Dans les premières, M. Kouchner déclare dans son style inimitable : “La question qui se pose, en ce moment, c’est la construction d’une réalité : la France forme des policiers palestiniens, des entreprises se créent en Cisjordanie… Ensuite, on peut envisager la proclamation rapide d’un Etat palestinien, et sa reconnaissance immédiate par la communauté internationale, avant même la négociation sur les frontières. Je serai tenté par cela”, poursuit le ministre qui ajoute aussitôt : “Je ne suis pas sûr d’être suivi, ni même d’avoir raison.”
Dans la tribune, les deux ministres dressent le tableau suivant : “Dès maintenant, l’Europe pourrait promouvoir, sur le terrain, des mesures de confiance audacieuses aux deux parties afin d’aider simultanément cette relance de la négociation qui doit se produire tout de suite. Elle pourrait aussi accueillir une conférence au sommet pour la paix permettant de conforter et d’encadrer cette dynamique (…) A l’issue (sic), l’Europe, comme elle s’y est déjà engagée, reconnaîtrait collectivement l’Etat palestinien pour que la Palestine devienne enfin un membre à part entière de la communauté des nations, vivant en paix et en sécurité à côté de l’Etat d’Israël.”
M. Kouchner est-il un intrépide en proposant la reconnaissance d’un Etat avant un accord sur des frontières ? Point du tout. Cette perspective a été esquissée très précisément dès 2002 dans la “feuille de route” publiée en 2003 et à la rédaction de laquelle avait activement participé M. Moratinos. Rappelons que cette “feuille de route” prévoyait en trois phases la création d’un Etat palestinien au plus tard en décembre 2005. Voici que que ce texte prévoyait à mi-parcours :
“Pendant la seconde phase, les efforts seront concentrés sur l’objectif consistant à créer, à titre d’étape sur la voie d’un accord sur le statut définitif, un État palestinien indépendant, doté de frontières provisoires et des attributs de la souveraineté et fondé sur la nouvelle constitution.” La “feuille de route” ajoute “les membres du Quartet [Etats-Unis, Union européenne, Russie, Nations unies] préconisent la reconnaissance internationale de l’État palestinien, avec éventuelle adhésion à l’Organisation des Nations Unies.”
Autrement dit, rien de neuf, pas même l’idée défendue par le président Nicolas Sarkozy d’une conférence internationale (qu’il voudrait voir se tenir à Paris), mentionnée par les deux ministres et également prévue par la “feuille de route” pendant cette deuxième phase :
“Convoquée par le Quartet en consultation avec les parties et immédiatement après la tenue des élections palestiniennes dans des conditions satisfaisantes, elle a pour objet de soutenir la relance économique palestinienne et de lancer un processus qui conduira à la création d’un État palestinien indépendant doté de frontières provisoires.”
La “feuille de route” est le document de référence accepté par toutes les parties, même si elle a bien vieillie (la deuxième phase à laquelle on fait référence devait s’ouvrir en…juin 2003 pour s’achever en décembre de la même année.)
Qu’un ministre des affaires étrangères la redécouvre sans s’en apercevoir (sans être sûr “d’avoir raison”), et qu’il se trouve des responsables israéliens pour s’en indigner (“Accorder une telle reconnaissance alors que les dossiers du conflit ne sont pas réglés ne ferait que jeter de l’huile sur le feu. Cela ne pourrait que pousser les Palestiniens à se montrer encore plus intransigeants et à rendre ainsi tout compromis impossible”, responsable anonyme cité par l’AFP [1]), en dit long sur sa pertinence et sur la confusion qui entoure le processus de paix.