Il y a vingt ans, le 13 septembre 1993, naissait un formidable espoir au Proche-Orient. La signature, à Washington, de la "Déclaration de principes" par Itzhak Rabin, premier ministre d’Israël, et Yasser Arafat, président du comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), leur poignée de main historique encouragée par le président américain Bill Clinton, instauraient un changement fondamental dans la région : pour la première fois, Israéliens et Palestiniens se reconnaissaient mutuellement, convenaient de chercher ensemble les moyens de parvenir à une paix durable.
Les premiers acceptaient de reconnaître l’OLP comme seul représentant du peuple palestinien, laquelle a donné naissance à l’Autorité palestinienne, que dirige aujourd’hui le président Mahmoud Abbas. Les Palestiniens reconnaissaient de leur côté le droit à l’existence d’Israël, qui s’engageait à retirer son armée de certaines parties des territoires palestiniens. Cet héritage d’Oslo perdure : c’est grâce à lui qu’Israéliens et Palestiniens restent liés par des arrangements économiques, ainsi que par des instances de concertation et de coordination en matière sécuritaire, sans lesquelles la stabilité relative qui prévaut en Cisjordanie aurait volé en éclats.
C’est donc parce que les accords d’Oslo demeurent une illusion tenace qu’Israéliens et Palestiniens ont pu reprendre cahin-caha, fin juillet, les négociations qui avaient été interrompues il y a trois ans. Cela signifie qu’une large majorité d’entre eux demeurent convaincus que le principe de deux Etats est la seule option acceptable pour parvenir à la paix, même si les partisans d’un Etat binational, parce qu’ils tirent les conclusions de la croissance ininterrompue de la colonisation en Cisjordanie, font, depuis quelque temps, un nombre croissant d’émules dans l’un et l’autre camp.
Vers une deuxième mort ?
Oslo a-t-il constitué un point de non-retour qui lie inexorablement les deux parties à un "processus" de paix, fût-il erratique ? Ce n’est plus aussi sûr. Benyamin Nétanyahou, le premier ministre israélien, a menacé d’abroger les accords d’Oslo sur l’autonomie palestinienne, en juillet 2011, pour répliquer à la démarche de M. Abbas visant à obtenir l’adhésion de l’Autorité palestinienne aux Nations unies, et ce dernier a lui aussi évoqué l’annulation de ce cadre juridique, en septembre 2012, pour protester contre l’étranglement économique de son gouvernement par Israël. L’utilité d’Oslo se vérifie donc aussi en creux, puisque son abrogation éventuelle est agitée comme une menace.
Si d’aventure les négociations israélo-palestiniennes en cours devaient aboutir à une nouvelle impasse, le scénario d’une autodissolution de l’Autorité palestinienne, qui remettrait ainsi les clés de la gestion administrative de la Cisjordanie à Israël, serait d’actualité. Ce serait alors la deuxième mort d’Oslo. Car les vingt années qui se sont écoulées depuis l’euphorie qui avait accompagné le processus de négociations secrètes qui a eu lieu dans la capitale norvégienne ont surtout été fécondes de frustrations et d’occasions gâchées.
Si l’assassinat d’Itzhak Rabin le 4 novembre 1995 par un extrémiste juif a été un facteur déterminant pour expliquer le déraillement du processus, plusieurs causes peuvent être avancées. L’Israélien Yossi Beilin, qui en fut l’un des principaux architectes, estime que le défaut congénital d’Oslo est de n’avoir prévu qu’un accord intérimaire, alors qu’il existait une volonté suffisante, dans les deux camps, pour négocier un statut permanent s’agissant des principaux différends (les frontières, les réfugiés, Jérusalem, etc.).
Oslo prévoyait que des négociations sur le "statut final" s’engageraient dans un délai de cinq ans, ce qui n’a jamais eu lieu. Pour aboutir à quoi ? Si la perspective de la création d’un Etat palestinien était claire pour les Palestiniens, elle n’allait pas de soi pour les Israéliens. La période de grâce aura duré moins de deux ans. Succédant à Rabin en 1996, Benyamin Nétanyahou avait pour priorité de détricoter les accords d’Oslo, définitivement enterrés avec le début de la seconde Intifada, en 2000.
Absence totale de confiance
Bien qu’Israéliens et Palestiniens aient repris aujourd’hui des pourparlers, la persistance du cadre juridique d’Oslo est un avantage pernicieux, dans la mesure où il n’incite pas les deux parties à prendre des risques politiques pour la paix. A quoi bon bouleverser un statu quo avec lequel, bon an mal an, chacune des deux communautés peut vivre ? A condition bien sûr d’ignorer une évolution mortifère pour la solution de deux Etats : outre qu’Israël exerce un contrôle total sur 61 % de la Cisjordanie (la zone C), le nombre des colons israéliens a plus que doublé en vingt ans, passant de 262 500 en 1993 à 520 000 aujourd’hui, dont 200 000 à Jérusalem-Est.
Depuis la reprise des pourparlers, l’Etat juif a annoncé la construction de plus de 3 600 nouveaux logements dans des colonies. Tout comme les Américains, les Palestiniens ont de facto accepté la poursuite de la colonisation. Mais ils ne veulent pas retomber dans les errements d’Oslo. Nabil Chaath, vieux routier du processus de paix et membre important du Fatah, le principal parti de l’Autorité palestinienne, fixe ces lignes rouges : "Il doit y avoir une implication internationale, avec une détermination à vérifier les étapes agréées par les deux parties, sans impunité pour Israël et avec un arbitrage contraignant. Enfin, il n’est plus question d’accord intérimaire et aucun sujet ne doit être renvoyé à une négociation ultérieure." Comme ce fut le cas après la mort de Rabin, la seule chose qu’Israéliens et Palestiniens partagent est une absence totale de confiance quant aux intentions de l’autre partie. Les Palestiniens rappellent que la conversion de M. Nétanyahou en faveur du principe de deux Etats est de fraîche date (son discours de l’université Bar-Ilan, en juin 2009) et qu’elle n’a jamais été inscrite dans la charte et le programme électoral de son parti, le Likoud. Les sondages montrent qu’Israéliens et Palestiniens soutiennent la solution de deux Etats, mais n’y croient pas.
Vingt ans après Oslo, le processus de paix est devenu pour l’Autorité palestinienne une raison d’être, un pourvoyeur d’emplois et d’aide étrangère, laquelle génère une relative prospérité économique. Les Israéliens ont compris qu’ils échappaient en partie à la stigmatisation internationale en restant dans la négociation, et les Américains s’efforcent de redorer leur image ternie de médiateurs en évitant de critiquer trop fort la colonisation. Chacun joue sa partition, indéfiniment, et la paix est un objectif qui n’a jamais paru aussi éloigné.