Les consignes des Nations Unies interdisent de sortir de la voiture dans de pareils cas, afin de ne pas alimenter les frictions. Par conséquent nous, les occupants du véhicule - trois membres du BCAH (Le Bureau de coordination des affaires humanitaires) et deux journalistes de « Haaretz » - avons été contraints de les observer, de l’intérieur, illustrer leur statut de seigneurs : l’adulte s’était placé au milieu de la route non asphaltée, barrant de son corps la route au véhicule. Puis, d’un mouvement des mains, il a donné l’ordre de couper le moteur. N’étant pas obéi, il a sauté sur le capot puis sur le toit puis de nouveau sur le capot, s’appuyant sur le pare-brise, démantibulant les essuie-glace. Le conducteur a roulé lentement sur le chemin, pendant que le bonhomme continuait d’appuyer fortement sur le pare-brise jusqu’à ce que celui-ci explose faisant voler des éclats dans les yeux du conducteur.
Entre-temps, l’adolescent avait surgi : il avait essayé d’ouvrir les portières de la voiture, hurlé l’ordre « montrez les cartes d’identité » et bloqué les roues avec de lourdes pierres. Lorsque sont apparues des jeeps de l’armée et de la police, l’adulte a crié en s’adressant à Alex Levac, photographe à « Haaretz » : « Retourne d’où tu viens ! ». Comprenant que Levac était juif et natif du pays, il a alors hurlé : « Traître, tu roules avec l’ONU ». L’adulte, tout comme l’adolescent qui réside dans l’avant-poste, sont tous deux nés à l’étranger. Le jeune garçon, un citoyen anglais, n’a pas encore achevé les démarches devant lui conférer le statut de nouvel immigrant.
Mais qu’est-ce que cela change ? Et qu’importe que le soldat les ait qualifié de « problématiques » ou qu’à la police, l’adulte soit connu pour des harcèlements de ce genre ? Et qu’importe que les policiers n’aient pas cru leur version absurde selon laquelle nous étions dans leur oliveraie et que nous aurions tenté d’écraser l’adulte. C’est la même tactique bien connue d’Hébron, celle qui a contribué à vider la vieille ville de beaucoup de ses habitants palestiniens : des Juifs harcèlent et exercent des violences puis menacent leurs victimes de se plaindre contre elles auprès de la police israélienne.
Des actes de harcèlement bien plus durs que ceux que nous avons essuyés et intéressant bien moins les médias visent de manière routinière les bergers et les agriculteurs palestiniens vivant dans la région. Au cours des six dernières années, quelque 850 des 3.500 habitants de la région appelée « Masafer Yatta » (périphérie de Yatta) ont quitté leurs lieux d’habitation, troglodytes ou campements. Une fois on s’en prend à l’accès à leurs puits d’eau, une autre fois à leurs troupeaux, une autre fois à eux-mêmes. Ces habitants conservent des piles d’attestations de plaintes qu’ils ont déposées à la police. Avant qu’ils aient renoncé à se plaindre.
Il est facile d’accuser cet adulte et cet adolescent, ou leurs pareils. Mais s’ils entreprennent de terroriser les Palestiniens c’est que les autorités israéliennes le leur permettent. Ils exécutent à leur manière ce que font les autorités « légales » d’occupation : chasser les Palestiniens de leur terre, y faire de la place pour les Juifs. Autrement dit, ils appliquent les ordres.
Il y a une dizaine de jours, un inspecteur de l’Administration civile régionale a confisqué un tracteur et une citerne à eau appartenant à des gens de Hadidiya, une communauté de bergers et d’agriculteurs du nord de la vallée du Jourdain, comme moyen de pression pour qu’elle évacue son campement au motif qu’il se trouve en zone militaire fermée. Il s’agit d’une communauté sur les dizaines qui vivent dans la vallée depuis des décennies et des décennies. Depuis 1967, elle a été déracinée à quatre reprises. En recourant à toutes sortes d’inventions, de méthodes ingénieuses, les autorités d’occupation en ont fait des résidents illégaux sur leur propre terre.
Les sources et les puits qu’ils utilisaient ont été confisqués et transmis à la compagnie des eaux « Mekorot » : le forage réalisé tout près par Mekorot est à l’usage des colons « légaux » et est interdit aux gens de Hadidiya. C’est pourquoi ceux-ci dépendent d’une eau qui est transportée à partir d’une source éloignée. L’armée a décrété « zones de tirs » de vastes territoires de la vallée du Jourdain qui s’arrêtent aux frontières des colonies. Les autorités israéliennes ont refusé de modifier l’affectation des sols, d’agricoles en zones habitables, ce qui aurait permis à la communauté de vivre en un lieu dont les anciens se souviennent, depuis leur enfance, comme leur habitation. Pourtant le terrain voisin a été déclaré zone habitable, mais pour des Juifs, citoyens d’Israël. L’Administration civile espère maintenant que la soif les chassera vers le terrain qui leur a été alloué et où il ne se trouve pas de terres convenant à l’agriculture ni au pâturage. C’est là, en concentré, la politique menée méthodiquement par Israël à l’égard des Palestiniens, une politique que des pourparlers de paix n’interrompent pas. Les habitants de l’avant-poste non autorisé ne font que l’imiter en recevant d’elle leur inspiration et leur protection.
Amira Hass
Haaretz, 8 août 2007