Un thème dont la raison d’être ne peut être contestée dans un monde où l’enfant est la principale victime des violences. A condition toutefois que chaque enfant victime soit reconnu comme tel et que ses souffrances ne soient pas utilisées à des fins de propagande honteuse. Dans le « conflit » ici évoqué, dont tout laissait voir qu’il était essentiellement israélo-palestinien, l’enfant palestinien n’y avait tout simplement pas de « place ».
Que les organisateurs aient « oublié » cet enfant là, voilà qui ne saurait surprendre. A leurs yeux, il n’existe pas.
Déni de ses droits, de ses souffrances. Cet enfant là, il doit être effacé : dans son regard, il y a trop d’images d’occupation, de bombardements massifs, d’humiliations quotidiennes, de rendez-vous scolaires manqués, de recours aux soins refusés, d’enfermements entre couvre-feux et murs épais qui n’en finissent pas de se construire ; il y a trop d’images de parents et d’amis morts, de frères emprisonnés, de passage dans des cellules israéliennes, de maisons détruites, de terres ravagées ; trop de blessures visibles ou invisibles, de rêves avortés...
Parler de cet enfant là, c’est parler des multiples violations d’un Droit international qu’Israël n’a jamais voulu reconnaître, de la lâcheté d’une communauté internationale emprisonnée derrière des intérêts stratégiques et économiques qui lui font oublier ses obligations au regard de la 4ème Convention de Genève...
Parler de cet enfant là, c’est dire les crimes de guerre, dénoncés tant par les organisations internationales que par des soldats israéliens qui refusent d’y prendre part et des journalistes, israéliens aussi parfois, qui dénoncent...
Que les organisateurs, donc, aient oublié cet enfant là, voilà qui ne saurait surprendre...
Que les représentants de l’Etat français se soient rendus complices d’un tel déni, qu’ils aient apporté leur caution à un Congrès qui ne saurait être confondu avec un véritable rendez-vous scientifique, voilà qui aurait nécessité de moins confuses explications.
(Pour les organisateurs,) une seule violence : celle des attentats
La lecture du programme ne laissait aucun doute sur la nature véritable de cette rencontre. Pleins feux sur les « attentats », depuis les attentats en Israël, bien sûr, en passant par ceux de Madrid.
Subtilité : un tel Congrès organisé à Toulouse ne pouvait faire l’impasse sur l’explosion d’AZF ; un moyen d’impliquer les Toulousains en réveillant une blessure encore vive, et en amalgamant catastrophe industrielle et rumeurs d’attentats.
On notera que si, pour donner bonne mesure, les organisateurs ont permis aux souffrances « des enfants dans le monde » de s’exprimer en une courte table ronde ( trois quart d’heure sur trois jours), aucune place n’a été laissée aux enfants irakiens dont on sait pourtant combien ils furent et sont encore, entre première, deuxième guerre et embargo, des victimes massives.
Comme si les terrorismes d’Etat dits de droit - Etats d’agression et d’occupation dans les faits - étaient suffisamment légitimés pour qu’ils ne puissent être tenus pour responsables de ces milliers de morts innocentes dont ils décident en toute impunité.
La seule violence digne d’être dénoncée fut donc celle des attentats : un habile recours pour faire l’impasse sur les plus de 650 enfants palestiniens assassinés dans des bombardements ou d’une balle dans la tête, à la porte de sa maison ou sur le chemin de l’école, et des milliers d’autres blessés.
Entre « mémoire » et « antisémitisme », l’occupation a été occultée
Autre point fort du programme, les souffrances de « l’enfant bouc-émissaire », de l’enfant « nouvelle victime de l’antisémitisme », ...autant de thèmes permettant de déplacer, comme il est coutumier, le conflit israélo-palestinien du terrain de la résistance nationale vers celui d’un conflit ethnique et religieux.
Une fois encore, ce Congrès a permis de relancer une méthode éprouvée pour occulter les faits, l’occupation meurtrière, les violations du Droit international, la dépossession d’un peuple, emmuré, dénié.
Si ce Congrès, présenté comme « les rencontres franco-israéliennes de Victimologie de l’Enfant », avait tenu toutes les promesses de son annonce, l’enfant palestinien y aurait été présent.
Jeff Halper, responsable de l’ICADH [1], aurait pu évoquer les traumatismes de l’enfant, réveillé en pleine nuit par des bruits de chars et les vociférations des soldats, assistant, impuissant, à la démolition de sa maison ; il aurait parlé de la perte de repères pour cet enfant qui ne peut nulle part trouver refuge, y compris sous le toit familial.
Un représentant de l’association israélienne de défense des droits de l’homme, Bt’selem, serait venu raconter les arrestations massives de jeunes enfants ou d’adolescents, leurs insupportables conditions de détention, les peines disproportionnées au regard des faits reprochés - souvent des jets de pierre ; il aurait parlé de cet ordre militaire 132 qui permet l’emprisonnement d’enfants dès l’âge de 12 ans, il aurait raconté les mauvais traitements et tortures, la difficulté ensuite, à renouer avec la vie sociale. Il aurait indiqué des chiffres : plus de 2000 enfants emprisonnés depuis septembre 2000, plus de 300 encore incarcérés.
Peut-être un médecin palestinien aurait-il été convié à témoigner des souffrances physiques, des handicaps lourds dont certains demeureront permanents ; il aurait dit les difficultés quotidiennes pour transporter un enfant malade ou blessé d’un côté à l’autre d’un barrage militaire, soit d’un village à un autre en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza.
Sans doute le docteur Iyad Sarraj, directeur du programme de santé mentale à Gaza, aurait-il évoqué les traumatismes plus intimes, ceux que l’on met plus de temps à percevoir, les angoisses, les peurs...
Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU, aurait rappelé les termes de son rapport, qui souligne le développement d’une grave malnutrition, liée à « l’imposition des mesures militaires » et qui touche plus de 22% des enfants de moins de cinq ans.
Une mobilisation massive
L’indignation qui a accompagné l’annonce de ce Congrès honteux a dépassé les frontières de l’hexagone, entraînant les mêmes protestations de la part de la communauté médicale et scientifique que de la part d’organisations humanitaires et politiques ou de simples anonymes. Elles ont été si clairement exprimées que les organisateurs ont, à la dernière minute, déclaré que deux ou trois tables rondes seraient consacrées aux enfants palestiniens. A la sauvette sans doute. Mais ce retour sur un programme depuis longtemps annoncé, démontre combien chacun était conscient de la difficulté à le justifier.
Sans doute la Mairie de Toulouse a-t-elle perçu ce que cet appui avait d’indécent et l’erreur politique qu’elle avait commise, une de plus sur la route d’un soutien inconditionnel plusieurs fois exprimé à la politique israélienne.
Alors que l’armée israélienne s’acharnait sur Gaza, au printemps dernier, de nombreux officiels israéliens n’étaient-ils pas reçus avec grand apparat pour fêter l’anniversaire de la création de l’Etat d’Israël ?
La Mairie, donc, a tenté de rectifier le tir. Reçue lundi matin par Monsieur Pierre Chabanne, directeur de cabinet du Maire de Toulouse, une délégation des organisations protestataires s’est vue assurée de la détermination des autorités locales à organiser au cours des prochains mois, un autre colloque , franco-palestinien cette fois, sur la victimologie pédiatrique.
Que l’on ne s’y trompe pas. La Mairie ne saurait se passer de la caution - scientifique ? politique ? israélienne : M. Chabanne a souligné que ce Congrès ne pourrait s’organiser sans la présence de médecins israéliens. On notera qu’au premier tour de piste, la présence de médecins palestiniens n’avait pas été jugée utile !...
Désireux, ô combien, de désamorcer une « polémique » qui ne tournait pas à son avantage, M. Chabanne s’est par ailleurs engagé à sortir des cartons où il était enfoui, un dossier que l’on pouvait imaginer enterré : celui du jumelage de la ville de Toulouse - jumelée de longue date avec Tel-Aviv - avec une ville palestinienne.
Des promesses qu’il importe aujourd’hui de transformer en réalités. Car si les Toulousains ont envie de croire en leurs élus, quelques précédents ne poussent pas à l’optimisme. Au printemps 2002, au cœur de l’opération Rempart, une délégation du groupe local de l’AFPS avait été reçue par Madame de Veyrac, députée européenne et responsable des relations internationales à la Mairie. A défaut de pouvoir s’engager rapidement dans un jumelage, nous avait-elle alors confié, la Mairie pourrait mettre en œuvre un envoi de secours d’urgence aux Palestiniens. Mais le conditionnel ne s’est pas transformé en futur proche. Aucun avion n’a jamais décollé de l’aéroport de Toulouse-Blagnac.
Face à des médias locaux qui ont de fait mis davantage l’accent sur la « polémique » que sur le caractère « savant » de cette rencontre, face aux « promesses » que l’on espère avec lendemains des autorités locales, faut-il parler de semi-victoire ? Assurément pas.
L’organisation de ce Congrès démontre mieux que tout, à la fois le soutien de la plus grande partie de la classe politique française à la politique israélienne et la « naïveté » de certains participants volontiers trompés dans leurs engagements, une preuve s’il en est de l’influence de la propagande israélienne qui parvient à faire de l’Etat d’Israël la victime et des Palestiniens des bourreaux.