Au cours des négociations avec les Palestiniens au sujet du document-cadre au début de 2014, le Premier Ministre Benjamin Netanyahou a exigé que l’administration Obama insère une disposition déclarant que des colons israéliens et des colonies israéliennes en Cisjordanie seraient autorisés à rester dans un futur état palestinien sous juridiction palestinienne. Ceci est conforme à une ébauche du document obtenu par Haaretz et aux conversations avec de hauts fonctionnaires d’Israël et des USA qui ont été impliqués à l’époque dans les pourparlers.
Les Américains étaient disposés à un moment donné à insérer la disposition dans le document, mais en fin de compte elle a été retirée à la demande de Netanyahou en raison de pressions politiques de la part du Président de Habayit Hayehoudi (Le Foyer Juif), Naftali Bennett, de même que de la part de plusieurs membres dirigeants du parti du premier ministre, le Likoud.
L’évacuation des colons et des colonies dans le cadre d’un futur accord de paix avec les Palestiniens est une question politique hautement sensible pour tout gouvernement israélien et d’autant plus pour Netanyahou, pour qui les colons sont une base de soutien politique majeure.
Netanyahou a exigé que des colons juifs soient autorisés dans le cadre du futur accord de paix à rester en Cisjordanie, mais a ensuite fait marche arrière, révèle un document obtenu en exclusivité par Haaretz
Les hauts fonctionnaires israéliens qui ont été impliqués à l’époque dans les négociations ont remarqué que la question de laisser certains des colons ou certaines colonies dans un futur état palestinien était au centre des discussions internes parmi l’équipe des négociateurs israéliens.
A l’époque la plupart des membres de l’équipe des négociateurs israéliens, en premier lieu la Ministre de la Justice d’alors, Tzipi Livni, estimaient que laisser des colons dans un futur état palestinien était une question purement théorique, à la fois parce qu’il était douteux qu’il y aurait des colons qui voudraient rester dans un état palestinien, et parce que laisser des colons dans un semblable état était susceptible d’engendrer de graves problèmes de sécurité.
Toutefois, dans des discussions internes à l’époque, Netanyahou soutenait l’idée de laisser des colons dans l’état palestinien, dans des colonies isolées existantes qui ne seraient pas annexées à Israël.
Les hauts fonctionnaires israéliens ont remarqué que Netanyahou avait à l’époque plusieurs raisons de défendre sa position :
1. Une question de principe : si une minorité palestinienne, disposant de l’égalité des droits, existe en Israël, il n’y a pas de raison pour laquelle il ne devrait pas y avoir de minorité juive, disposant de droits égaux, dans l’état palestinien.
2. Une raison de fond : Netanyahou pensait que la possibilité de laisser des colonies en place dans le futur état palestinien résoudrait certains des problèmes pratiques liés à la nécessité d’évacuer des dizaines de milliers de colons de leur maison.
3. Une raison politique : Netanyahou estimait que l’ajout du principe de laisser des colons ou des colonies dans l’état palestinien dans l’accord-cadre, qui était en train d’être élaboré par le Secrétaire d’ Etat d’alors, John Kerry, aiderait le premier ministre à surmonter une importante opposition politique à la coopération avec les démarches de Kerry et à prévenir la chute de la coalition de gouvernement de Netanyahou.
Les hauts fonctionnaires israéliens ont remarqué que Netanyahou avait demandé aux Américains d’insérer la disposition dans un des principes avancés dans l’accord-cadre que Kerry était en train d’approfondir. Dans une ébauche du document obtenu par Haaretz, datant du début de février 2014, il y avait une disposition spécifiant que les Israéliens choisissant de rester dans l’Etat de Palestine vivraient sous juridiction palestinienne, sans discrimination et avec pleins droits et protections.
La disposition dans l’ébauche était marquée avec la lettre “I,” indiquant que c’était une exigence israélienne. Il était mentionné dans l’ébauche que Netanyahu préférait que la disposition ne déclare pas que les colons resteraient dans leur maison dans l’Etat de Palestine, mais plutôt seulement qu’ils resteraient “sur place.”
Un ancien fonctionnaire des Etats-Unis qui a été impliqué dans les pourparlers a déclaré que les Américains ont eu du mal à comprendre l’insistance de Netanyahu, puisque ces colonies se seraient trouvées dans le territoire du futur état palestinien, peu importe la formulation qui serait utilisée pour le décrire.
Selon ce fonctionnaire des Etats-Unis, Netanyahu a déclaré qu’une disposition spécifiant que des Israéliens resteraient dans l’Etat de Palestine serait politiquement inacceptable pour des électeurs israéliens de droite.
La position du premier ministre était l’arrière-plan d’une mention entre parenthèses spécifiant : “les négociateurs (des Etats-Unis) ont besoin de vérifier avec le Premier ministre (Netanyahou) s’il veut garder cet article. Ils estiment que, si c’est le cas, il appuiera fortement pour « sur place. » « Sur place » est incompatible avec la politique des Etats-Unis et en conséquence inacceptable pour nous de même que pour les Palestiniens.”
L’ancien fonctionnaire des Etats-Unis a ajouté que les négociateurs américains avaient exprimé leur bonne volonté pour inclure dans le document-cadre la question des colons restant dans l’état palestinien, mais ont tenu à préciser qu’ils avaient aussi l’intention de discuter de cela avec la partie palestinienne et de chercher une formulation sur laquelle l’accord puisse se faire avant qu’elle ne soit insérée dans la version finale.
La partie israélienne a mis l’accent à ce moment sur le fait que le Président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, avait déjà donné son accord à une idée semblable au cours des pourparlers avec l’ancien Ministre israélien Yossi Beilin au milieu des années 1990. Dans ses conversations avec Beilin, Abbas avait déclaré que les Palestiniens seraient d’accord pour autoriser des colons à rester dans un état Palestinien, mais seulement à la condition que les colonies elles-mêmes deviennent des villages ouverts à tous ceux en capacité d’y acheter une maison, sans aucune discrimination fondée sur la religion ou la nationalité.
Bien que la disposition concernant les colons dans un état palestinien soit apparue dans une ébauche de février 2014 du document-cadre, elle ne figurait pas dans une ébauche ultérieure en mars – l’ébauche qui a été présentée à Abbas lors d’une réunion le 17 mars 2014 avec le Président Barack Obama à la Maison Blanche. Au lieu de cela, dans la section traitant de la reconnaissance mutuelle entre Israël et la Palestine, il y avait une phrase spécifiant que les deux états s’abstiendrait de discriminations religieuses ou nationales à l’encontre de leurs citoyens.
Les hauts fonctionnaires israéliens qui ont été impliqués dans les négociations ont remarqué que Netanyahou, qui avait d’abord demandé que la disposition donnant aux colons l’option de rester dans l’état palestinien soit insérée, avait été celui qui avait demandé ensuite qu’elle soit effacée. L’arrière-plan du changement de position de Netanyahou, ont déclaré les fonctionnaires, consistait en un affrontement politique public à la fin de janvier 2014 entre le premier ministre et Bennett.
Les fonctionnaires israéliens ont déclaré que pendant cette période, Netanyahou avait voulu jauger comment l’opinion publique et les hommes politiques réagiraient à l’idée de laisser des colons dans l’état palestinien. Le 24 janvier de cette année-là, à une conférence de presse au forum économique de Davos en Suisse (peu après la réunion avec Kerry), Netanyahou a dit qu’il n’avait l’intention d’évacuer aucune communauté ni de déraciner aucun Israélien dans le cadre d’un futur accord de paix avec les Palestiniens.
Deux jours après, Le Bureau du Premier Ministre a livré une histoire aux agences de presse étrangères selon laquelle Netanyahou estimait que les colons, qui souhaitaient rester chez eux sous souveraineté palestinienne après la signature de quelque accord de paix seraient autorisés à le faire.
Un haut fonctionnaire du Bureau du Premier Ministre a dit à l’époque aux agences de presse que Netanyahou pensait qu’il n’y avait pas de raison qu’il ne doive pas y avoir une minorité juive dans l’état palestinien, tout comme il y a une minorité arabe dans l’état juif.
Toutefois, le ballon d’essai de Netanyahou aux médias a entraîné une réponse de colère du côté de la droite israélienne. Bennett s’en est pris à cette idée, disant qu’elle “reflétait une confusion éthique. » Trois ministres adjoints de l’époque, Zeev Elkin, Tzipi Hotovely et Danny Danon, ont aussi condamné l’idée, en publiant des communiqués exprimant des critiques sévères envers Netanyahu.
L’attaque de Bennett contre le premier ministre a provoqué une grave crise dans la coalition (de gouvernement), qui à son point le plus grave a conduit le Bureau du Premier Ministre à lancer un ultimatum exigeant que Bennett s’excuse ou démissionne. La menace a marché et Bennett s’est excusé.
Mais la critique sévère de Bennett a aussi produit un effet. Les hauts fonctionnaires israéliens ont dit que la conclusion que Netanyahou a tiré de l’incident a été que l’inclusion de la disposition relative au maintien des colons ne résoudrait pas le problème politique de Netanyahou ainsi qu’il l’avait cru, mais au lieu de cela créerait un problème politique encore pire.
Les hauts fonctionnaires israéliens ont remarqué qu’à la suite de l’affrontement avec Bennett, au cours de février 2014, Netanyahou a demandé aux Américains de retirer la disposition du document-cadre. Les fonctionnaires ont ajouté que, bien que le premier ministre ait demandé le retrait, il n’avait pas réellement renoncé à l’idée de laisser des colons dans l’état palestinien, en estimant que la question pourrait être soulevée ultérieurement dans les négociations.
Un haut fonctionnaire israélien a souligné que lorsque la question de laisser des colons dans l’état palestinien a été soulevée, au cours des négociations, en présence des Palestiniens, par Israël ou par les Etats-Unis, les Palestiniens n’ont pas rejeté d’emblée la proposition.
La condition mise par les Palestiniens a été que les colons qui souhaiteraient rester dans leur maison ne pourraient le faire que s’ils devenaient citoyens palestiniens dans le cadre de la règlementation et de la législation palestiniennes, et non en tant qu’enclaves israéliennes fermées à l’intérieur de l’état palestinien.
Une source proche de Netanyahou, qui était informé des pourparlers avec Kerry au début de 2014, a déclaré, en réponse à ces détails, que la position du premier ministre à l’époque était que, avec ou sans un accord, les gens ne devaient pas être déracinés de leur maison.
“Il y avait à l’époque beaucoup d’ébauches, et Netanyahou n’en a approuvé aucune,” a dit la source.
Article paru dans Haaretz le 11 juin, traduit de l’anglais pour l’AFPS par Yves Jardin.