Chers amis,
Permettez- moi tout d’abord de saluer et de remercier l’AFPS et la Ligue des Droits de l’Homme pour cette importante initiative. La solidarité internationale sous toutes ses formes est un élément essentiel de notre stratégie. C’est elle qui confère à notre choix de l’action non-violente sa visibilité et son efficacité, et transforme la résistance de notre peuple en élément incontournable de l’équation politique régionale. Les mouvements solidaires ont déjà contribué à transformer le rapport de forces moral et les opinions publiques, après des décennies de complaisance, voire de complicité, des Etats avec les gouvernements israéliens successifs. Les mots manquent pour exprimer notre gratitude.
Cette initiative précède de quelques jours seulement le premier acte officiel et formel de notre recours à la communauté internationale dans sa totalité représenté par l’ONU – pour faire reconnaitre l’existence en droit de notre Etat, dont nous avons proclamé l’indépendance à Alger le 15 novembre 1988, et que plus d’une centaine d’Etats de par le monde avaient alors reconnu. C’est une bataille d’importance historique, et nous apprécions hautement que vous vous y teniez à nos côtés.
Les questions que vous nous soumettez sont bien sûr les questions que la réalité de la situation soulève, et je vais tenter d’y répondre.
CINQ QUESTIONS
1. POURQUOI UNE RECONNAISSANCE ET UNE DEMANDE D’ADMISSION A L’ONU ? ET POURQUOI SEULEMENT MAINTENANT ?
La réponse au premier volet de la question est simple. Après pratiquement 20 ans de négociations bilatérales avec les gouvernements israéliens successifs, nous avons pris la décision de nous adresser directement à la communauté internationale pour obtenir la reconnaissance de nos droits inaliénables. La reconnaissance de notre Etat dans les frontières de 1967, et son admission en tant que tel parmi les Nations, met un terme aux phantasmes d’annexion nourris par le gouvernement israélien, autant qu’à la théorie mensongère des territoires « disputés ». Elle constitue une victoire symbolique, mais aussi juridique, sur l’occupation et la colonisation, dont notre peuple a grand besoin pour poursuivre sa longue marche vers la liberté.
Pourquoi seulement maintenant ?
Je serais tenté de répondre que la patience des peuples, comme celle des individus, à des limites. Vingt ans après Madrid, 18 ans après Oslo, l’occupation, la colonisation de peuplement et toutes les violences qui les accompagnent n’ont fait que s’aggraver, jalonnées d’agressions militaires de grande envergure et de véritables massacres de civils, de détentions massives et de destructions considérables. Le territoire de Gaza, vaste prison à ciel ouvert, reste soumis à un implacable blocus, uniquement préservé d’une grave crise humanitaire grâce à l’économie improvisée des tunnels clandestins, sa population contrainte de développer des trésors d’imagination pour trouver les moyens de sa survie. En Cisjordanie, les centaines de barrages fragmentent le territoire et entravent systématiquement la libre circulation des personnes et des marchandises. Finalement, le gouvernement d’extrême-droite qui gouverne Israël a amplement démontré son refus de négocier sur une base acceptable en faisant fi de tous les termes de référence du processus de paix et en y substituant l’illégalité des faits accomplis sur le terrain. Malheureusement, l’administration américaine, en dépit de déclarations initiales encourageantes, s’est révélée incapable d’influencer positivement son allié et protégé israélien, lui assurant au contraire un alignement et une impunité sans limite.
C’est également tout récemment que répondant à l’exigence populaire quasi-unanime, le Mouvement de la Résistance Islamique connu sous l’acronyme de Hamas a accepté de mettre un terme à la division politique, géographique et juridictionnelle entre les deux parties du territoire palestinien. Cette réunification, qui n’implique absolument pas une communauté de projet social et politique, mais exige la constitution d’un gouvernement d’union nationale et la préparation d’élections législatives et présidentielles dans l’année à venir, reconstitue l’interlocuteur représentatif unique et légitime sans lequel aucune démarche en faveur de la paix n’est possible.
Il faut enfin souligner l’évolution positive des positions européennes, à laquelle les bouleversements dans la région, rapidement désignés comme « le printemps arabe », mais aussi l’exemple fourni par quelque dix Etats en Amérique latine, ne sont sans doute pas étrangers.
En bref, tandis que la patience s’émoussait et que l’urgence d’une initiative s’imposait, les conditions mûrissaient pour que nos revendications soient entendues, d’où notre détermination à aller de l’avant, dans le cadre le plus multilatéral qu’il soit donné d’imaginer.
2. QUELLES SONT LES CONDITIONS A REMPLIR PAR LES PALESTINIENS AU REGARD DU DROIT INTERNATIONAL ?
Je pense que l’OLP – qui demeure la représentante légitime de l’ensemble des Palestiniens, et tout particulièrement des cinq millions de réfugié et de personnes déplacées – et l’Autorité nationale Palestinienne ont démontré leur adhésion à l’esprit et à la lettre du droit international, et leur volonté de respecter les conventions et les accords signés, en prenant en considération l’indivisibilité du droit. Au plan économique et au niveau de la gouvernance, les plus hautes instances internationales ont fait l’éloge du bilan palestinien, et ont conclu à la viabilité de l’Etat.
Sur le plan de la sécurité, tant locale que régionale, nous sommes prêts à assumer nos responsabilités et à lutter sans relâche contre tout recours à la violence. Nous avons convaincus nos partenaires du Hamas de s’engager définitivement dans ce qu’ils appellent « la trêve de longue durée », et nous avons même obtenu un engagement de même nature de la part du « Jihad Islamique », un fait sans précédent. Il convient aussi de souligner qu’en déléguant au Président de l’Autorité palestinienne un mandat pour négocier avec la partie adverse, le Hamas a implicitement endossé l’ensemble des accords signés et les résolutions internationales dans le cadre desquelles ils se situent.
3. POURQUOI LE GOUVERNEMENT ISRAELIEN A-T-IL TELLEMENT PEUR DE L’EXISTENCE DE L’ETAT DE PALESTINE ?
Ici encore, je serais tenté de dire, demandez-le lui ! Mais si on m’autorise à répondre à sa place, j’avancerais les raisons vraisemblables de la panique que la perspective de notre indépendance suscite au sein des cercles dirigeants israéliens.
Tout d’abord, dans une logique de guerre, toute avancée de la partie adverse représente une défaite et une humiliation.
Deuxièmement, la fin de l’occupation sonne le glas de la colonisation de peuplement ainsi que le démantèlement des colonies et du Mur d’annexion qui morcèle le territoire et y instaure un régime d’apartheid caractérisé, toutes mesures opposées au programme et à l’idéologie de l’équipe actuellement au pouvoir, qui provoqueraient immanquablement l’éclatement de la coalition aujourd’hui dirigeante.
Troisièmement, l’existence reconnue de l’Etat palestinien conférera du même coup à l’Etat d’Israël des frontières sûres, reconnues, et surtout définitives, excluant toute revendication territoriale additionnelle et toute velléité d’agression militaire en vue d’acquérir, en violation du droit international, de nouveaux territoires par la guerre. La stabilité des nouvelles frontières signifie aussi la fin du litige territorial, c’est-à-dire l’élimination de tout prétexte à la réactivation du conflit.
Quatrièmement, l’Etat indépendant sera en mesure de maintenir la question des droits des réfugiés, mais aussi celle de la poursuite des criminels de guerre et des crimes contre l’humanité, à l’ordre du jour de la communauté internationale, ce qui mettra le gouvernement israélien dans une position d’accusé, acculé à la défensive.
Enfin, les dirigeants israéliens, dont le règne est généreusement garanti par un soutien financier américain sans parallèle, savent que la fin de l’Etat de guerre signifiera la fin du régime unique de subventions et de financement sur lequel Israël peut se permettre de consommer infiniment plus qu’il ne produit, et condamnera la couche dirigeante aujourd’hui portée à bout de bras par l’afflux de capital étranger à abandonner ses pratiques clientèlistes et à rechercher auprès de la société israélienne elle-même de nouvelles sources de légitimité.
Mais au-delà de l’ensemble de ces considérations, il convient de comprendre que l’Etat palestinien, qui illustrera l’échec du projet historique consistant à nier l’existence même du peuple palestinien, représente une défaite idéologique majeure, une remise en question fondamentale de l’axiome d’une incompatibilité insurmontable entre l’entreprise sioniste et les aspirations nationales du peuple palestinien, ne serait-ce que sur le quart du territoire de la Palestine du Mandat britannique. Cette défaite risque de déstabiliser en profondeur les certitudes qui sous-tendent le soi-disant « consensus » national israélien, ouvrant la porte à de considérables mises en cause, matérialisant la fin de l’illusion d’innocence.
4. QUELLE EST L’ATTITUDFE DE LA FRANCE ET DE L’UNION EUROPENNE SUR CETTE QUESTION ?
Depuis plus de trente ans, la France à joué un rôle pionnier dans la reconnaissance du droit des Palestiniens à l’autodétermination. De la déclaration de Venise au début des années 80, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estain, au discours de François Mitterrand au parlement israélien, du rôle joué par la France dans l’évacuation des combattants Palestiniens de Beyrouth en 1982 et de Tripoli en 1983, et jusqu’à la période actuelle, les gouvernements successifs de la République française ont été la locomotive de l’Europe vers une solution juste et durable du conflit. Il est cependant indéniable que, coincée entre la volonté américaine de garder une mainmise exclusive sur le processus politique et le manque d’unanimité au sein de l’Europe elle-même, qui s’est aggravé avec les récents élargissements en Europe de l’Est, la France n’a guère eu les moyens de transformer ses positions, ses actes symboliques et ses déclarations en action concrète susceptible de modifier radicalement la réalité sur le terrain. Ce n’est que récemment, dans le contexte des conditions évoquées plus haut, que la France s’est engagée dans la voie de la reconnaissance explicite de l’Etat, alors même que d’ultimes tractations sont en cours pour élaborer une formule qui permettrait de matérialiser un consensus européen sur le vote prochain à l’ONU.
5. QUELLES SONT LES CONSEQUENCES PREVISIBLES DE LA RECONNAISSANCE OU DE LA NON-RECONNAISSANCE ?
Même dans l’hypothèse prévisible, mais pas forcément inévitable, d’un véto américain au Conseil de Sécurité, la reconnaissance est virtuellement acquise au sein de l’Assemblée générale. Nous ne nourrissons cependant aucune illusion, et nous savons que ce vote à lui-seul ne va pas nous restituer la souveraineté sur notre territoire, en dépit de l’amélioration du rapport de forces moral, légal et politique en faveur de nos droits, et de la possibilité de rejoindre une série d’instances, d’organismes et de conventions internationales qui constitueront autant de tribunes et de points d’appui. Mais nous serons toujours contraints de retourner à la table des négociations pour obtenir un accord avec Israël, qui n’évacuera effectivement les territoires occupés que de son plein gré, ce qui a priori suppose un changement politique en Israël même, sans doute facilité par l’impact de la reconnaissance, qui manifeste l’échec de l’équipe au pouvoir.
Sur le terrain, cette victoire symbolique risque bien de ne rien changer pour un moment, et même de provoquer un durcissement de la position israélienne, tant au niveau du discours que des pratiques répressives. Sur le moyen terme, cependant, la position de l’occupant d’un Etat reconnu, quelque soit son statut au sein de l’ONU, deviendra de plus en plus intenable, et l’isolement diplomatique d’Israël dans ce contexte finira par donner des fruits, et à ouvrir la perspective d’un renouveau des négociations.
L’hypothèse d’une nouvelle flambée de violence, avec laquelle le gouvernement israélien espère effrayer la communauté internationale, et que nous voulons à tout prix éviter, n’est guère crédible. Mais on ne saurait exclure la possibilité que le gouvernement israélien ne se lance dans une nouvelle aventure militaire, contre le Liban ou contre l’Iran, voire contre l’Egypte ou même la Turquie si la tension avec ces pays continue de monter. Ce serait bien sûr reculer pour mieux sauter, et constituerait pour Israël un cours authentiquement suicidaire, tout en précipitant la région toute entière dans une tragédie sans précédent. La vigilance de la communauté internationale pour barrer la route à ces funestes tentations serait alors vitale pour la sécurité et la stabilité de l’ensemble de la méditerranée et du Moyen Orient.
Hael al Fahoum
Paris, 15 septembre 2011