Des mappemondes où Israël couvre la totalité de la Palestine historique, des Juifs communauté endogame depuis toujours, un État qui sort de nulle part tout armé au lendemain de la Shoah : est-ce un problème ?
Le manuel n’est pas l’enseignement. Et les rédactrices et rédacteurs des manuels ne sont pas les instruments d’un complot. Mais les enseignant(e)s, auteur(e)s inclus(e)s, ne sont pas des spécialistes de tout. Le temps les presse, et sur des sujets inconnus de leurs études universitaires et les idéologies dominantes peuvent peser. Iels peuvent de surcroît penser que la question Israël-Palestine est moins importante aujourd’hui.
Lectrices, lecteurs de PalSol, vous savez déjà qu’est d’autant plus nuisible la propagation d’idées fausses dans des livres qui expriment auprès des élèves et des familles la « vérité scolaire ». Vous savez que Israël-Palestine est du point de vue des rapports de domination, de la gestion des ressources rares, de l’exigence d’un droit international, comme le microcosme du monde. Une de nos tâches est de donner tous les éléments permettant de dire que les accords d’Abraham ne sont pas la fin de l’Histoire, et que la compréhension de cette question est stratégique pour la compréhension du monde.
Notre objectif, c’est de vous convaincre de nous aider à rencontrer enseignant(e)s et parents, de leur proposer ces articles, de les inviter à des réunions auxquelles nous pourrons participer.
La naissance d’Israël dans les manuels scolaires : un récit tronqué
En abordant la naissance de l’État d’Israël à son indépendance (14 mai 1948) les manuels scolaires empêchent de comprendre comment cet État s’est construit progressivement dans les trente années précédentes, quand la Grande Bretagne, qui disposait de l’autorité, appliquait le mandat que lui avait donné la SDN pour construire un « foyer juif » en Palestine. Cette façon de faire ignore l’unification des sionistes sous l’autorité d’institutions essentielles dès 1920, masque les protestations des Palestiniens, dès le début, et leur résistance sous différentes formes. Elle escamote l’idée même de peuple palestinien, les spoliations dont il est déjà l’objet, ses révoltes (importantes dès 1929), l’action des comités islamo-chrétiens, les manifestations, la montée de la violence et finalement la guerre d’épuration ethnique menée dès la fin 1947 dont le massacre de Deir Yassin le 9 avril 1948 est l’épisode le plus connu (cité par un seul manuel). Ce récit tronqué perd l’occasion de montrer comment se construit un État et rend incompréhensible toute la situation géopolitique du Proche-Orient et son évolution dans les décennies suivantes.
Il en résulte l’illusion d’un problème compliqué alors que c’est une conquête coloniale comme les autres.
1947-1949 : l’histoire peut-elle être comprise sans une explication – même brève – du projet sioniste ?
Cette courte période est objet d’étude dans les deux types de programmes (général et spécialités). Logique ! Ce sont des années charnières où se jouent les destins des territoires et des peuples : en novembre 1947, le Plan de partage par l’ONU et en mai 1948, la Déclaration d’indépendance d’Israël. Tous les manuels illustrent très bien ces deux moments par de nombreuses cartes et tous avec des extraits de la Proclamation par Ben Gourion. À deux rares exceptions, le point de vue arabe ou palestinien n’est jamais exprimé alors que côté israélien, Moshe Dayan et Ben Gourion commentent les succès militaires de cette période.
Dans le Belin, une double page de photos de Capa illustre les « mythes fondateurs de l’État d’Israël », les attentats terroristes des milices juives ne sont mentionnés que dans un seul manuel (Nathan-Cote). C’est peu pour comprendre la stratégie de longue date des vainqueurs.
Un seul manuel évoque les massacres, les destructions de villages, l’expulsion d’avant le déclenchement de la 1re Guerre israélo-arabe comme en avril 1948 à Deir Yassin. C’est peu pour illustrer ce que furent les violents affrontements judéo-arabes de 1947 à mai 1948 : les villages détruits, plus de 300 000 Palestiniens sur les routes de l’exode ; les milices juives ont déjà commencé le nettoyage ethnique. Les historiens maintenant le disent, pas les manuels, sauf deux (Magnard et Nathan). D’autant que gommer l’expulsion pendant cette période de guerre civile – terme utilisé une seule fois – c’est masquer ce qu’est la nature du projet sioniste mis en œuvre, et ne rendre compréhensible l’exode que par la seule guerre israélo-arabe de l’été 1948. Ce que n’est pas l’histoire !
En effet, les documents, les témoignages ne manquent pas pour préciser le projet d’expulsion : dès 1937 le Comité du transfert est en place, ce que Ben Gourion explique la même année dans une lettre à son fils : « Nous devons expulser les Arabes et prendre leur place… Et si nous devons utiliser la force – pas pour déposséder les Arabes mais pour garantir nos droits à nous installer dans ces régions – alors nous avons la force à notre disposition » . Et jamais n’est cité le Plan Daleth, ni montrée la carte du projet sioniste de 1919.
L’énumération des guerres dans les divers manuels ne permet pas de comprendre la stratégie qui les explique, pour cela, il faut disposer des clés de l’idéologie qui la fonde dès le XIXe siècle donc bien avant le génocide.
Le choix des images renforce les représentations, or les réalités de l’occupation et de la colonisation ne sont quasiment pas illustrées
On connaît l’importance des images. Répétées, elles participent à la construction des connaissances, des représentations, voire des opinions.
Des 12 manuels étudiés, soit la production quasi complète de l’édition scolaire française, trois séparément illustrent pleine page : un jeune Palestinien lanceur de pierre dans un mouvement très photogénique – un classique (Nathan) – l’affrontement verbal d’un soldat israélien surarmé et d’un civil palestinien (Magnard), la joie d’un père israélien et sa fille sur les épaules lors de la Déclaration d’Indépendance de l’État d’Israël en mai 1948 par Capa (Belin). Pour le professeur, qui dispose de tous les manuels, ces 3 images côte à côte seraient intéressantes. L’élève qui ne dispose que d’un manuel verra dans deux des cas, les idées habituellement représentées : la victoire porteuse d’avenir pour le jeune État israélien, la violence palestinienne.
Celle-ci est surreprésentée par le choix d’images plus petites en appui du cours ou comme documents, souvent objet de questions aux élèves. Toujours les « lanceurs de pierre » : la résistance palestinienne se limite-t-elle à cette forme très médiatisée ?
Nous savons que non ! La violence de la répression multiforme de l’armée israélienne n’est illustrée qu’à deux reprises, en plan très rapproché et donc la minimisant : deux ou trois soldats tirant sur des Palestiniens à Hébron (les raisons de leur présence n’y sont pas précisées) ou « se protégeant » de jet de pierres dans la mosquée al Aqsa. Aucune image des bombardements de Gaza, des destructions au bulldozer de bâtiments palestiniens, hier ou aujourd’hui, des oliviers détruits, des arrestations d’enfants, des colons en action… Aucune évocation des milliers de prisonniers politiques, victimes de la violence d’État. Bien des commentaires de ces images sont faux ou imprécis, sans contexte. Est-il vrai par ailleurs que « les organisations palestiniennes continuent de mettre en avant l’image de manifestants lançant des pierres » (Belin) ?
De tous les manuels, un seul illustre ce qu’est une colonie par une petite image (Belin). Les manuels sont en phase avec l’imaginaire grand public entretenu par les médias. Aucune des cartes des divers manuels des Terminales analysés n’est exacte.
Sous des apparences d’informations justes, les insuffisances sont nombreuses. Démonstration avec cette carte ci-dessous, du manuel Belin, enseignement général page 161 :
Certes, le nombre des colonies saute aux yeux, le tracé rouge (ligne d’armistice et Mur) illustre bien un enfermement, le blocus de Gaza est mentionné dans la légende.
MAIS !
L’assimilation « ligne verte » et mur de séparation masque la réalité connue de l’appropriation par Israël de près de 10 % de la Cisjordanie (cf. l’extrait de carte de l’ONU), et les grandes colonies de plusieurs dizaines de milliers d’habitants ne sont pas pointées.
Israël – à lire cette carte – est menacé par les attaques du Hamas. Quid des guerres israéliennes contre la population de Gaza ? Aucun visuel ne représente la barrière monstrueuse actuelle qui enferme Gaza.
Ce croquis sera plus proche de la réalité :
– Avec le figuré des grands axes de colonisation qui scindent la Cisjordanie en trois : un géographe connu utilise le terme de « spatiocide ». Un élève de Terminale doit comprendre le sens de ce terme.
– Avec les enrichissements de la légende apportés par le groupe de travail.
Groupe de travail Manuels scolaires et livres jeunesse
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