Oussama Ben Laden, le pape Benoît XVI, Al Gore, Leonardo DiCaprio figurent parmi les cent personnalités les plus influentes au monde, selon la liste annuelle établie par le magazine américain Time qui, cette année pour la première fois, n’inclut pas le président George W. Bush.
Et pour cause, le taux de satisfaction des Américains à l’égard de leur président a chuté à 28%, selon un sondage diffusé samedi dernier par Newsweek, qui n’avait jamais fait état d’un niveau aussi faible pour le président américain. Près de deux Américains sur trois (62%) considèrent que les récentes initiatives de Bush au sujet de l’Irak prouvent qu’il est « entêté et refuse de reconnaître ses erreurs », selon cette étude. Face aux échecs aux conséquences terribles sur le terrain irakien, Bush a dépêché son bras droit Dick Cheney cette semaine au Proche-Orient pour stimuler le soutien régional, trop mou à son goût, au gouvernement irakien. Le vice-président quittera Washington mardi pour se rendre d’ici le 14 mai aux Emirats arabes unis, en Arabie Saoudite, en Egypte et en Jordanie. Chez ces quatre alliés, il poursuivra l’effort récemment accru par une Administration sous pression pour rallier les pays de la région derrière un Irak toujours en proie au tumulte depuis plus de quatre ans après l’invasion.
Grave crise interne à Washington
M. Cheney tâchera officiellement de capitaliser les acquis de la conférence internationale de Charm El Cheikh, en Egypte, alors que le temps presse pour l’Administration Bush. Celle-ci est en plein bras de fer avec la nouvelle majorité parlementaire démocrate. Les adversaires de la Maison-Blanche tentent de forcer la fin de la guerre, qui a coûté aux Etats-Unis plus de 3 300 soldats et des centaines de milliards de dollars. Dans la plus grave confrontation de politique intérieure à laquelle a donné lieu la guerre, les démocrates viennent de se heurter au véto présidentiel dans leur tentative pour imposer un calendrier de retrait des troupes. Mais ils n’ont pas dit leur dernier mot et pourraient essayer de lier, dans une loi finançant la guerre, l’engagement américain à une obligation de résultats de la part du gouvernement irakien.
Ce qui a fait réagir Aymane Al Zaouahri, numéro deux d’Al Qaïda, qui affirme dans un message vidéo diffusé samedi(5 mai) sur internet que la proposition de loi du Congrès démocrate réclamant un retrait des forces apporte la preuve de la défaite des Etats-Unis dans ce pays. « Cette proposition illustre l’échec et la frustration des Etats-Unis », déclare l’adjoint d’Oussama Ben Laden. « Mais cette proposition nous privera de l’occasion de détruire les forces américaines que nous avons fait tomber dans un piège historique. »
Pendant ce temps, M. Bush s’arc-boute sur un nouveau plan qui passe pour celui de la dernière chance. Le déchaînement de violence continue tandis qu’il est mis en œuvre. M. Bush souligne que la totalité des quelque 30 000 hommes envoyés en renfort n’est pas déployée. Plus de renfort ? Selon une étude du ministère américain de la Défense rendue publique vendredi, les déploiements longs et répétés augmentent les problèmes de santé mentale dans l’armée. C’est le quatrième rapport du genre depuis 2003. Seul un tiers des marines et environ la moitié des soldats déployés en Irak estiment devoir traiter les civils avec dignité. D’après des responsables de la Défense, ils ne sont que 40% des marines et 55% des soldats à déclarer qu’ils le signaleraient à un membre de leur unité s’ils tuaient ou blessaient un civil innocent, et plus de 40% des marines et soldats jugent que la torture devrait être autorisée pour sauver la vie des militaires. Selon un récent sondage du Pew Center for People, si presque deux tiers des Américains souhaitent que les élus au Congrès votent en faveur d’un retrait des troupes d’Irak, deux tiers des républicains veulent le contraire.
En tout cas, la Maison-Blanche a jusqu’au début de l’automne pour réussir, selon une échéance que Bush s’est lui-même fixée. Sous la pression, la Maison-Blanche insiste avec davantage de force désormais sur les responsabilités du gouvernement irakien. Elle a salué le fait que Bagdad se soit, selon elle, engagé à les assumer lors de la conférence de Charm El Cheikh. Elle a aussi relevé qu’à Charm El Cheikh, ses voisins se sont dits prêts à aider l’Irak à rétablir la sécurité et que la communauté internationale lui a apporté son soutien par l’adoption d’un plan d’aide économique et politique et l’annonce d’une réduction de la dette irakienne. Mais les participants à cette conférence n’ont pas vraiment progressé pour lutter contre la violence qui ravage quotidiennement le pays. Les relations Iran/Etats-Unis ont pesé sur et notamment la possibilité d’une rencontre entre leurs ministres des Affaires étrangères.
« L’opportunité ne s’est pas présentée, sinon nous l’aurions saisie », affirme pour sa part Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine. Son homologue iranien Manouchehr Mottaki s’est montré plus offensif à l’égard de Washington en « accusant les Américains de se livrer à des actes de terrorisme en Irak ». Des « experts » américains et iraniens au niveau d’ambassadeurs se sont toutefois rencontrés en marge de la conférence qui a aussi permis une reprise de contact entre Washington et Damas.
Des alliés mécontents
Dans un autre rapport qui continue à faire référence, un groupe de personnalités respectées a souligné fin 2006 la nécessité d’un « nouveau consensus international pour l’Irak et la région » et d’un « effort diplomatique revigoré » parce que le gouvernement irakien ne peut s’en tirer en s’en remettant seulement à l’aide américaine. Le département d’Etat, lui, s’est employé à forger dans la région une alliance des forces et des pays considérés comme plutôt modérés contre les plus radicaux.
Cependant, l’Arabie Saoudite n’a pas caché ses divergences avec les Etats-Unis. Le roi Abdallah est allé jusqu’à dénoncer en mars « l’occupation étrangère illégitime » de l’Irak. Avant Charm El Cheikh, il a refusé de recevoir le Premier ministre irakien, Nouri al Maliki. L’Arabie Saoudite s’inquiète pour la communauté sunnite, minoritaire chez le voisin irakien, et tiendrait le gouvernement de Baghdad pour coupable de servir la cause des chiites dans le conflit meurtrier qui oppose les deux communautés.
Et les difficultés américaines sont ressenties également dans le dossier palestinien. Le calendrier proposé par Washington censé faciliter les discussions israélo-palestiniennes s’est heurté à son premier obstacle, le cabinet du Premier ministre israélien, Ehud Olmert, ayant fait savoir qu’il ne pouvait souscrire à certaines de ses exigences pour des raisons de sécurité. La secrétaire d’Etat, Condoleezza Rice, pour sa part, semble avoir un attachement sans précédent à ce plan. Le document demande au président Mahmoud Abbas d’entamer à la mi-juin le déploiement des forces qui lui sont fidèles pour mettre un terme aux tirs de roquettes en direction d’Israël et à la contrebande d’armes à destination de la bande de Gaza, selon des responsables ayant eu accès à ce calendrier qui s’étend sur huit mois. En contrepartie, Israël devra prendre des mesures pour permettre la circulation des biens et des personnes entre la bande de Gaza et la Cisjordanie occupée. Israël, selon des sources diplomatiques citées par des agences de presse, se méfie de plus en plus du nouveau secrétaire d’Etat à la défense, Robert Gates, présenté comme un dur, mais aussi un « non-idéologique », contrairement à son prédécesseur, fer de lance des néo-conservateurs, Donald Rumsfeld.
En Afghanistan, les attaques des talibans contre les forces de l’OTAN marquent également l’échec de la politique US. Dans 18 mois, la présidentielle américaine changera-t-elle la donne ?
Les vérités dérangeantes de M. Tenet
L’essai critique qu’a publié George Tenet, ancien directeur de la CIA, sur le comportement de l’Administration Bush dans la marche vers la guerre en Irak a suscité une rare controverse publique entre anciens du renseignement et relancé le débat sur les mois ayant précédé l’intervention militaire de mars 2003.
Six anciens responsables de la CIA ont pris publiquement la défense de l’ancien patron du renseignement, que d’autres espions retirés des affaires accusent d’hypocrisie pour ne pas avoir alerté l’opinion avant mars 2003.
Dans ses mémoires, At the Center of the Storm : My Years at the CIA (Au cœur de la tempête : mes années à la CIA), Tenet développe la thèse selon laquelle l’Administration américaine a décidé d’entrer en guerre sans débat préalable.
Il accuse aussi de hauts dirigeants de l’Administration, au premier rang desquels le vice-président Dick Cheney, d’avoir déformé les rapports du renseignement pour affirmer l’existence d’un lien entre Saddam Hussein et le réseau Al Qaïda et justifier la guerre.
Par contre, un autre ancien de la CIA, Michael Scheuer, a écrit que Tenet « a tort de s’auto-absoudre des défaillances sur le 11 Septembre et l’Irak. Nous ne devrions pas nous laisser prendre par ses efforts visant à se dégager de ses responsabilités. » Tenet n’a pas supporté non plus la tactique de la Maison-Blanche visant, selon ses dires, à en faire le bouc émissaire des errements et des erreurs sur la présence prétendue d’armes de destruction massive dans l’Irak de Saddam Hussein.
Nommé par le président démocrate Bill Clinton, George Tenet a passé sept ans à la tête de la CIA. Il a démissionné en juin 2004, comprenant qu’on allait tenter de lui faire porter le chapeau du fiasco irakien.
Le journaliste Bob Woodward l’avait présenté dans un livre, Plan of Attack, comme celui qui avait garanti, en décembre 2002, au président Bush que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive.
M. Tenet a perçu 4 millions de dollars pour ses Mémoires.
Adlène Meddi