En octobre dernier, des rapports ont révélé que lors d’une opération militaire israélienne dans le camp de réfugiés de Jénine, en Cisjordanie occupée, les forces terrestres ont été soutenues par des hélicoptères de combat et des drones armés, bien que ces équipements n’aient pas été utilisés de manière offensive.
Alors que les commentateurs se demandent si cela indique qu’Israël pourrait commencer à utiliser des drones armés de manière intensive en Cisjordanie occupée, comme il le fait dans la bande de Gaza assiégée, une compréhension de la formule mathématique d’Israël pour tuer des Palestiniens suggère que les chances que cela se produise sont faibles.
La formule mathématique la plus meurtrière se trouve à Gaza, où Israël ne se soucie pas de compter les cadavres des Palestiniens qui meurent dans ses attaques. Cette indifférence se manifeste par le grand nombre de civils tués, y compris des familles massacrées en totalité ou en partie, et par la destruction massive de résidences, d’hôpitaux, de dispensaires, d’écoles, de mosquées et d’infrastructures routières et électriques, causant de grandes souffrances à ceux qui restent en vie.
En dehors des condamnations vides de sens qui ne se traduisent pas par des actions, la communauté internationale ne semble pas se soucier des morts palestiniens à Gaza. De nombreux pays occidentaux soutiennent politiquement et militairement la lutte d’Israël contre les groupes palestiniens armés qui y opèrent, tandis que les médias occidentaux acceptent sans critique les affirmations d’Israël selon lesquelles les morts sont tous des "terroristes" ou des civils morts en tant que "dommages collatéraux". Même la destruction par Israël, en mai 2021, d’une tour de Gaza abritant des médias internationaux a été oubliée depuis longtemps.
Aucun des rapports des commissions de l’ONU sur Gaza n’a débouché sur de véritables conséquences ou sanctions pour Israël. Une enquête de l’ONU qui a enquêté sur les manifestations de 2018 à Gaza a révélé que 183 personnes ont été tuées par des tirs à balles réelles de l’armée israélienne et plus de 6 000 ont été blessées par des balles réelles, dont des centaines de femmes et d’enfants. Plus de 1 500 autres ont subi des blessures indirectes dues à des fragments de balles ou à des éclats d’obus. Mais comme d’habitude, le rapport n’a eu aucune conséquence pour Israël.
"Où chaque balle a atterri"
En réponse aux rapports sur le nombre massif de victimes lors des manifestations de 2018, l’armée israélienne a affirmé - dans un tweet et un document qui ont tous deux été retirés ultérieurement d’Internet - que l’utilisation de tirs réels était limitée à des tireurs d’élite spécialement formés.
"Rien n’a été effectué sans contrôle ; tout était précis et mesuré, et nous savons où chaque balle a atterri", notait le tweet.
Face aux allégations selon lesquelles des soldats auraient tiré des balles explosives, causant de graves blessures à de nombreuses victimes après avoir été tirées à courte distance, le document indique qu’ils ont utilisé "des munitions 7,62 mm standard de l’industrie, utilisées par de nombreuses armées d’État, y compris des membres de l’OTAN".
Mais si tant de civils ont été directement touchés, et si l’armée israélienne tirait avec précision et savait exactement où chaque balle atterrissait, ne faut-il pas en conclure que les tireurs d’élite ont tiré sur ces civils à dessein, violant ainsi le droit international, qui exige une distinction entre combattants et civils ?
Qu’il s’agisse de l’apparente indifférence d’Israël à l’égard des victimes de ses attaques à Gaza ou de la technologie meurtrière qu’il utilise, les "dommages collatéraux" considérables causés aux civils sont un problème récurrent. Certains se souviennent peut-être de l’incident de juillet 2002, lorsqu’un avion de l’armée de l’air israélienne a largué une bombe d’une tonne sur la ville de Gaza, tuant le chef militaire du Hamas, Salah Shehadeh, et 14 civils, pour la plupart des femmes et des enfants. L’utilisation d’une telle bombe montrait à quel point Israël se souciait peu du nombre de morts.
Drones et artillerie
Au cours de la guerre de 2008-2009 à Gaza, l’armée israélienne a utilisé massivement des drones, qui, s’ils sont également mortels pour les civils, sont considérés comme relativement précis - et les exportations israéliennes de drones vers d’autres pays ont explosé. Pendant la guerre de 2014 à Gaza, les journalistes qui ont réussi à entrer dans le territoire assiégé m’ont dit qu’ils avaient été surpris de constater de nombreux incidents où les soldats utilisaient des obus d’artillerie, une technologie plus primitive et imprécise dont l’utilisation dans des zones denses et bâties augmente le nombre de victimes.
Après la fin de la guerre, l’armée israélienne a publié des données montrant que ses soldats ont tiré pas moins de 40 000 obus d’artillerie de 155 mm pendant la guerre de 2014, soit quatre fois plus que le nombre d’obus utilisés pendant la guerre de 2008-2009. Aucune justification n’a été fournie pour ce changement. Je pense que cela prouve qu’Israël ne se soucie tout simplement pas du nombre de victimes civiles à Gaza.
Mais en Cisjordanie occupée, Israël ne compte même pas les cadavres de Palestiniens - non pas par respect du droit international ou pour des raisons morales, mais par crainte d’un nouveau soulèvement populaire.
La routine en Cisjordanie occupée est que toutes les quelques semaines, ou parfois tous les quelques jours, un ou plusieurs Palestiniens sont tués par l’armée ou la police des frontières israéliennes. Israël a peur d’une nouvelle intifada, car contrairement à la bande de Gaza, où les colons ne sont plus présents depuis 2005, les colonies sont disséminées dans toute la Cisjordanie occupée, et les forces israéliennes sont obligées par le gouvernement d’assurer leur sécurité.
En outre, Israël ne veut pas qu’une nouvelle intifada éclate, car cela pourrait entraîner une pression internationale croissante pour qu’il pacifie la région par des gestes politiques envers les Palestiniens. Ceci, à son tour, fomenterait une discorde politique interne parmi les Israéliens.
Pour ces raisons, en Cisjordanie occupée, Israël tente d’éviter les grands massacres ou de prévenir un nombre de morts cumulé sur une courte période qui serait suffisamment important pour pousser les Palestiniens dans la rue, ce qui pourrait faire perdre le contrôle à Israël.
L’exception de la "roulette américaine
On attribue à l’inventeur israélien polonais Simcha Blass et à son fils la création de la technologie moderne d’irrigation au goutte-à-goutte au milieu du 20e siècle. On pourrait dire que les Palestiniens de la Cisjordanie occupée sont condamnés à mourir au goutte-à-goutte. La méthode utilisée par Israël pour éviter les grands massacres dans ce territoire consiste à appliquer des règles d’engagement plus strictes et à utiliser des armes moins meurtrières qu’à Gaza. Les massacres en Cisjordanie occupée sont généralement perpétrés par des fantassins, plutôt que par des avions de combat, de l’artillerie ou des bombes.
Les médias internationaux et les pays occidentaux ne semblent guère s’inquiéter lorsqu’Israël tue des Palestiniens "goutte à goutte". L’exception est la "roulette américaine" : Si, au grand dam d’Israël, l’un des Palestiniens tués s’avère également être un citoyen américain - comme dans le cas de la journaliste Shireen Abu Akleh - le tollé public est beaucoup plus fort.
Il semblerait qu’un cadavre de citoyen américain soit égal à des milliers de cadavres de Palestiniens "ordinaires", pour ce qui est du traitement d’Israël. Dans de tels cas, le département d’État américain est contraint de traiter le Palestinien mort comme un être humain, et pas seulement comme une statistique sans importance - et parfois même de faire publiquement pression sur Israël pour qu’il enquête et poursuive les responsables.
En raison de ces calculs, Israël ne commencera probablement pas à utiliser des drones armés en Cisjordanie occupée, car une telle stratégie pourrait entraîner davantage de morts et de blessés, ce qui pourrait déclencher une nouvelle intifada. Cela restera vrai tant que le gouvernement israélien n’aura pas intérêt à une nouvelle intifada.
Mais il est possible que le nouveau gouvernement, qui s’appuie sur de fervents partisans de l’apartheid et de l’idéologie sioniste religieuse d’extrême droite du kahanisme, ait intérêt à mettre le feu à la région.
En vertu de l’accord de coalition, la police des frontières israélienne, qui gère les opérations quotidiennes en Cisjordanie occupée, passera sous le contrôle direct du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, chef du parti fasciste du Pouvoir juif. Il a déjà fait part de son intention de faciliter l’utilisation plus rapide de tirs réels par la police contre les "terroristes" - un terme dont il élargit la définition.
Parallèles au Cachemire
Les musulmans du Cachemire connaissent bien ce type de formule mathématique. Les forces de sécurité indiennes ont tué et fait disparaître des dizaines de milliers de musulmans au Cachemire, mais l’État semble avoir la certitude que, comme pour Gaza, la communauté internationale ne s’intéresse pas beaucoup à leur sort - manifestant même de la sympathie pour la lutte du gouvernement indien contre les éléments "terroristes" et séparatistes.
D’un autre côté, le gouvernement indien doit se préoccuper de tout massacre de musulmans dans d’autres régions de l’Inde, car cela pourrait attirer l’attention de la communauté internationale. Le massacre de musulmans au Gujarat en 2002, par exemple, a poursuivi Narendra Modi pendant des années, car il s’est vu temporairement interdire l’accès aux États-Unis, à la Grande-Bretagne et aux États de l’UE.
Le massacre de musulmans à Delhi en 2020 a également occupé les médias internationaux pendant une période relativement longue. Les extrémistes nationalistes hindous semblent comprendre qu’il est préférable pour eux d’éliminer leurs opposants par la "méthode du goutte-à-goutte", un par un, plutôt que de procéder à des massacres à grande échelle qui susciteraient l’attention internationale.
Nous sommes peut-être arrivés à une situation horrible où trop peu de personnes dans le monde comptent les morts et les blessés parmi les Palestiniens et les musulmans indiens, alors que les balles, les missiles et l’artillerie continuent de pleuvoir.
Si nous rassemblions tous les corps des morts, de la Palestine à l’Inde, et les placions dans les entrées de la Maison Blanche ou du Parlement européen, ceux qui se trouvent à l’intérieur devraient y prêter attention. Mais comme ils ne se préoccupent que d’eux-mêmes, un tel acte ne peut que les inciter à appeler les dirigeants israéliens ou indiens pour leur dire : "Vous devez arrêter toutes ces tueries ; nous voulons sortir de nos bâtiments".
Traduction : C. L. pour AFPS