Photo : Un enfant lors d’une veillée à Gaza - Crédit : Abu Hatab
Au quatrième jour de l’assaut israélien de 2021, contre les Palestiniens de Gaza, les bombardements sont intenses.
Dans l’espoir de distraire ses enfants du bruit constant des obus, Sarah Ali [1] les a mis au lit de bonne heure. Mais pour Samer, sept ans, le mal est déjà fait.
« Deux heures plus tard, il s’est réveillé et est venu me voir en pleurant », raconte Sarah à Middle East Eye. « Il avait fait pipi au lit ».
Né en 2016, la courte vie de Samer a été marquée par le blocus israélien et les bombardements répétés.
Mais l’assaut de mai 2021, qui a duré 11 jours, a été de loin le plus profondément traumatisant.
A cause de son anxiété et de sa peur de perdre ses proches, il a régulièrement mouillé son lit pendant deux ans.
Le mois dernier, lorsque sa mère pensait avoir fait des progrès pour l’aider à surmonter son angoisse, Israël a lancé une nouvelle campagne de bombardements.
« Nous avions réussi à régler le problème un peu avant la dernière offensive, mais au cours de celle-ci, le problème est réapparu », a déclaré Sarah, ajoutant que son état s’est aggravé à la suite de l’attaque qui a duré, elle, 6 jours.
Samer fait partie des centaines de milliers d’enfants palestiniens de Gaza qui souffrent d’un « traumatisme continu », selon les autorités sanitaires.
La bande de Gaza, soumise à un blocus imposé par Israël depuis 2006, compte plus de deux millions d’habitants, dont la moitié sont des enfants.
En moins de dix-huit ans, Israël a mené une quinzaine d’opérations militaires dans l’enclave, tuant des milliers de personnes.
Le blocus et les attaques ont dévasté les infrastructures et l’économie, entraînant une « crise de santé mentale aigüe », affectant l’écrasante majorité des enfants.
Des traumatismes récurrents
Sarah explique que son fils a perdu confiance en lui après avoir commencé à faire pipi au lit en 2021, ce qui l’a amené à ressentir de la honte et de la culpabilité à chaque fois que le problème réapparaît.
« J’essaie toujours de le rassurer et de le réconforter en lui disant que c’est tout à fait normal et que je ne suis pas fâchée contre lui, [pourtant] il se sent toujours triste et s’excuse sans cesse, comme si c’était de sa faute », a-t-elle expliqué à Middle East Eye. Je sais que ce n’est pas de sa faute et je suis consciente que c’est le résultat du traumatisme qu’il subit.
Les parents de Samer l’ont emmené voir un psychologue quelques mois après l’attaque de 2021 et envisagent de le revoir bientôt.
Selon une étude de l’ONG Save the children, publiée en 2022, près de 80 % des personnes s’occupant d’enfants à Gaza ont signalé une augmentation de l’énurésie chez leurs enfants.
En outre, 78 % des personnes interrogées ont déclaré que leurs enfants finissaient rarement leurs devoirs et 59 % ont indiqué que leurs enfants présentaient des troubles de l’élocution, du langage et de la communication.
L’ONG a interrogé 488 enfants ainsi que 168 parents et soignants dans le cadre de l’étude, afin d’actualiser celle réalisée en 2018 sur ce même thème.
Elle a constaté que la santé mentale des enfants, des jeunes et des soignants s’était considérablement détériorée, le nombre d’enfants qui faisaient état d’une détresse émotionnelle étant passé de 55 % à 80 %.
« Ce dont souffrent les enfants de Gaza est au-delà du syndrome de stress post-traumatique », a déclaré à Middle East Eye, Ayed Abu Eqtaish, directeur du programme responsabilisation à Defence for Children International.
Il a ajouté que la capacité des enfants à profiter de la vie a été affectée par les attaques israéliennes répétées, le blocus et la répression violente des manifestations pacifiques de la « marche du retour » de 2018.
« Cela affecte leur droit à la santé, à l’éducation, à un niveau de vie adéquat et, surtout, leur droit à ne pas avoir peur. »
Au cours de l’assaut de 2021, Israël a tué 256 Palestiniens, dont soixante-six enfants. Les roquettes palestiniennes ont tué treize personnes en Israël, dont deux enfants.
Parmi les Palestiniens tués, se trouvaient onze enfants - âgés entre cinq et quinze ans - qui recevaient un traitement pour traumatisme, avant la campagne militaire, auprès du Conseil norvégien pour les réfugiés.
En août 2022, une autre série de bombardements a fait quarante-neuf morts parmi les Palestiniens, dont dix-sept enfants, le plus jeune étant âgé de quatre ans.
Environ huit mois plus tard, une nouvelle offensive a été lancée, tuant trente-trois Palestiniens, dont sept enfants. Des roquettes palestiniennes ont tué un Israélien.
Lors de l’attaque de 2021, le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a qualifié la vie des enfants palestiniens à Gaza d’« enfer sur terre ».
« Je ne veux pas entendre le mot guerre »
Joudi al-Samna, élève en CM2, souffre de stress post-traumatique. Elle gère bien ses émotions jusqu’à ce qu’elle entende le mot « guerre ».
Lorsqu’il est prononcé autour d’elle, par un parent ou un oncle, discutant des nouvelles, elle cesse immédiatement d’écouter.
« Je me bouche les oreilles avec mes mains et je les supplie d’arrêter de parler », raconte cette habitante de Gaza, âgée de 11 ans.
« Je leur dis : « S’il vous plaît, changez de sujet, s’il te plaît, maman, fais-les changer de sujet, il n’y a pas de guerre » », a-t-elle ajouté.
« Peu importe que ce soit pendant ou après la guerre, je ne veux pas entendre ce mot, je le déteste. »
Samna panique lorsqu’elle entend de fortes détonations, et veille toujours à rester près de ses parents et de ses frères et sœurs.
« Pendant la dernière guerre de Gaza, je suis restée presque tout le temps à côté de mon père et de ma mère. Mes deux frères et sœurs et mes cousins allaient jouer dans notre jardin tous les jours, mais je refusais de les accompagner », raconte-t-elle à Middle East Eye.
« Mais lorsque mes parents descendaient, je les accompagnais. J’ai toujours peur qu’un bombardement se produise pendant que je suis loin d’eux. »
Lors de l’attaque israélienne de cinquante-et-un jours sur Gaza entre juillet et août 2014, Samna avait deux ans.
Mais sa mère, Wejdan Ghannam, affirme que le traumatisme de sa fille a commencé lors de l’attaque de 2021.
Bien qu’elle n’ait eu que neuf ans à l’époque, Mme Ghannam a déclaré qu’elle était parfaitement consciente de ce qui se passait et qu’elle craignait « profondément » pour sa vie et celle de sa famille.
« Pendant les offensives, je fais de mon mieux pour détourner l’attention de mes enfants du bruit des bombardements. Dès qu’une attaque commence, je leur apporte des livres de coloriage et des jouets. Je fais presque tout ce qu’ils veulent pour les occuper », explique Mme Ghannam.
« Mais lorsque les bombardements sont proches, cela ne fonctionne pas. Ils abandonnent tout et viennent pleurer. Joudi se blottit parfois sur mes genoux jusqu’à ce qu’elle s’endorme ».
« Dans tous les cas, quoi qu’il arrive, la règle dans notre maison est de ne jamais mentionner les mots guerre, agression ou bombardement. »
Sécurité « inexistante »
L’ampleur de la pression psychologique que subissent les enfants de Gaza se manifeste surtout au cours des attaques israéliennes.
Lors de l’assaut du mois dernier, des parents et des enseignants de Gaza ont partagé des dessins et des conversations avec leurs enfants et élèves, exprimant leur choc et leur détresse tandis que les bombes israéliennes pleuvaient.
Maram Azzam a posté un dessin de sa fille Sham sur un tableau noir, représentant une fille dont la tête est couverte de gribouillis.
« Sham a dessiné ceci et m’a dit : "C’est comme ça que je me sens dans ma tête, à cause du bruit des avions" », a légendé Mme Azzam sur Twitter.
Eman Basher, professeur d’anglais dans une école de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) à Gaza, a partagé des captures d’écran de conversations avec ses élèves dans lesquels ils exprimaient leur peur des bombardements.
« Nous ne dormons pas la nuit à cause de la peur, et si nous dormons, il est possible que nous ne nous réveillions plus », a écrit un élève. « Je ne vais pas bien. Les bombardements ont eu lieu près de notre maison. Nous n’avons pas pu fuir », a déclaré un autre.
Dans une autre conversation, Basher demande à son élève : « Qui saigne ? - Qui saigne ? », répond la jeune fille : « Le frère de Malak, mon camarade de classe. Leur maison est remplie de fumée à cause du missile ».
Un autre tweet de Yaser Abu Odeh, le premier jour de l’offensive de mai, dit : « Mon enfant de dix ans porte les vêtements de l’Aïd et répète "profitons-en avant d’être sacrifiés". Ma fille de douze ans essaie de dépenser tout son argent, elle dit "Nous serons sacrifiés, à qui devrions-nous les laisser ? »
Selon Dr Sami Oweida, psychiatre à Gaza, le traumatisme est causé par un événement inattendu qui dépasse l’expérience de la personne et qui menace sa vie.
Une fois causé, il peut entraîner des déséquilibres émotionnels, cognitifs et comportementaux.
Mais ce dont souffrent les enfants à Gaza « n’est pas un "syndrome de stress post-traumatique", mais d’un traumatisme permanent », a-t-il déclaré.
« Nous subissons des chocs continus qui épuisent les capacités de défense de tout être humain. La plupart des enfants qui viennent à sa clinique consultent après les attaques israéliennes », a expliqué Dr Oweida à Middle East Eye, « mais certains se manifestent quelques mois plus tard, parfois jusqu’à deux ans après le choc. »
Le délai dépend de la capacité de chaque enfant à s’adapter et à résister aux symptômes après chaque attaque.
« Ceux qui y échouent viennent nous voir », a déclaré le consultant en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent.
« La plupart des enfants commencent à manifester des réactions anormales, notamment l’énurésie, la phonophobie [peur du son], la peur de l’obscurité, la peur de la perte, l’isolement, l’insomnie, l’anorexie, les pleurs pendant le sommeil, entre autres », a-t-il ajouté.
« De tels chocs peuvent affecter les enfants sur les plans émotionnel, psychologique et biologique, et entraver leur développement naturel. »
Oweida a déclaré qu’il n’y a pas de tranche d’âge spécifique, des enfants de tous âges peuvent se rendre à sa clinique pour des traumatismes liés à la guerre, mais les écoliers en général sont plus susceptibles d’en souffrir en raison de leur sensibilité au concept de bombardement et de mort.
« Après la nourriture et l’eau, le besoin fondamental de tout enfant est de se sentir en sécurité », explique-t-il. « La sécurité à Gaza est inexistante. »
Traduit par : AFPS