Peu de choses ont changé dans le processus de paix israélo-palestinien depuis l’époque où Martin Indyk suivait sur la question en tant que conseiller du gouvernement Clinton, dans les années 1990. Les enjeux de la discussion sont les mêmes, les fossés aussi béants qu’ils l’étaient alors, et même les participants, aussi bien du côté israélien que du côté palestinien, n’ont pas changé. Seule différence : en 2013, il y a Twitter.
Vendredi 9 août, peu de temps avant d’embarquer pour son premier voyage en Israël depuis sa désignation comme émissaire américain pour le Proche-Orient, Martin Indyk postait sur le réseau social : "Départ de Newark [aéroport de New York] pour Israël pour mon premier voyage en mission de paix, l’agent des douanes du New Jersey me souhaite b’hatzlaha (mabrouk/bonne chance) !"
Il n’a pas fallu longtemps à Indyk, une fois arrivé à Tel-Aviv, pour comprendre lui-même que les choses n’ont guère changé. Le wagon grinçant n’arrive toujours pas à monter cette côte si raide. Avant même la rencontre prévue mercredi 14 août à Jérusalem, les deux camps jouent déjà à rejeter la faute sur l’autre et s’affrontent à coups de piques verbales, de lettres et de menaces de crise.
Nétanyahou est-il prêt à franchir le Rubicon ?
Cela n’a pas empêché Martin Indyk d’afficher son optimisme lors de ses rencontres successives, samedi 10 et dimanche 11, avec le président palestinien Mahmoud Abbas, la ministre de la Justice israélienne Tzipi Livni et le président israélien Shimon Peres. Mais le rendez-vous le plus important de l’émissaire américain sera celui avec Benyamin Netanyahou. Prévue à l’origine ce lundi 12, la rencontre risque toutefois d’être repoussée à une date ultérieure dans la semaine, le premier ministre israélien souffrant encore après l’opération qu’il a subie [dans la nuit de samedi à dimanche].
Par cette rencontre avec Nétanyahou, Martin Indyk a besoin de faire table rase de toutes les tensions antérieures apparues entre eux pour tourner la page et ouvrir un chapitre nouveau. Plus important encore, l’Américain doit essayer de comprendre où en est l’Israélien à ce jour : s’il souhaite réellement des avancées, ou si au contraire tout n’est pour lui que manœuvres stratégiques pour desserrer l’étau de la pression internationale. En d’autres termes, la question est la suivante : Nétanyahou est-il vraiment prêt à franchir le Rubicon ?
A en croire un haut responsable israélien proche du premier ministre, ce dernier n’a pas encore passé le fleuve. Certes, il a mis les pieds dans l’eau et fait quelques pas vers la rive opposée ; mais il ne cesse de jeter des regards en arrière, et pour chaque pas en avant, il laisse le courant le repousser de trois pas en arrière.
C’est exactement ainsi que les choses se sont déroulées lorsque Nétanyahou s’est mis d’accord avec les Américains, durant les négociations, pour la construction de 1 200 nouveaux logements dans les colonies et à Jérusalem, et qu’ensuite ont été promus plusieurs autres projets prévoyant des centaines d’autres logements dans les colonies plus isolées. Nétanyahou a courageusement fait accepter à son gouvernement la décision de libérer 104 détenus palestiniens, avant d’annoncer, effarouché par les critiques, que contrairement à ce qui avait été convenu, il exigerait que certains de ces prisonniers soient expulsés vers Gaza ou à l’étranger.
La peur de se noyer seul
Mais on a atteint le summum du ridicule avec la lettre envoyée par son cabinet au ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, dans le courant du week-end, alors que le premier ministre était en proie à ces douleurs atroces qui l’ont contraint à se faire opérer d’urgence d’une hernie. Dans la missive à Kerry, Netanyahou a joué la carte habituelle de la provocation palestinienne. Pour démontrer que les Palestiniens ne veulent pas vraiment la paix, le premier ministre n’a pas hésité à citer les paroles de la chanson interprétée lors de la visite des joueurs du FC Barcelone en Cisjordanie [chanson qui énumère des villes israéliennes où le peuple palestinien reviendra]. Si Netanyahou se rendait de temps en temps au stade Teddy de Jérusalem, il se rendrait compte que de leur côté, les supporteurs du Beitar Jérusalem chantent plus souvent "Mort aux Arabes" que "Ode à la paix".
Les responsables qui fréquentent Nétanyahou attribuent son comportement, ses hésitations et ses tergiversations à la méfiance que lui inspire Mahmoud Abbas. Le premier ministre israélien, assurent-ils, est disposé à franchir le Rubicon, mais il veut la garantie qu’Abbas en fera autant. S’il se jette dans ces eaux tourmentées jalonnées de tourbillons politiques, il redoute que le président palestinien reste à l’abri sur les berges et le laisse se noyer, seul.
Si Nétanyahou entend être pris au sérieux par les Américains, les Palestiniens et, surtout, par l’opinion israélienne, il doit renoncer à cette vieille tactique. En finir avec les critiques, les manipulations et les coups tordus éculés de la com’ politique, et entrer dans les pourparlers de paix sans plus jamais se retourner.