Photo : Salah Hamouri à son arrivée à l’aéroport à Paris le 19 décembre 2022
Avec l’expulsion de l’avocat Salah Hammouri, né à Jérusalem dans une famille jérusalémite, vers la France ce dimanche, Israël avertit effectivement tous les résidents palestiniens de la ville, présents et futurs, que s’ils ne sont pas soumis, silencieux et obéissants, leur statut de résident permanent sera révoqué.
Le cas de Hammouri, qui a été expulsé sur ordre de la ministre de la Justice Ayelet Shaked, indique qu’Israël se sent suffisamment confiant pour faire passer ses techniques de soumission et d’intimidation à un niveau supérieur, et qu’il ne se laisse pas impressionner par les protestations diplomatiques (de la France, en l’occurrence).
Ce qui est à la base de l’amendement est l’application aux Palestiniens nés à Jérusalem de la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël.
C’est simplement par hasard, parce que Hammouri se trouve être un citoyen français, qu’il a été possible de l’expulser des frontières d’Israël. Les autres résidents de Jérusalem dont le statut pourrait être révoqué, et qui ne sont ni citoyens, ni résidents d’un autre État peuvent être expulsés de chez eux vers l’une des enclaves palestiniennes de Cisjordanie, à l’instar de l’expulsion, au cours de la dernière décennie, de trois anciens membres Hamas du parlement palestinien et d’un ancien ministre du cabinet d’Ismail Haniyeh, le premier ministre palestinien de l’époque.
Ou ils pourront peut-être être expulsés vers la bande de Gaza, qu’Israël utilise de toute façon comme colonie pénitentiaire depuis la deuxième intifada. Ou encore, ils pourraient rester à Jérusalem, privés des droits fondamentaux des résidents (principalement les soins de santé et l’éducation), ce qui ne manquera pas d’avoir un effet négatif également sur leurs familles.
L’expulsion de Hammouri a été précédée par la révocation de son statut de résident il y a plus d’un an, sur la base de l’amendement à la loi de mars 2018, accepté par la Knesset, qui permet d’annuler ce statut pour "rupture de confiance contre l’État d’Israël."
Ce qui est à la base de l’amendement, c’est l’application de la loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël aux Palestiniens nés à Jérusalem, alors que leurs familles y vivent depuis bien avant la création d’Israël.
C’est là le véritable scandale. Après tout, c’est Israël qui est "entré" ; ce ne sont pas eux qui sont entrés en Israël. Et pourtant, le cadre juridique conçu pour qu’Israël puisse contenir, traiter et tolérer la présence de Palestiniens à Jérusalem-Est depuis son annexion à Israël, est celui d’une loi conçue pour des non-Juifs, citoyens d’autres pays, qui ont choisi d’immigrer en Israël et auxquels la loi du retour ne s’applique pas.
En d’autres termes, aux yeux des Israéliens, ils sont autorisés à se trouver en Israël grâce à un acte de générosité. Leur droit de résidence est temporaire et expirera dès qu’ils resteront à l’étranger pendant un certain nombre d’années, ce qui pourrait indiquer qu’ils ont choisi de quitter Israël.
La personne qui a contribué à faciliter le traitement, par le gouvernement, des Palestiniens de Jérusalem comme des immigrants, des résidents conditionnels et effectivement temporaires qui se trouvent dans leur maison par faveur, plutôt que par droit, n’est autre que l’ancien président de la Cour suprême Aharon Barak.
En 1988, il a statué que le gouvernement pouvait expulser Mubarak Awwad, qui est né à Jérusalem en 1943 et a reçu une carte de résidence lorsque la ville a été occupée en 1967. Il a voyagé à l’étranger pour étudier, et a voyagé régulièrement pendant des années entre les États-Unis et Jérusalem. À la veille de la première Intifada, il a commencé à irriter Israël avec son projet de révolte populaire et non violente contre l’occupation.
Il a été décidé de l’expulser, et lorsqu’il a fait appel devant la Haute Cour de justice, M. Barak a fourni au gouvernement le cadre juridique : le statut des résidents de Jérusalem-Est, a-t-il déclaré, est régi par la loi sur l’entrée en Israël qui, même si cela n’a pas été dit explicitement en 1967, accorde aux Palestiniens de Jérusalem des permis de résidence permanents en Israël. La loi autorise également le ministre de l’intérieur à décider des conditions d’obtention d’un permis de résidence permanent. De là, il est facile de passer à un test pratiquement permanent de loyauté envers l’État.
Sur la base de cette exégèse juridique, Israël a révoqué le droit de résidence de 14 727 résidents de Jérusalem, surtout depuis 1995, au motif que leur centre de vie n’est plus basé à Jérusalem, mais à l’étranger (ou en Cisjordanie). De nombreuses pétitions adressées à la Haute Cour au fil des ans contre la révocation du statut de résident ont permis de faire apparaître la vérité : les Palestiniens de Jérusalem sont des résidents autochtones ayant des droits et ne doivent pas être traités comme des immigrants.
Israël révoque encore les statuts de résidents de Palestiniens de Jérusalem après un séjour prolongé à l’étranger, mais beaucoup moins les statuts de ceux qui vivent à Ramallah ou Bethléem. En septembre 2017, la Haute Cour a ordonné l’annulation de la révocation du statut de résident des membres du parlement palestinien et de l’ancien ministre susmentionné.
Mais dans le même souffle, la Haute Cour a signalé au gouvernement que si la loi devait être amendée, ce statut pourrait plus tard être révoqué sur la base d’une "rupture de confiance envers l’État." Et effectivement, la loi a été modifiée moins d’un an plus tard.
La définition de "la rupture de confiance" est suffisamment large, vague et générale pour que le service de sécurité Shin Bet, conjointement avec le ministère de l’Intérieur, puissent inclure n’importe quel Palestinien de Jérusalem de leur choix quand ils le veulent. Selon l’amendement, tout élément de la liste suivante peut constituer une rupture de confiance : un acte de terrorisme, l’aide ou l’encouragement au terrorisme, la participation active à une organisation terroriste ou à une organisation déclarée terroriste, la trahison, et les cas graves d’espionnage.
Ceux qui déterminent ce qui constitue la terreur ou la trahison sont les législateurs, les membres du Shin Bet et les différents lobbies de l’occupation. Ils sont les représentants de l’État qui règne par la force sur les Palestiniens, qui a transformé leur ville en une enclave coupée du reste du territoire palestinien, qui les a appauvris, qui a confisqué leurs terres et les a découpées en tranches par des colonies juives hostiles.
La définition de "la rupture de confiance" est apparentée à celle de "dangereux pour la sécurité de l’État", un concept qui permet le recours à la détention administrative - l’incarcération d’une personne sans acte d’accusation, sans charges claires ou sans respect du droit de l’accusé à se défendre.
Hammouri a en fait été condamné par le passé, alors qu’il avait environ 20 ans, et condamné à sept ans de prison pour son rôle dans la planification d’une tentative ratée d’assassinat du chef spirituel sépharade Rabbi Ovadia Yosef. Depuis qu’il a été libéré en 2011, qu’il a étudié le droit et qu’il a commencé à travailler comme avocat pour l’association Addameer de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l’Homme, il a été plusieurs fois en détention administrative.
Il est entré et sorti de prison à plusieurs reprises, sans que le Shin Bet et le ministère public ne soient en mesure de présenter un seul acte d’accusation contre lui. Même l’implantation du logiciel d’espionnage Pegasus dans son téléphone, comme l’ont signalé il y a environ un an trois organisations internationales qui ont examiné son appareil, n’a pas fourni de charge ni de preuve pouvant permettre des poursuites pour aucune des allégations spécifiées et non spécifiées portées contre lui.
Le flou est délibéré - qu’il s’agisse du "danger pour la sécurité de la région" qui conduit à la détention administrative ou de "la rupture de confiance" qui conduit à la révocation du statut de résident. Le flou est susceptible de dissuader suffisamment de personnes pour qu’elles renoncent à toute activité ou organisation politique, et même au maintien de relations amicales avec d’autres, de peur que cette activité ne soit définie comme une résistance au régime qui leur a été imposé.
Traduction : R.P. pour AFPS