Photo : Des enfants survivant-es du bombardement israélien qui a détruit le quartier Az Zaitoun dans la ville de Gaza - Crédit : Mohammed Zaanoun (Active Stills Collective)
Un mois de bombardements incessants a exacerbé la crise déjà grave de la santé mentale des enfants de Gaza, avec des conséquences considérables, Save the Children avertissant que la santé mentale des enfants à Gaza a été poussée au-delà du point de rupture.
Environ la moitié des 2,3 millions d’habitants de Gaza sont des enfants, dont les mécanismes d’adaptation et les espaces de sécurité ont été réduits à néant, tandis que les services et l’assistance en matière de santé mentale ont été interrompus.
Ces personnes extrêmement vulnérables survivent difficilement depuis le 7 octobre en raison des bombardements et des attaques incessants de l’armée israélienne, qui ont entraîné un niveau de violence sans précédent : 10 812 personnes ont été tuées, dont 4 412 enfants et 2 918 femmes. Dans le même temps, 26 905 personnes ont été blessées. [1]
D’innombrables familles avec enfants ont été forcées de quitter leurs maisons avec un accès limité aux ressources de base telles que l’eau potable et la nourriture.
Les enfants écrivent leur nom complet sur leurs bras et leurs jambes de peur d’être enregistrés comme « personne non identifiée » s’ils venaient à être tués par des attaques israéliennes. Dans de nombreux cas, des familles entières ont été tuées en une seule fois.
L’accent est mis sur le bilan physique de cette guerre, tout simplement parce que les Palestiniens n’ont pas le luxe de penser à leur santé mentale, en particulier celle des enfants.
« Certains s’arrachent les cheveux ou se grattent les cuisses jusqu’au sang. Ils sont dans un état de détresse extrême qui les conduit à s’automutiler et à des changements de comportement visibles », a expliqué Iman El Madhoun, psychologue qui a travaillé dans des cliniques de Gaza, à The New Arab.
« Le fait que les enfants soient obligés d’écrire leur nom sur leur corps au cas où ils mourraient est extrêmement préjudiciable à leurs pensées et détruit leur santé mentale. C’est comme si on les préparait à la mort, ce qui rend l’enfant plus anxieux, plus accablé et plus craintif », a ajouté Iman.
Les experts en santé mentale de Save the Children ont averti que la poursuite actuelle des hostilités à Gaza expose les enfants à des épisodes extrêmement traumatisants tout en les privant des moyens de s’en sortir.
« Il n’y a pas d’endroit sûr, pas de sentiment de sécurité et pas de routine, des milliers d’enfants ayant été déplacés de leur domicile », a déclaré la principale organisation de défense des enfants.
Les personnes qui s’occupent des enfants sont elles-mêmes en proie au stress et luttent pour aider les enfants à faire face aux réactions émotionnelles excessives typiques des jeunes traumatisés par la violence.
Dans les conditions actuelles à Gaza, les enfants présentent toute une série de signes et de symptômes de traumatisme, notamment l’anxiété, la peur, l’inquiétude pour leur sécurité et celle de leurs proches, les cauchemars et les troubles de la mémoire, l’insomnie, le refoulement des émotions et le repli sur soi.
Le traumatisme à l’origine de ces symptômes est continu, implacable et s’aggrave de jour en jour.
« À maintes reprises, nous avons prévenu que les conséquences du conflit et du blocus sur la santé mentale des enfants sont trop lourdes. Même avant cette aggravation de la situation, plus de la moitié des parents à qui nous avons parlé ont déclaré que leurs enfants s’automutilaient ou avaient des pensées suicidaires », a déclaré Jason Lee, directeur national de Save the Children pour les territoires palestiniens occupés.
« Les mots nous manquent pour donner l’alerte en termes suffisamment forts ou pour exprimer l’ampleur de la souffrance des enfants ».
Un rapport de l’Observatoire euro-méditerranéen des droits humains a révélé que 91 % des enfants sont diagnostiqués comme souffrant d’un syndrome de stress post-traumatique.
En outre, des études menées par Save the Children après des conflits antérieurs ont montré qu’il y avait une augmentation significative du nombre d’enfants ayant déclaré avoir peur - 84 % contre 50 % en 2018 -, être nerveux - 80 % contre 55 % -, être tristes ou dépressifs - 77 % contre 62 % - et avoir du chagrin - 78 % contre 55 %.
Save the Children a également indiqué que plus de la moitié des enfants de Gaza pensaient au suicide et que trois sur cinq pensaient à s’automutiler.
Pour la plupart des enfants de Gaza, ce traumatisme fait partie de leur vie depuis leur naissance, grandissant au son des bombes, des scènes de destruction, d’horreur et de mort, tout en devant fréquemment pleurer leurs proches.
Beaucoup d’enfants ont été poussés jusqu’à la limite de la vie et de la mort, et certains d’entre eux ont dû grandir seul, en raison de la perte de leur famille entière.
Malheureusement, pour augmenter leurs chances de survie, les parents sont de plus en plus souvent obligés de séparer les frères et sœurs et de les confier à des parents différents.
Selon les médias officiels, de nombreuses familles ont déjà été complètement rayées des registres d’état civil.
Des professionnels de la santé à Gaza, dont Médecins sans frontières, ont indiqué que le nombre d’enfants sans famille survivante arrivant pour recevoir des soins médicaux est si élevé qu’un nouvel acronyme a été inventé pour les identifier : « WCNSF » (Wounded Child No Surviving Family - enfant blessé sans famille survivante).
« Je pensais sincèrement que notre monde ne pouvait pas être si horrible, chaque Palestinien a aujourd’hui le sentiment que l’humanité est une illusion », a déclaré Reham Dalloul, journaliste multimédia de Gaza et mère de trois jeunes enfants, à The New Arab.
« Le monde est sourd à nos souffrances, et nous sommes en train d’être éliminés sous les yeux du monde entier », a ajouté Reham.
Un membre du personnel de Save the Children à Gaza, père de trois enfants âgés de moins de 10 ans, a déclaré : « Il y a beaucoup de pertes et beaucoup de douleur. Nous avons peur : de ce que les heures à venir nous réservent, de ce que demain nous réserve. La mort est partout. Mes enfants me regardent dans les yeux tous les jours, ils cherchent des réponses. Je n’ai pas de réponses à leur donner. C’est très dur, surtout pour les enfants. Nous essayons de nous rassembler pour soutenir et protéger les enfants. Les besoins sont énormes. »
Les frappes aériennes israéliennes du mois dernier ont touché des milliers de bâtiments civils à Gaza, notamment des écoles et des hôpitaux abritant des familles. La violence, la peur, le chagrin et l’incertitude causent de graves troubles psychologiques aux enfants qui n’ont pas d’endroit sûr où aller.
Des études antérieures indiquent que la situation actuelle a placé les enfants dans des circonstances plus graves, entraînant une augmentation de la détresse psychologique.
« Les Palestiniens, en particulier les habitants de Gaza, se sentent complètement isolés et dévalorisés en voyant les dirigeants mondiaux rester volontairement silencieux face à leur douleur et à leur souffrance. Cela évoque en soi un type de traumatisme psychologique complètement différent », a déclaré Iman.
Reham a ajouté : « « Si ma main a survécu, voici mon nom », à quel point est-ce dévastateur pour un enfant d’écrire cela ? Au lieu d’écrire leur nom sur leurs devoirs, ils se préparent à la mort ? Quel monde cruel nous vivons ! »
Selon le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, 15 000 personnes ont évacué le nord mardi, l’armée israélienne affirmant que ses forces se dirigeaient vers l’hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza.
Le 8 novembre, les ministres des affaires étrangères du G7 ont déclaré qu’ils soutenaient "les pauses et les corridors humanitaires", mais se sont abstenus d’appeler à un cessez-le-feu.
« Nous insistons sur la nécessité d’une action urgente pour faire face à l’aggravation de la crise humanitaire à Gaza [...] nous soutenons les pauses et les couloirs humanitaires pour faciliter l’aide nécessaire d’urgence, la circulation des civils et la libération des otages », ont déclaré les ministres dans un communiqué commun à l’issue de leurs discussions au Japon.
Mais « sans un cessez-le-feu immédiat, il y a un risque très réel que la santé mentale des enfants soit poussée jusqu’au point de non-retour », a déclaré Jason Lee de Save the Children.
« Chaque jour de violence est synonyme de cicatrices mentales et physiques qui dureront toute leur vie ».
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À propos de l’auteure
Rodayna Raydan est une journaliste libano-britannique diplômée de l’université de Kingston à Londres qui couvre le Liban.
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Traduit par : AFPS