8 juin 2012
Cher Eryn,
J’apprécie votre travail en faveur de la paix. Il m’est toutefois impossible de signer cette
lettre qui s’oppose aux efforts déployés par PCUSA en vue d’adopter une politique officielle
de désinvestissement sélectif, option que j’ai soutenue de manière détaillée dans de
nombreuses déclarations, de même que celle du BDS. Vous pouvez trouver ces déclarations
sur les sites du JVP et du F.O.R.
Eryn, votre lettre, comme la lettre signée par 1200 rabbins, présente un profond vice de
raisonnement. Ce sont les Palestiniens et non les Juifs qui sont les cibles de la violence
systématique perpétrée par Israël. De fait, votre lettre ne parvient pas à saisir ou à
reconnaître la réalité suivante : la violence systématique de l’occupation militaire israélienne
est le moteur du conflit.
Il est naïf de penser que toute lutte sérieuse contre la violence systématique d’un Etat et
une occupation militaire peut être gagnée uniquement en mettant sur pied des projets de
co-existence. Premièrement, de tels projets sont limités par les problèmes structurels
auxquels l’ensemble de la population palestinienne est confrontée du fait de l’occupation. Je
me bornerai à citer ; à titre d’exemple, l’absence de liberté de circulation, l’impossibilité
d’exporter ainsi que le système de permis. Deuxièmement, les personnes qui sont victimes
de violences systématiques ont le droit de déterminer leurs propres méthodes de résistance.
Celles prônées par Gandhi pour faire évoluer les conflits associent la non-coopération et
des méthodes positives de construction de la paix. Les Palestiniens sont engagés dans les deux, comme le sont les
Presbytériens qui s’intéressent au conflit. Le désinvestissement sélectif est une forme de
non-coopération qui vise le système d’occupation. Les Palestiniens ont choisi cette méthode
de lutte non-violente. C’est une évidence.
La plupart des juifs et des chrétiens ne désirent pas aller en Palestine pour résister en
personne et en adoptant des méthodes non violentes aux politiques israéliennes de
confiscation des terres, démolition de maisons, destruction des arbres et des biens , à
l’invasion militaire, au déni de la liberté de circulation, à la détention administrative ou à
l’arrestation d’enfants. La plupart des juifs et des chrétiens ne se rendent pas en Israël pour
mettre fin au blocus de Gaza et ne sont pas tués quand ils tentent de récolter leur blé ou de
pêcher en Méditerranée. Les Gazaouis ne disposent que de 6 heures d’électricité par jour, ce
qui signifie qu’il n’y a pratiquement pas de réfrigération. Ce qui m’amène à vous demander si
vous estimez que l’aide humanitaire constitue une solution à la politique israélienne
d’occupation. L’occupation est une forme de violence structurelle. L’une des parties peut
accéder à l’eau, l’autre non, cela en raison de la politique d’occupation. Si vous soutenez
un projet visant à creuser des puits, par exemple, sa réalisation sera sévèrement limitée par
l’incapacité des Palestiniens à creuser un puits assez profond pour accéder à l’eau, même si
vous payez la pompe. La violence structurelle de l’occupation : c’est ce que vise le
désinvestissement sélectif. Le désinvestissement fait pression sur les entreprises qui font des
affaires avec Israël pour qu’elles plaident en faveur de changement ou qu’elles mettent fin à
ces relations.
J’ai connu l’époque du mouvement des droits civiques en Amérique. J’ai pu ainsi constater
que la non-coopération, traduite en action directe, a fourni l’impulsion réelle pour un
changement. Les Blancs qui sont montés dans le Bus de la Liberté, qui ont participé
à l’enregistrement des électeurs, aux marches organisées pour mettre fin à la ségrégation
et qui ont été emprisonnés aux côtés de membres de la communauté afro-américaine
ont contribué à mettre fin au système violent de la ségrégation légalisée. Nous n’avons
qu’à lire la lettre que MLK (Martin Luther King) a écrit au clergé dissident alors qu’il était
détenu dans la prison de Birmingham pour le comprendre. À l’époque, la promotion de la
paix et de la justice impliquait, pour ceux qui souhaitaient participer au combat contre la
ségrégation, l’acceptation de la perspective d’être emprisonné ; adopter cette méthode
de lutte collective constituait un authentique acte d’amour. De la même façon, soutenir
aujourd’hui le désinvestissement sélectif est un acte d’amour, de foi et d’espérance. Cet acte
ne me choque pas et ne m’incite pas à penser que je suis injustement visé en tant que Juif.
Au contraire. Le désinvestissement sélectif est une forme d’action directe non-violente qui
correspond à mes valeurs en tant que personne soutenant la non-violence juive ainsi qu’à
ma manière de comprendre ma tradition. On ne devrait pas tirer profit de ce qui a été obtenu
par l’application de moyens violents . Si votre fonds de pension grossit parce qu’une part a
été investie en actions Caterpillar, vous devriez vendre ces actions. Ne pas le faire constitue
une violation de la loi juive. Pourquoi ne pouvez-vous pas investir dans la paix et désinvestir
dans la violence simultanément ?
Ceux qui, au sein de la communauté juive, croient en la coexistence ne partagent pas l’idée
qu’un désinvestissement sélectif nuit aux relations judéo-chrétiennes. Mon expérience
personnelle est totalement différente. Les efforts déployés collectivement en ce sens – par
delà les frontières religieuses, culturelles et raciales – par des juifs, des musulmans et des
chrétiens a renforcé nos relations au lieu de les affaiblir. Je félicite le PCUSA pour ses efforts
en faveur de l’instauration d’une politique de désinvestissement sélectif.
Puissions-nous nous aimer les uns les autres en nous dirigeant vers la fin de l’occupation et
établir de bonnes relations. Je prie pour qu’une paix durable advienne rapidement de nos
jours.
Respectueusement,
Rabbi Lynn Gottlieb
Traduction O pour l’AFPS
Lettre JPCA (anglais)