Non, ils exigent l’élargissement d’une partie des dix mille prisonniers palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes.
Bon nombre de ces prisonniers sont en détention administrative, c’est-à-dire qu’ils peuvent être maintenus des années durant en prison sans bénéficier d’un procès. Sur les dix mille, il y a un millier de femmes et trois cents enfants.
Que fait la communauté internationale ? Elle réclame la libération immédiate du soldat et s’accommode du maintien en prison d’hommes, de femmes, d’enfants, en violation des règles du droit. Pendant ce temps, Israël rase méthodiquement Gaza qu’elle vient de « quitter » sous les ovations émues de l’Occident. Ce dernier s’indigne-t-il de ce « retour » ? Non, il « comprend » la nécessité pour Israël de se défendre. Il condamne l’outrecuidance du peuple palestinien qui pousse l’arrogance jusqu’à vouloir se défendre contre l’occupation de son sol. Il condamne son entêtement à refuser un ordre qui nie son existence.
Deux Israéliens ont été capturés par le Hezbollah. S’agissait-il de promeneurs débonnaires ? Non, il s’agissait de soldats. Ont-ils été enlevés à Tel Aviv ? Non, ils se trouvaient au Liban, Etat en principe souverain.
Ces mêmes Occidentaux qui ont fait le « cadeau » au Liban de l’affranchir de la tutelle syrienne ont-ils été aussi prompts à réagir à l’affront fait à sa souveraineté ? Après avoir chassé les soldats syriens du Liban, ont-ils fait montre de la même détermination, de la même indignation, en apprenant que des soldats d’une armée étrangère se « baguenaudaient » dans ce pays ? Non. Ils condamnent la « provocation » du Hezbollah et réclament la libération des deux soldats.
Pendant ce temps, Israël rase le Liban, tue les civils, les femmes, les enfants, détruit ponts, routes, aéroports, centrales électriques, réseaux de télécommunications. Au mieux, les dirigeants occidentaux jugent la réaction d’Israël disproportionnée en ayant auparavant pris soin de condamner la « provocation » du Hezbollah. Les Etats-Unis n’ont pas, quant à eux, ces pudeurs de rosières et approvisionnent généreusement la machine de mort israélienne en armement et en bombes.
Foin des résolutions internationales, foin des conventions de Genève, foin des avis de la Cour Internationale de Justice. Israël et les Etats-Unis, couple obscène, sont bien au-dessus de ces contingences. Ils sèment la mort et la terreur au nom de la guerre qu’ils prétendent mener contre... la terreur. Le Liban, la Palestine, l’Irak sont dévastés. La Syrie et l’Iran sont menacés. Dans l’espoir que quelques miettes du festin promis lui seront dévolues, l’Europe, toute honte bue, leur emboîte le pas. Dans l’espoir que le suzerain de Washington les aidera à se maintenir sur leurs trônes bancals, les roitelets arabes font chorus...
Comment en est-on arrivé là ? Comment de telles ignominies sont-elles possibles ? Où sont passées les foules de Tel Aviv qui dénonçaient il y a vingt-quatre ans l’invasion du Liban et les massacres de Sabra et Chatila ? Que sont devenus les manifestants contre la guerre du Vietnam ?
Ce silence de l’opinion occidentale vaudrait-il approbation de la politique israélo-américaine ? Non, sans doute. De nombreux Européens sont probablement révulsés par les images de mort et de destruction (images délivrées avec parcimonie par les médias occidentaux qui préfèrent s’appesantir sur le « calvaire » des familles israéliennes). Des Israéliens, des Américains, expriment avec courage leur rejet de cette politique. La majorité de l’opinion, toutefois, ne se situe plus dans le registre de la condamnation.
Si elle exprime une certaine compassion pour les victimes, une certaine exaspération devant l’ampleur des dommages causés au Liban et à la Palestine, elle est aussi sensible au matraquage médiatique sur le choc des civilisations. Dans l’inconscient collectif occidental s’insinue lentement mais sûrement la conviction que son mode de vie, voire sa survie, sont tributaires du massacre de ses supposés ennemis mortels. Si « Paris vaut bien une messe » pour Henri IV, la suprématie blanche peut bien s’accommoder de quelques massacres, particulièrement quand ceux qui en font l’objet sont dans une altérité irréductible et menaçante.
Dernier acte en date : La pendaison de Saddam Hussein à l’aube du jour de la fête du sacrifice, une fête qui n’est pas que musulmane puisqu’elle commémore le geste du fondateur de tous les monothéismes, Abraham. C’est sans doute de propos délibéré que cette date a été choisie, que des « fuites » ont permis au monde entier de suivre l’exécution dans son intégralité. Il s’agit, là encore, de frapper les imaginations en théâtralisant le crime, en lui donnant une dimension barbare, antique, symbolique de la lutte à mort dans laquelle les stratèges du choc des civilisations veulent nous engager.
Dans la personne de Milosevic ou celle de Pinochet, les procès ou ébauches de procès se voulaient scrupuleusement légaux. Les formes étaient respectées, tellement respectées qu’ils ont tous deux échappé, par la grâce de la mort, au jugement des hommes.
C’est un gladiateur qui a été tué au petit matin à Bagdad. S’il n’y a plus de foules vociférantes pour saluer la mise à mort, il y a l’hypocrisie des gouvernants européens qui concèdent du bout des lèvres leur aversion de principe pour la peine capitale mais qui doivent être bien contents au fond d’eux-mêmes que d’autres aient fait la sale besogne. Astuce suprême : Un haut fonctionnaire américain, anonyme bien entendu, nous apprend que les Etats-Unis ont tenté en vain de faire retarder l’exécution.
Message subliminal : Le « monde civilisé » est innocent de la barbarie. Ceux qui ont tué Saddam le jour de la fête du sacrifice appartiennent au même monde que lui. Ils ont beau avoir fait allégeance aux Etats-Unis, ils ne sont que des alliés tactiques qu’il faudra finir par réduire. L’opinion occidentale ne s’y est pas trompée. Elle englobe chiites, sunnites, kurdes, dans un même opprobre craintif. Elle n’a pas plus d’égards pour les Koweitiens qui applaudissent la mort du tyran que pour les Libyens qui la condamnent.
L’erreur tragique de bon nombre de nos gouvernants est de croire en leur survie en donnant des gages de soumission aux Etats-Unis. Craignant et méprisant tout à la fois leurs propres peuples, ils préfèrent mettre leur destin entre les mains de leur suzerain. Les seigneurs féodaux d’autrefois s’assuraient que leurs vassaux « tenaient » bien leurs serfs.
Les Etats-Unis savent bien que leurs protégés ne « tiennent » pas leurs peuples, qu’ils ne se promènent pas dans les rues, qu’ils vivent reclus dans leurs riches palais, qu’ils ne perçoivent pas le bruit du dehors, des courtisans attentifs prenant soin d’en atténuer l’écho. Ces gouvernants ne sont rien de plus que des supplétifs de luxe. Ils subiront sans doute le même sort que les harkis qui, après avoir servi la France, ont été interdits d’embarquement sur les bateaux de l’exode.
Leur sort n’est rien au regard de l’Histoire. Le drame est qu’ils bloquent toute velléité de développement. Le cœur du monde bat de moins en moins en Méditerranée, de plus en plus entre Atlantique et Pacifique. Le monde arabe, pétrifié dans son insignifiance, a pour seule fonction d’alimenter en énergie l’humanité laborieuse, créatrice, qui se déploie à l’Ouest et en Extrême-Orient. Telle une vieille douairière dont on connaît la richesse et dont on suppute la fin prochaine, il subit les assauts extérieurs. Des pays sont mis sous tutelle, empêchés d’émerger, voire, comme dans le cas de l’Irak, annihilés.
A moins d’une révolution copernicienne, démocratisation réelle des institutions, libération des énergies créatrices, restauration d’une véritable justice, le monde arabe signerait sa sortie de l’Histoire.
Rien ne ressemble plus à un tipi indien qu’une tente bédouine...