Difficile de ne pas qualifier pareille stratégie de fuite en avant, mais Saëb Erakat, principal négociateur palestinien, l’assure : l’Autorité palestinienne qui a engagé une procédure de reconnaissance aux Nations unies n’a plus d’autre solution. Les protestations sociales et politiques qui se sont multipliées depuis début septembre en Cisjordanie, nous explique-t-il, mardi 9 octobre, ne sont pas étonnantes : " Nous sommes une Autorité qui ne peut plus payer les salaires, qui ne peut offrir un horizon politique, qui ne peut obtenir la réconciliation - palestinienne, entre le Fatah et le Hamas - , et les Israéliens continuent la colonisation ! "
" Que croyez-vous que les Palestiniens puissent nous dire ? C’est simple : "Pourquoi nous avons vous élus ?" Et c’est bien pourquoi nous allons aux Nations unies ! " La stratégie consistant à obtenir un vote de l’Assemblée générale de l’ONU sur une résolution demandant pour la Palestine un statut d’Etat " observateur permanent " n’est pas sans risque, mais Saëb Erakat estime qu’il n’y a " rien de pire que le statu quo " actuel, qui est, selon lui, la seule priorité du premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou.
Il sait bien que certains diplomates émettent des doutes s’agissant de la détermination de Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, d’aller jusqu’au bout, à plus forte raison si les principaux pays européens ne la soutiennent pas, mais il est formel : " Aucune force au monde ne pourra nous forcer à revenir sur notre décision, vingt ans après le début de nos négociations stériles avec Israël ! "
L’approche des Palestiniens consiste à demander au plus grand nombre possible d’Etats (notamment européens) de participer à la rédaction de cette résolution, de façon - M. Erakat ne le nie pas - à les impliquer dans cette démarche. Rares sont cependant les capitales à s’être engagées à soutenir, du moins à ce stade, une initiative qui déplaît à Washington.
Les Européens craignent que celle-ci incite les Etats-Unis, quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle du 6 novembre, à ne pas se réinvestir dans le processus de paix israélo-palestinien. Les Américains, confirme un diplomate occidental, ont fait parvenir à leurs alliés européens un mémorandum les incitant à ne pas apporter leur caution à une solution qu’ils jugent extrêmement contre-productive. " Le ton est net, assez dur, précise notre interlocuteur, ils disent tout le mal qu’ils pensent d’une initiative jugée unilatérale, et soulignent qu’elle portera un coup fatal au processus de paix. "
Le négociateur palestinien reconnaît que le fait d’obtenir un statut d’" observateur permanent " ne changera rien à la réalité concrète de l’occupation israélienne, mais il pense que les avantages l’emporteront, et, de façon déconcertante, il assure que les Palestiniens seront en meilleure position pour reprendre des négociations avec Israël...
" La Palestine, Etat constitué sur la base des frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, deviendra un pays sous occupation. Il ne s’agira plus, comme aujourd’hui, de territoires palestiniens "disputés". Il y aura alors pour 192 pays membres de l’ONU une obligation d’agir en faveur d’un pays frère occupé. Aucun pays, y compris les Etats-Unis, explique-t-il, ne pourra continuer à traiter Israël comme un pays au-dessus des lois. "
Plusieurs responsables israéliens ont commencé à agiter la menace de représailles, comme la suspension du versement des taxes et droits de douane qu’Israël prélève au nom de l’Autorité palestinienne, l’annexion de la vallée du Jourdain et de blocs de colonies. Une telle attitude n’aurait qu’un seul résultat, rétorque le négociateur palestinien : " Si Nétanyahou décide de ne plus nous verser notre argent, si les Américains décident de ne plus nous aider, l’Autorité palestinienne s’effondrera. "
Ce scénario est peu ou prou celui d’un seul Etat, qui obligerait les Israéliens à prendre en charge, financièrement, administrativement et sur le plan sécuritaire, l’intégralité des territoires palestiniens. C’est notamment pour cela que Saëb Erakat ne croit pas trop à la perspective des représailles. " Les règles du jeu pour Nétanyahou ne seront pas les mêmes le jour d’après - le vote de la résolution par l’ONU - , il y aura un prix à payer ", ajoute-t-il en faisant référence aux différents comités des Nations unies permettant de dénoncer la politique israélienne.
Sans compter, ajoute-t-il, la possibilité de traduire devant la Cour pénale internationale (CPI) des responsables israéliens, pour leurs " crimes ". Comme la plupart des responsables palestiniens, Saëb Erakat est conscient de s’engager dans une stratégie à haut risque : " Si l’Autorité est détruite, alors cela signifiera notre échec. Dans ce cas, les Palestiniens devront avoir un nouveau leadership, une autre réflexion, une autre stratégie. Cela fait vingt ans que je négocie pour la paix, conclut-il, je ne peux pas continuer à mentir aux Palestiniens, je dois leur dire la vérité : nous avons tout essayé, mais, en Israël, nous n’avons pas de partenaire pour la paix. "