Selon James Crawford, le devoir de ne pas reconnaître l’activité de colonisation illégale n’impose pas aux Etats l’obligation de cesser de commercer avec les colonies. A mon avis, cela est erroné.
La question concernant la légalité des actes qu’une tierce partie peut poser et les obligations qui lui incombent s’agissant du commerce avec les colonies israéliennes établies dans les Territoires palestiniens occupés (TPO) revêt une grande importance si l’on veut que les efforts internationaux aboutissent à une solution pacifique du conflit israélo-palestinien et israélo syrien. S’inspirant de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanction qui a contribué à la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud, la société civile partout dans le monde exerce des pressions croissantes en faveur d’une approche similaire face à l’activité de colonisation israélienne. En conséquence, d’autres décideurs politiques ont sérieusement évalué la possibilité et la légalité des interdictions de commercer.
A la demande du Trades Union Congress britannique, James Crawford, Professeur de droit international à l’Université de Cambridge a rédigé un avis juridique bien argumenté sur les obligations des tierces parties vis à vis des colonies israéliennes établies dans les TPO. Son avis, publié par le TUC, s’avère particulièrement pertinent car on y trouve un exposé des principales questions juridiques, de la loi internationale applicable et la confirmation que chaque Etat membre de l’Union européenne peut décider individuellement d’interdire ce type de commerce, sans enfreindre la législation communautaire.
Il est à la fois logique et fréquent que les avis juridiques soient discutés et contredits par d’autres avis juridiques. Le Professeur Crawford ne sera donc pas surpris si des experts du droit ne partagent pas certaines de ses conclusions. Pour ma part, je voudrais rapidement et dans un esprit constructif : (1) exprimer mon désaccord avec son avis qui traite de l’applicabilité du devoir de non reconnaissance au commerce entre des tierces parties et les colonies israéliennes établies dans les TPO (autrement dit, le commerce avec les colonies) et (2) compléter son analyse de la législation de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur cette question.
Le Professeur Crawford établit, à juste titre, que le devoir de non reconnaissance ne s’applique pas uniquement à la construction du Mur [au sujet duquel la Cour internationale de Justice (CIJ) a émis un avis consultatif] mais aussi aux colonies israéliennes illégales. Selon lui, ce devoir « ne requiert pas d’action positive de la part de chacun des Etats pris individuellement. Une action collective approfondie a été menée, via diverses instances des Nations unies, pour résoudre cette question particulière, sans grands effets au plan concret ». Selon lui, le devoir de non reconnaissance de l’activité illégale de colonisation n’oblige pas les Etats à interrompre le commerce avec les colonies.
Pour ma part, il me semble que cet avis est erroné. L’obligation de non reconnaissance comporte deux éléments. Tout d’abord, une obligation à caractère coutumier. Deuxièmement, une obligation qui s’applique par elle-même et ne nécessite donc pas une action collective pour être mise en oeuvre. Lorsqu’un Etat observe une violation des normes impératives de la législation internationale, il n’est pas nécessaire que les Nations unies interviennent (i.d. en décrétant un embargo sur le commerce en vertu du chapitre VII) pour adopter une mesure ou une action de non reconnaissance de l’illégalité en question. Parce qu’elle s’applique par elle-même, une obligation coutumière prive justement les membres permanents du Conseil de Sécurité ou les Etats protégés par ces derniers de la capacité d’enfreindre ces normes ou d’empêcher l’exercice du droit de non reconnaissance par d’autres Etats membres des Nations unies.
Le Professeur Crawford fonde son raisonnement sur les prémisses de la non applicabilité du devoir de non reconnaissance au commerce avec les colonies. Il le fait en se basant sur l’avis consultatif de la CIJ de 1970 relatif à la présence de l’Afrique du Sud en Namibie. Il s’agit là de l’unique fois, avant l’avis consultatif sur le Mur, où la CIJ a confirmé l’applicabilité de l’obligation de non reconnaissance. Toutefois, en appréciant la pertinence de l’avis concernant la Namibie au regard du commerce avec les colonies, le Professeur Crawford fait un certain nombre d’hypothèses non fondées et fragiles.
Il cite l’affirmation de la CIJ selon laquelle la non reconnaissance “ne devrait pas avoir pour effet de priver les Namibiens des avantages dérivés de la co-opération internationale ». Il en déduit que l’activité économique des colonies pourrait bénéficier à la population palestinienne locale et que cela pourrait constituer un argument pour ne pas appliquer le devoir de non reconnaissance au commerce avec les colonies. Cet argument présente toutefois un vice de raisonnement. En vertu de la législation israélienne (le cas Elon Moreh) et de la législation publique internationale (Convention de la Hague et quatrième Convention de Genève), il est bien établi que les gains économiques procurés par l’occupation à la puissance occupante sont illégaux. De plus, la législation humanitaire est centrée autour de l’idée que les colonies ne sont légales qu’en tant qu’elles servent « les besoins de l’armée d’occupation ».
L’on pourrait argumenter que l’activité économique des colonies procure des avantages à la population palestinienne en fournissant à ses membres des emplois en période d’occupation. Ce raisonnement ne tient pas sur le plan juridique. Selon la quatrième convention de Genève, la réquisition de travail ne peut conduire à une mobilisation des travailleurs dans le cadre d’un dispositif militaire ou semi militaire. Et, sur un plan plus général, si la population locale palestinienne tire certains bénéfices du commerce avec les colonies, il est très difficile de soutenir que cette activité vise principalement à lui procurer de tels avantages plutôt qu’à « assurer l’autorité sur les territoires ». Et le Professeur Crawford le souligne bien... juste avant de conclure étrangement que cela pourrait ne pas être le cas s’agissant des colonies israéliennes.
Le Professeur Crawford mentionne explicitement les éléments constitutifs du devoir de non reconnaissance inclus dans l’Avis sur la Namibie. En dépit du fait que l’interruption du commerce n’y figure pas, il est difficile de considérer que la liste soit exhaustive ou totalement applicable à la complexité du conflit israélo-palestinien. En revanche, je partage l’opinion du Professeur Crawford quand il soutient que le devoir de non reconnaissance ne crée pas d’obligation positive en effectuant toutefois une réserve. En effet, l’interdiction de commerce ne doit pas être considérée comme une sanction (il s’agirait alors d’une action positive) mais plutôt comme la rectification d’une erreur dans les relations internationales, soit le commerce avec des colonies internationalement reconnues comme illégales. Il s’agit donc non d’interdire un commerce (obligation positive) mais de ne pas commercer avec un acteur illégal (obligation négative).
S’agissant de l’évaluation de l’objectif du devoir de non reconnaissance, le professeur Crawford identifie lui-même un important critère : « L’obligation de ne pas aider l’Etat responsable est limitée aux actes qui aideraient à préserver la situation créée par la violation ». En prenant en compte l’expansion des colonies et le rôle de l’activité économique qui s’y déroule, on peut difficilement contester que le commerce avec les colonies est un élément qui aide à la préservation de l’activité de colonisation. Le préambule de l’OMC établit que l’objectif des échanges libres est de fournir aux Etats des opportunités « d’élever les niveaux de vie, d’assurer le plein emploi et un niveau élevé et durablement croissant de revenu réel et de demande effective et, enfin, d’accroître la production des biens et des services ». Cela aboutit à renforcer la viabilité des acteurs qui participent à des échanges de ce type.
Or, le commerce avec les colonies ne contribue pas simplement à maintenir la situation créée par la violation ; il a une portée plus large : il contribue à la réalisation d’autres violations futures. Dit en termes simples, cet acte assure la viabilité du projet global de colonisation d’Israël. De fait, le devoir de non reconnaissance existe pour empêcher que la possibilité même puisse être envisagée.
Le Professeur Crawford va encore plus loin dans cette direction erronée lorsqu’il affirme que les “relations économiques et commerciales entre Israël et un troisième Etat peuvent être considérées (soit) comme une violation de l’obligation de non reconnaissance... ». A nouveau, il est crucial de distinguer entre le commerce avec Israël et le commerce avec les colonies israéliennes illégales. Le commerce avec Israël est légal et le devoir de non reconnaissance n’oblige pas à prendre des actions positives pour adopter des sanctions contre Israël, même si ce denier Etat est responsable de l’établissement des colonies illégales. En revanche, le commerce avec les colonies est illégal ; et le devoir de non reconnaissance oblige les Etats à ne pas faire du commerce avec elles, à ne pas les reconnaître et à ne pas les aider à enfreindre les normes fondamentales.
(2) Le Professeur Crawford consacre un paragraphe à la législation de l’OMC. En rappelant que les colonies n’appartiennent pas au territoire de l’Etat d’Israël, il affirme que les Etats ne sont pas obligés d’autoriser le commerce avec elles. Toutefois, la question est plus complexe, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT, la pierre angulaire sur lequel est basée la législation de l’OMC) étend l’application territoriale de l’Accord « aux autres territoires pour lequel (un pays) a une responsabilité internationale » [Article XXVI.5 du GATT (a)]. La question principale est donc la suivante : les colonies appartiennent-elles au territoire vis à vis desquels Israël a une responsabilité internationale ?
Certes, Israël a certainement certaines responsabilités internationales concernant les colonies, Cependant, à partir de l’examen historique des négociations du GATT et de l’application de la législation internationale, notamment, l’obligation de non reconnaissance (sujet trop vaste pour un bref commentaire), il est possible d’arriver à la conclusion suivante : le Gatt n’a pas été conçu pour s’appliquer à des colonies civiles ou militaires établies par un Etat membre de l’OMC qui occupe illégalement le territoire d’un autre Etat ou d’un autre peuple dont le droit à l’auto détermination a été reconnu.
Traduction O pour l’AFPS