Depuis novembre 2009, B’Tselem a reçu des témoignages de dizaines d’habitants palestiniens des districts de Bethléem et d’Hébron, la plupart étant mineurs, alléguant qu’ils ont été soumis à des menaces et à des violences , allant parfois jusqu’à la torture, pendant leur interrogatoire au commissariat de police à Gush Etzion. Le commissariat relève de la juridiction du District de la Police d’Israël du SHAI (Judée et Samarie = Cisjordanie). Les témoignages décrivent des interrogatoires dans lesquels les mineurs ont été forcés d’avouer de prétendus délits, le plus souvent des jets de pierres. Dans la plupart des cas, les interrogateurs ont arrêté d’utiliser la violence contre les inter rogés une fois que ceux-ci ont eu avoué.
Le droit de toute personne de ne pas être soumis à de mauvais traitements ou à la torture (physique ou mentale) est un des quelques droits humains qui sont considérés comme absolus. En tant que droit absolu, il ne peut jamais être “contrebalancé” par d’autres droits ou valeurs, ni suspendu ou limité, même dans des circonstances tendues, comme la guerre ou le terrorisme. Ce droit détient désormais le statut le plus élevé et le plus contraignant dans le droit international. Des aveux obtenus par la violation de ce droit ne peuvent certainement pas servir de base à une condamnation.
“L’interrogateur m’a fait entrer dans une pièce. Il m’a pris la tête et a commencé à la cogner contre le mur. Puis il m’a frappé à coups de poings, m’a giflé et m’a donné des coups de pied aux jambes. La douleur était intense, et je suis tombé comme je ne pouvais plus rester debout. Alors il a commencé à m’injurier. Il a dit des choses obscènes à mon sujet et au sujet de ma mère. Il a menacé de me violer ou de se livrer sur moi à des actes sexuels, si je n’avouais pas avoir jeté des pierres. Les menaces m’effrayaient réellement, parce qu’il était très brutal et il n’y avait que nous deux dans la pièce. Je me suis souvenu de ce que j’avais vu aux informations, lorsque des soldats britanniques et américains violaient et prenaient des photos d’Irakiens nus” (extrait du témoignage de M.H., habitant de Husan, âgé de 14 ans à l’époque de son arrestation).
Les interrogatoires
En novembre 2009, B’Tselem a commencé à recevoir des informations sur des violences contre des mineurs palestiniens pendant les interrogatoires au commissariat de police d’Etzion. Jusqu’en juillet 2013, les chercheurs de terrain de B’Tselem ont recueilli 64 témoignages d’habitants de huit communautés du Sud de la Cisjordanie qui font état de tels incidents. Cinquante six d’entre eux étaient mineurs au moment de leur interrogatoire ou du questionnement préliminaire, qui dans certains cas allaient jusqu’à la torture. Les violences comprenaient des claques, des coups de poings et des coups de pied sur toutes les parties du corps et des coups avec des objets, tels qu’un fusil ou un bâton. Certains des anciens interrogés ont fait aussi état de menaces : dans douze cas ils ont affirmé que l’interrogateur les avaient menacés, ou les femme s de leur parenté, d’agression sexuelle, telles que le viol ou une blessure aux organes génitaux. Dans six cas, les interrogés ont affirmé que l’interrogateur avait menacé de les exécuter ; dans huit cas, les interrogateurs auraient menacé de nuire à des membres de leur famille, et dans cinq autres cas ils auraient menacé de torturer les interrogés à l’électricité, y compris de manière à compromettre leur fécondité.
En outre, douze interrogés ont déclaré que leurs premiers aveux ont été recueillis par un interrogateur habillé en civil et que, à leur connaissance, à cette étape, ils n’avaient pas été enregistrés. Seulement après qu’ils aient avoué avoir jeté des pierres, ils ont été transférés dans une autre pièce, où un interrogateur en uniforme de la police leur a demandé de répéter leurs aveux, les enregistrant alors. Ensuite, les interrogateurs leur ont demandé de signer un document en hébreu, une langue qu’ils ne comprennent pas, sans qu’ils sachent ce qu’ils signaient.
“L’interrogateur “Daoud” m’a fait sortir avec un soldat. Ils m’ont bandé les yeux. J’avais encore sur les mains les liens fait de câbles en plastique. Ils m’ont mis dans une voiture et ont démarré. Je ne sais pas où ils m’ont emmené. Nous sommes arrivés dans quelque endroit à l’extérieur d’Etzion et ils m’ont forcé à sortir de la voiture. J’avais vraiment mal aux mains à cause des câbles. Ils m’ont enlevé le bandeau. Je ne savais pas où j’étais. Ils m’ont attaché à un arbre, et ensuite ils ont relevé mes mains ligotées et les ont aussi attachées à l’arbre. Cela faisait très mal. “Daoud” a commencé à me frapper à coups de poings. Après quelques minutes, il a pris une arme et a d it : “je vais t’assassiner, si tu n’avoues pas ! Ici personne ne te trouvera. Nous allons te tuer et te laisser ici” (MAM, habitant de Husan, âgé de 15 ans à l’époque de son arrestation).
L’action des autorités sur cette question
De 2009 à 2013, B’Tselem a envoyé 31 plaintes au Département des Enquêtes sur les personnels de Police (DEP) au nom des Palestiniens qui ont rapporté avoir été soumis à des violences ou à des menaces par les interrogateurs du commissariat d’Etzion. Dans les autres cas avérés par B’Tselem, les interrogés ou leur famille ont choisi de ne pas déposer de plainte auprès du DEP, de peur que cela ne nuise à des membres de la famille qui ont déjà été interrogés ou à d’autres parents, ou à cause d’un manque général de confiance dans le système judiciaire israélien.
Des 31 interrogés au nom desquels B’Tselem s’est plaint au DEP, 20 sont en fin de compte revenus sur leur intention de déposer une plainte dans les formes et d’apporter leur témoignage aux enquêteurs de la DEP, pour les raisons énoncées ci-dessus. Le DEP a décidé de ne pas faire d’enquête à propos de toute plainte dans laquelle le plaignant n’a pas déposé personnellement devant les enquêteurs. Selon les réponses données par B’Tselem, aucune des informations envoyées au DEP, concernant ces cas, n’a été vérifiée, bien que ceci ait pu aider à enquêter sur la pratique générale.
Le DEP n’a ouvert d’enquête que sur onze cas pour lesquels les plaignants ont personnellement déposé. Trois de ces dossiers ont été fermés et les enquêtes sur les huit autres, toutes ouvertes en juin 2012 ou plus tard, sont encore en cours.
Dans sa correspondance avec le DEP, B’Tselem a réclamé que la question des interrogatoires violents au commissariat d’Etzion soit traitée de façon systématique et non pas seulement par l’enquête relative à chaque plainte individuelle. Les représentants de B’Tselem ont aussi présenté cette requête aux responsables de la Police d’Israël et au Ministre de la Justice. Le DEP a répondu qu’une enquête générale sur ce problème était en cours.
Bien que B’Tselem ait contacté la Police d’Israël sur ce problème à plusieurs reprises, aucune réponse officielle n’a été donnée à la question de savoir si des mesures avaient été prises pour lutter contre ce phénomène et, si oui, lesquelles. Tous nos échanges avec la police sur ce problème n’ont essuyé qu’un déni. Par exemple dans une réunion tenue le 7 janvier 2013 entre les représentants de B’Tselem et le commandant de la Division de la Police d’Hébron, les responsables de la police ont nié l’existence du phénomène. Ils ont refusé tout commentaire sur les plaintes elles-mêmes, affirmant qu’ils ne pouvaient pas vérifier les détails des cas, depuis qu’ils étaient l’objet d’enquêtes en cours menées par le DEP et qu’il y avait une crainte de faire obstruction à l’enquête. A la réunion, B’Tselem a aussi été informé que le fonctionnaire interrogateur au commissariat d’Etzion avait remplacé, bien que l’accent ait été mis sur le fait que cela n’avait aucun rapport avec les plaintes déposées par B’Tselem.
Le nombre élevé d’informations que B’Tselem a reçues au sujet des interrogatoires violents au commissariat d’Etzion, et le fait qu’ils courent sur plusieurs années, entraîne une forte suspicion que ce ne soit pas le cas d’un seul interrogateur qui choisisse d’utiliser des méthodes d’interrogation illégales mais plutôt un appareil entier qui le soutienne et qui autorise qu’une telle conduite ait lieu. Cependant, autant que B’Tselem le sache, aucun effort réel n’a été fait à ce jour pour faire cesser les violences et aucune enquête générale n’a eu lieu. La seule action qui ait eu lieu a été l’enquête à propos des plaintes individuelles qui, plus d’un an après, n’a pas déposé de conclusions. Les organismes chargés de l’application de la loi permettent à cette situation de perdurer, malgré le fait que tous les fonctionnaires concernés sachent que toutes les réclamations se rapportent à des violences contre des mineurs soumis à interrogatoire , et que dans certains cas, les violences équivalent à des tortures.
Etant donné la gravité et la portée des suspicions soulevées, la DEP et la Police d’Israël doivent examiner systématiquement la question. Si les réclamations sont justifiées, ils doivent agir immédiatement pour mettre un terme aux conduites illégales et prendre des mesures juridiques et administratives contre ceux qui en sont responsables, y compris les fonctionnaires qui sont au courant de cette conduite et qui l’autorisent à continuer. Egalement, l’existence de mécanismes efficaces de surveillance doit être assurée, de façon à empêcher à l’avenir des cas similaires.
La DEP doit immédiatement conclure son enquête sur les plaintes individuelles qui est en cours depuis plus d’un an. Si les réclamations sont justifiées, leurs responsables doivent être traduits en justice.
Enfin, si l’on découvre que les aveux forcés ont servi de preuve principale dans les jugements des interrogés ou d’autres personnes, les procès doivent être déclarés nuls, et toutes les mesures nécessaires qui peuvent en découler doivent être prises.
(traduit de l’anglais par Y. Jardin, membre du GT sur les prisonniers)