Depuis des siècles, les paysans cultivent les olives, le blé, le raisin, les figues, les oranges et d’innombrables autres cultures qui nourrissent non seulement les familles, mais symbolisent aussi l’enracinement dans un lieu marqué par des vagues incessantes de bouleversements. Pourtant, dans la réalité actuelle, l’agriculture en Palestine est l’une des professions les plus difficiles et les plus politisées. Elle s’exerce sous le poids constant de l’occupation, de la violence des colons, de la confiscation des terres et des pressions climatiques. Chaque récolte devient un acte de persévérance, chaque graine semée une expression de défi.
Le secteur agricole en Palestine a toujours revêtu une importance immense. Il contribue à la sécurité alimentaire, soutient les moyens de subsistance ruraux et préserve des traditions transmises de génération en génération. Mais il est aussi confronté à des défis extraordinaires. Les agriculteurs se heurtent à des obstacles pour accéder à leurs propres terres en raison de l’expansion des colonies et du mur de l’apartheid. L’eau, essentielle à toute forme de culture, est étroitement contrôlée, laissant aux agriculteurs palestiniens beaucoup moins de ressources que les colons israéliens installés sur leurs terres. Les marchés sont instables et soumis à des restrictions, ce qui rend difficile pour les petits producteurs de gagner un revenu décent.
Malgré tout cela, l’agriculture demeure l’un des rares secteurs qui continue de lier les Palestiniens à leur sol, en résistant au déplacement et à l’effacement. La lutte ne concerne pas seulement la culture des champs : elle concerne aussi la préservation de la souveraineté sur les semences, la biodiversité et le droit de définir son propre système alimentaire. Les semences sont le fondement même de l’agriculture, porteuses d’histoire et de mémoire. Les agriculteurs les ont sauvegardées et partagées pendant des générations, assurant une résilience face à la sécheresse, aux parasites et aux changements climatiques.
Les variétés locales sont adaptées au sol et au climat de la région, contrairement aux semences hybrides importées, qui nécessitent des intrants chimiques et affaiblissent la biodiversité. Protéger ces semences est donc central dans toute vision de souveraineté alimentaire : la capacité des peuples à définir leurs propres politiques et pratiques agricoles, libres de toute domination extérieure.
C’est dans ce contexte que l’attaque contre l’unité de multiplication de la banque locale de semences à Hébron, le 31 juillet 2025, constitue un coup particulièrement sévère. La banque locale de semences, gérée avec grand soin et engagement, est bien plus qu’un simple lieu de stockage : c’est une bibliothèque vivante du patrimoine agricole palestinien, qui conserve plus de soixante variétés locales de blé, d’orge, de légumineuses et de légumes en voie de disparition, sous la double pression de l’occupation et de l’agriculture industrielle.
Lorsque les forces israéliennes ont attaqué et détruit l’unité, elles ne se contentaient pas de démolir des infrastructures : elles tentaient de couper le lien entre les paysans et leur héritage, de saper la possibilité même d’un avenir agricole indépendant. La destruction de semences est un acte symbolique de dépossession, privant les populations de la capacité de semer, récolter et se nourrir sans dépendance extérieure.
Cette attaque souligne également pourquoi des organisations comme l’UAWC (Union of Agricultural Work Committees – Syndicat des comités de travailleurs agricoles) jouent un rôle vital. Depuis des décennies, l’UAWC travaille avec les paysans de Cisjordanie et de Gaza pour promouvoir l’agriculture durable, réhabiliter des terres, construire des systèmes hydriques et préserver les semences indigènes.
Elle est à l’avant-garde des efforts pour protéger la souveraineté alimentaire en Palestine, veillant à ce que les agriculteurs restent liés à leur terre et que les générations futures héritent du savoir et des ressources nécessaires pour la cultiver. La banque de semences de Hébron est l’une des initiatives les plus importantes de l’UAWC, une pierre angulaire de sa mission visant à protéger les variétés locales et à renforcer la résilience face aux pressions continues de l’occupation et de l’agro-industrie mondiale. La destruction de l’une de ses unités n’était donc pas simplement une attaque contre un lopin de terre, mais une agression contre des décennies de travail et l’espoir d’une autosuffisance future.
Malgré ces revers dévastateurs, les agriculteurs et travailleurs agricoles palestiniens continuent de faire preuve de résilience à travers des actes quotidiens de culture. Ils plantent des oliviers là où d’autres sont déracinés, conservent des semences issues de leurs récoltes et transmettent aux jeunes générations les techniques agricoles traditionnelles. Chaque acte de culture devient une réaffirmation de présence, un refus d’être effacé du paysage.
Aujourd’hui, à l’approche de la saison de la récolte des olives, cette réalité devient d’autant plus visible. L’olivier, profondément enraciné dans la culture et l’économie palestiniennes, est un symbole de ténacité et d’attachement à la terre. Mais ce qui était autrefois une saison de fête, de rassemblements familiaux et de travail collectif, est de plus en plus devenu une saison de défis.
Les agriculteurs doivent composer non seulement avec les incertitudes climatiques et les fluctuations des prix du marché, mais aussi avec la menace constante des attaques de colons, l’accès restreint aux oliveraies situées derrière le mur de l’apartheid et le risque que les arbres soient abattus ou incendiés. La récolte, qui devrait incarner la joie et l’abondance, est désormais assombrie par la peur et les difficultés. Pourtant, saison après saison, les familles continuent de revenir dans leurs champs d’oliviers, conscientes qu’y renoncer reviendrait à céder leur héritage.
L’histoire de l’agriculture palestinienne n’est donc pas seulement celle de la lutte, mais aussi celle de la résilience. Elle parle des paysans qui se lèvent à l’aube pour cultiver une terre dont ils pourraient être privés demain, des communautés qui préservent des semences même lorsque des banques de semences sont détruites, d’organisations comme l’UAWC qui continuent à bâtir malgré un ciblage incessant. Elle parle d’un peuple qui comprend que cultiver la terre, c’est renforcer la ténacité, et récolter les olives, c’est réaffirmer l’appartenance. Face à la destruction et à la dépossession, chaque graine semée et chaque olive cueillie deviennent une déclaration : nous sommes toujours là, et nous resterons.
S.K, contributrice de l’UAWC
Photo : Le tri des graines, une des opérations de la banque de semence à Hébron © UAWC