Des dizaines de milliers de personnes ont accompagné sa dépouille, comme un dernier hommage de son peuple à l’homme et à sa poésie. Le poète palestinien Mahmoud Darwich est décédé dans un hôpital des Etats-Unis le 9 août dernier, à 67 ans, à la suite de complications succédant à une opération à cœur ouvert. Au terme de trois jours de deuil national, il a été porté en terre à Ramallah, en Cisjordanie. Sa voix, grave et chaude, ne résonnera plus dans les théâtres où il rassemblait des centaines ou même des milliers de personnes venues écouter ses vers.
Mahmoud Darwich est né dans le petit village d’al Birwa, alors en Palestine. Il a sept ans en 1948 lors de l’expulsion des Palestiniens, qui a débuté avant même la création de l’Etat d’Israël qu’a suivie de la guerre israélo-arabe. Comme quelque 800 000 Palestiniens, sa famille se retrouve sur le chemin de l’exode ; et arrive dans un camp de réfugiés au Liban. Mais elle retourne en Palestine et dans ce qui est devenu Israël. Clandestinement, car le droit au retour des réfugiés est empêché par l’Etat naissant. Son village, Birwa, a été rasé ; et elle demeure plusieurs années en situation irrégulière sur sa propre terre. Mahmoud Darwich, qui se souvient avoir découvert la poésie dans les chants nocturnes d’un homme qui, tous les matins à l’aube, disparaissait, découvre à l’école la littérature, en arabe et en hébreu. Enfant, il sera menacé par le gouverneur militaire israélien de représailles contre sa famille pour avoir écrit des vers patriotiques. Adulte, à l’instar d’autres grands de la littérature palestinienne vivant dans ce qui est devenu Israël, comme Tawfiq Zayad, ou Emile Habibi (l’auteur de Saïd le peptimiste), il adhère au Parti communiste israélien. Sa poésie lui vaudra la prison. Puis il s’exile. Le Caire. Beyrouth. Et l’engagement à l’OLP auprès de Yasser Arafat. La guerre civile au Liban et l’invasion israélienne, les bombardements de Beyrouth, le départ de l’OLP par la mer et son récit, Une mémoire pour l’oubli [1]. Quelques semaines après le départ de l’OLP de Beyrouth, les réfugiés palestiniens des camps de Sabra et de Chatila ne bénéficieront d’aucune protection internationale contre les massacres perpétrés par les phalangistes libanais sous les fusées éclairantes de l’armée d’Ariel Sharon. A Tunis, l’OLP est loin des frontières de la Palestine. Mahmoud Darwich, lui, est en exil à Paris. En 1988, alors que l’Intifada a recentré le conflit sur le territoire palestinien, Mahmoud Darwich écrit le texte que prononcera Yasser Arafat en proclamant l’indépendance de l’Etat au conseil national palestinien d’Alger. Il quittera l’OLP, sans bruit cependant, lors des accords d’Oslo jugés insuffisants. Mais il revient en Palestine. Ou plutôt, dit-il, il ne revient pas puisqu’il s’installe à Ramallah qui n’est pas la ville qui l’a vu naître. Il fonde la revue poétique al Karmel. Et rencontre sur ce terrain, d’autres auteurs, comme son cadet Hussein Barghouti, auteur notamment de Lumière bleue, qui décède en mai 2002 sans avoir pu se rendre à l’hôpital durant le siège israélien.
Sans doute est-ce son poème Inscris, je suis Arabe, qui aura fait connaître Mahmoud Darwich, tôt, à toute une génération de la résistance fière de manier fusil et poésie. Mais dans sa poésie où se lit la terre, étroite, l’exil, mais aussi l’amour, Darwich, qui évoquait « la Palestine comme métaphore » [2] a su, en passant par « le discours de l’Homme rouge » [3], évoluer vers un regard universel. « (...) Quand la vie sera normale,/ nous serons tristes comme tout un chacun pour des raisons personnelles/ Aujourd’hui voilées par les grands slogan,/ Nous avons oublié nos petites blessures qui saignaient./ Demain, quand le lieu guérira,/ Nous en ressentirons les effets secondaires » écrivait Darwich lors du siège de 2002. Comme tout un chacun... Et c’est comme poète, et non comme poète palestinien seulement, que Darwich aspirait à être reconnu. Lors du siège encore, invitant ses amis du Parlement international des écrivains, il lisait ces vers [4] : « Ici, sur les pentes des collines, face au couchant/ Et à la béance du temps/ près des vergers à l’ombre coupée,/ Tels les prisonniers, tels les chômeurs/ Nous cultivons l’espoir. »
(*) Titre d’un de ses recueils, traduit de l’arabe par Elias Sanbar, Actes Sud, 1994
Avec l’autorisation de La Nouvelle Vie ouvrière (paru dans le numéro du 22 août).