon cette seule grille de lecture.
Ce renversement des termes est n’évidemment pas innocent et dire qu’il n’a pas d’écho ce serait se tromper.
Mais la vérité sur le conflit du Proche-Orient n’est pas non plus hors de portée des raisonnements et de l’intelligence des peuples. Or nous avons besoin de la « diplomatie populaire » pour obtenir la paix.
C’est une certitude : il faut certes que Palestiniens et Israéliens discutent et négocient. Mais sans intervention extérieure ce face à face ne peut déboucher sur rien compte tenu des intentions des uns et des autres et des rapports de forces en présence.
Il faut remettre absolument les éléments sur leurs pieds. Ici c’est l’occupation israélienne qui la cause de tout et non pas l’inverse. Les actes désespérés qui causent la mort de vies innocentes que nous réprouvons ne sont pas la cause de l’occupation. C’est l’inverse qui est vrai. C’est l’occupation qui provoque le reste, jusqu’au pire.
Derrière cette explication du monde liée au 11 septembre on pratique ici une incroyable politique connue sous le nom du « deux poids, deux mesures ».
Je ne veux pas multiplier les exemples qui confirment cette opinion mais en rester à l’actualité.
Après que le Prix Nobel de la paix, le regretté Yasser Arafat, Président de l’Autorité palestinienne, ait été qualifié de « terroriste » - le 11 septembre précisément - par les autorités d’Israël celles-ci ont expliqué alors qu’elles n’avaient plus de partenaire pour la paix. Et la communauté internationale ? Elle a suivi.
Puis le Président Mahmoud Abbas a été élu. Pendant un an, bien qu’il soit considéré comme particulièrement modéré, aucun contact n’a eu lieu. Motif ? Cette fois il était trop faible. Et la communauté internationale ? Elle a suivi.
Les élections législatives ont mis démocratiquement le Hamas en situation majoritaire au Conseil législatif. Aussitôt ce fût un tollé mondial. Et la communauté internationale ? Elle n’a connu qu’une réaction qui s’applique toujours : les sanctions !
On peut difficilement être plus hypocrite. Car si cette victoire est liée à des questions inter palestiniennes, il n’en reste pas moins vrai et indiscutable que l’inaction de la communauté internationale porte une grande responsabilité dans cette situation.
La « Feuille de route » prévoyait la mise en place d’un Etat palestinien en 2005. Cette « Feuille de route » n’a même pas connu une seule ligne d’application. Elle a poussé à la désespérance tout un peuple. Et pour la première fois dans l’histoire c’est un peuple occupé qui a été sanctionné.
Trois conditions, certes importantes, ont été impérativement posées au nouveau gouvernement, un gouvernement que le Quartet souhaitait d’« Union nationale ».
Après les Accords de La Mecque, salués comme positifs, ce nouveau gouvernement d’union est en place. Le Premier ministre a repris à la lettre l’Accord de la Mecque. De facto, les trois conditions posées sont remplies.
Eh bien, non ! Cela ne va toujours pas. Et les sanctions sont maintenues. Et le gouvernement n’est pas reconnu dans sa totalité.
Pendant ce temps, Chers amis, a-t-on posé les mêmes trois conditions à Israël, à savoir reconnaître un Etat palestinien dans les frontières de 1967 ? Absolument pas. Lui a-t-on demandé que cesse sa violence aveugle, le mur et les colonisations ? Rien de pareil n’a été demandé à Israël. Lui a-t-on demandé de respecter les accords conclus avec l’OLP et les résolutions internationales ? Là encore : rien de tel ne s’est produit.
Et aujourd’hui ? Après le Sommet de la Ligue Arabe à Riyad le plan de paix saoudien a été repris.
Les trois conditions connues de tous pour aboutir à la paix ont été reprises : un Etat palestinien dans les frontières de 1967, Jérusalem-Est pour capitale et un juste règlement du problème des réfugiés. Et que dit Monsieur Ehud Olmert qui est au plus bas dans son opinion publique ? Il dit en substance « Je veux bien discuter mais pas de ces trois points qui ne sont pas négociables pour nous ! »
Il ne veut donc pas la paix puisqu’il foule au pied purement et simplement les conditions internationalement reconnues pour aboutir à celle-ci, pour aboutir à une paix juste, une paix qui soit globale pour être durable et non plus intérimaire, partielle, ou graduelle. Et que dit, que fait la communauté internationale ? Rien.
Aux uns les sanctions et aux autres pas la moindre petite admonestation. Aux uns tous les droits, aux autres tous les devoirs.
Cette politique désastreuse et injuste du « deux poids, deux mesures » n’a que trop duré. C’est une impasse totale. C’est une impasse non seulement désastreuse pour les palestiniens mais aussi pour les israéliens.
C’est aussi une source de conflit majeur dans la région et un creuset d’instabilité et d’insécurité internationales renforcées.
En prenant à bras le corps la question du mur on prendra aussi à bras le corps la question de l’insupportable « deux poids, deux mesures » que l’on fait subir à cette région.
C’est ce que je voulais souligner devant vous.
En luttant pour Bil’in nous luttons pour le droit et la justice. En luttant pour étendre notre solidarité à ce combat exemplaire qui est mené ici, nous ferons également œuvre utile pour la paix au Proche-Orient.
L’heure est à l’action car nous sommes dans l’année de tous les dangers. 40 ans d’occupation ont apporté ruine, mort, humiliations de toutes sortes, un désastre social aussi.
A nous de dire l’avenir ! A nous de dire la paix et ses chemins. A nous de dire avec Isaac Newton « Les hommes ont construit trop de murs et pas assez de ponts » ! Notre solidarité active c’est précisément un pont jeté ici à Bil’in.
Sur cette terre qui compte autant de solides et de si beaux oliviers, où sont donc les colombes ? Nous sommes ici à la fois des colombes et des rameaux d’oliviers. C’est notre fierté. C’est notre honneur.
Une fierté et un honneur que nos devons à celles et ceux de Bil’in que je salue amicalement de nouveau et que j’assure une nouvelle fois de toute ma solidarité - une solidarité qui, comme je l’espère et le propose, peut prendre une dimension encore plus internationale aujourd’hui.
Car comme l’a écrit un poète français : « Quand les blés sont sous la grêle, fou celui qui fait le délicat. »