Selon les informations disponibles,
il apparaît que certaines portions
du réseau desserviront certaines
colonies installées dans Jérusalem-Est
et ses alentours. L’Autorité palestinienne
a protesté contre la signature de
ce projet auprès des autorités françaises,
mais celle-ci ont décliné toute responsabilité.
Le porte-parole du Quai d’Orsay
a ainsi déclaré : « La participation
d’entreprises françaises à la construction
du tramway de Jérusalem s’inscrit
dans le cadre d’un marché international
qui obéit à une logique
commerciale. Leur participation à cette
construction n’emporte à nos yeux
aucune conséquence sur le statut de
Jérusalem-Est. Notre position reste
inchangée sur la colonisation en Cisjordanie
et autour de Jérusalem-Est,
qui est contraire au droit international
» [1].
Cette position ne saurait convaincre, et
il s’avère que l’attitude de la France à
l’égard de la conclusion du contrat relatif
à la mise en place d’un réseau de
tramway à Jérusalem pose de graves
problèmes de compatibilité avec les
obligations internationales qui lui incombent.
Le tracé du projet de tramway a été dessiné
de façon à renforcer les liens existant
entre Jérusalem-Ouest et les colonies
établies dans et autour de
Jérusalem-Est (notamment Ma’ale Adumim).
Dans cette mesure, ce projet
s’inscrit pleinement dans la politique
visant à établir un « Grand Jérusalem »
capitale éternelle de l’État d’Israël, et
prolonge sur le terrain les mesures illégales
d’annexion et de colonisation,
adoptées préalablement. La conclusion
du contrat relatif au tramway ne se
résume dès lors pas à la mise en oeuvre
d’une simple « logique commerciale »,
mais constitue une opération soulevant
des questions de respect du droit international.
Sur ce point, il pèse à charge
de la France des obligations très précises
qui ne paraissent pas avoir été respectées.
L’annexion de Jérusalem-Est et l’installation
de colonies de peuplement par
Israël ont été déclarée illégales par de
nombreuses résolutions du Conseil de
sécurité des Nations Unies, ainsi que
par l’avis de la Cour internationale de
Justice du 9 juillet 2004 [2]. Dans sa
résolution 465, le Conseil de sécurité
constate que « toutes les mesures prises
par Israël pour modifier le caractère
physique, la composition démographique,
la structure institutionnelle ou
le statut des territoires palestiniens
[...], y compris Jérusalem, ou de toute
partie de ceux-ci, n’ont aucune valeur
en droit et que la politique et les pratiques
d’Israël consistant à installer
des éléments de sa population et de
nouveaux immigrants dans ces territoires
constituent une violation flagrante
de la Convention de Genève
relative à la protection des personnes
civiles en temps de guerre et font en
outre gravement obstacle à l’instauration
d’une paix d’ensemble, juste et
durable au Moyen-Orient » [3]. En conséquence,
les États doivent « ne fournir
à Israël aucune assistance qui serait utilisée
spécifiquement pour les colonies
de peuplement des territoires occupés
».
En renforçant la stabilité et l’attractivité
des colonies installées dans et autour
de Jérusalem-Est, le réseau de tramway
contribue certainement à « modifier
le caractère physique, la composition
démographique, la structure
institutionnelle ou le statut des territoires
palestiniens ». De cette manière,
le consortium français apporte une assistance
à la pérennisation d’une situation
illégale, créée en contravention de la
4e Convention de Genève, dont l’article
49 prohibe le transfert de sa propre
population en territoire occupé. Par
ailleurs, la passation du contrat avec le
gouvernement israélien pour un tronçon
concernant Jérusalem-Est aboutit à une
reconnaissance de facto de l’annexion
de cette partie de la ville.
Le fait que le contrat ait été conclu par
des sociétés privées ne signifie aucunement
que l’État français soit déchargé
de toute obligation concernant cette
situation.
D’une part, comme souligné plus haut,
la France a une obligation de ne donner
aucune assistance à la politique
d’annexion et de colonisation israélienne,
et de n’en reconnaître aucun
effet. Or, en l’espèce, il apparaît que les
autorités françaises ont joué un rôle
actif de promotion dans la passation
du contrat. Cela ressort clairement
d’une interview donnée par le chef de
la mission économique à l’ambassade de France en Israël, Maurice Sportlich,qui indique avoir oeuvré pour l’aboutissement
de l’attribution de ce projet
à des sociétés françaises [4]. Ce rôle actif
est encore confirmé par le fait que le
contrat ait été signé lors d’une séance
solennelle dans les bureaux du Premier
Ministre Ariel Sharon, en la présence
de l’ambassadeur de France, M. Gérard
Araud, comme le rapporte la revue Dialogues,
publication officielle de l’ambassade
de France en Israël [5]. Par cette
attitude d’aide et d’encouragement à la
réalisation par des sociétés françaises
du projet de tramway, et ce en dépit de
ses implications, la France a certainement
manqué à son obligation de nonassistance
et de non-reconnaissance de
la politique d’annexion et de colonisation
de Jérusalem-Est et de ses alentours.
D’autre part, la France a l’obligation
de faire respecter par ses ressortissants
les principes énoncés dans la 4e Convention
de Genève. Cette obligation prend
sa source dans l’article 1er commun
aux conventions de Genève, qui énonce
que « les Hautes Parties contractantes
s’engagent à respecter et à faire respecter
la présente Convention en toutes
circonstances ». Elle implique de prendre
les mesures nécessaires pour s’assurer
que des ressortissants français n’apportent
pas de contribution au renforcement
de la présence d’implantations
juives dans et autour de Jérusalem-Est,
qui est contraire à l’article 49 de la 4e
Convention de Genève. Le caractère
privé des sociétés ou le caractère « commercial
» du contrat passé concernant
le tramway ne saurait à cet égard délier
les autorités françaises de ce que l’on
appelle en droit international une « obligation
de vigilance », visant le comportement
de leurs ressortissants portant
atteinte au droit international. Il existe
donc incontestablement une obligation
à la charge de la France d’empêcher
des sociétés portant sa nationalité de se
livrer à des actes apportant une assistance
à une violation du droit international
humanitaire par Israël, obligation
qui est méconnue en l’occurrence.
François Dubuisson
13 Décembre 2005