Photo : Destruction de maison à Jérusalem, 2014 / Publié par : Wikipedia
Aux premières heures de la matinée du jeudi 8 juin, un important convoi de véhicules militaires israéliens a envahi le centre-ville de Ramallah, ville centrale de Cisjordanie et siège de l’Autorité Palestinienne, afin de démolir la maison d’un présumé assaillant palestinien.
Le raid a duré au moins six heures. Il a déclenché de violents affrontements entre des soldats israéliens armés et des habitants palestiniens des environs, qui ont jeté des pierres et des cocktails Molotov en direction du convoi militaire lourdement armé. Au moins six Palestiniens ont été blessés par des balles réelles, des balles en caoutchouc et des gaz lacrymogènes.
Le raid massif, composé apparemment de plus de cent véhicules militaires et de centaines de troupes israéliennes, a abouti à la destruction de la maison familiale d’Islam Froukh, 26 ans, qui est accusé d’avoir mené deux attentats à la bombe contre des arrêts de bus de Jérusalem en novembre dernier, au cours desquels deux colons israéliens ont été tués, dont un adolescent de 16 ans.
Des images vidéo prises autour de la maison de la famille Froukh montrent les forces israéliennes boucler la zone, avant d’installer des explosifs dans l’appartement et de le faire exploser. L’appartement, situé au premier étage d’un immeuble, est entièrement détruit.
Naturellement, le raid massif, les coups de feu et les explosions ont terrifié des milliers de riverains palestiniens dans les aires avoisinantes. Cette opération rappelle également que même dans les zones de Cisjordanie contrôlées par l’Autorité Palestinienne, l’occupation israélienne continue à régner en maître. A seulement quelques kilomètres des maisons et des bureaux des principaux représentants et dirigeants palestiniens, les forces armées israéliennes ont envahi la ville sans être inquiétées et ont démoli la maison familiale d’un homme qu’Israël avait déjà emprisonné.
En plus de se demander pourquoi les militaires israéliens peuvent envahir des villes palestiniennes et y faire exploser des maisons (vous pouvez trouver la réponse ici), le raid soulève une question importante et récurrente :
Pourquoi Israël détruit les maisons de présumés assaillants palestiniens et de leur famille ?
Pour résumer, c’est une question de politique.
Israël l’envisage comme une « mesure de dissuasion » contre de « futures attaques terroristes ». Les organisations de défense des droits humains estiment qu’il s’agit d’une punition collective et d’une politique cruelle et inhumaine utilisée pour cibler une population civile vivant sous occupation militaire.
Le groupe israélien de défense des droits humains, B’Tselem, a déclaré que cette politique était « par définition destinée à nuire à des personnes qui n’ont rien fait de mal et ne sont soupçonnées d’aucun acte répréhensible, mais qui sont liées à des Palestiniens ayant attaqué ou tenté d’attaquer des civils ou des forces de sécurité israéliens ».
Israël a recours à des démolitions punitives de maisons contre les Palestiniens depuis qu’il a officiellement occupé la Cisjordanie et la bande de Gaza en 1967. L’État utilise une loi datant de l’époque du mandat britannique, la règle 119 du Règlement de défense (1945), qui « donne l’autorisation générale de confisquer, de sceller et de détruire les propriétés des habitants que le commandant militaire soupçonne de commettre des actes de violence, qu’ils soient propriétaires ou non », selon [l’organisation non gouvernementale palestinienne] Al-Haq.
La Haute Cour de justice israélienne, ou Cour Suprême, a statué en 2005 que les démolitions de maisons ne feraient plus l’objet d’une audience ou d’un examen judiciaire, « entérinant de fait les décisions extrajudiciaires illégales du commandant militaire ».
En substance, tout Palestinien qui commet une attaque ou est accusé d’avoir commis une attaque contre des Israéliens, - qu’il s’agisse de soldats, de colons en Cisjordanie ou d’Israéliens à l’intérieur de la Ligne verte -, est susceptible de voir sa maison démolie par l’État d’Israël. La famille n’a aucun recours juridique, aucune cour devant laquelle contester l’ordre de démolition, et l’État n’est pas tenu de présenter des preuves.
Bien que les familles soient autorisées à faire appel d’un ordre de démolition, B’Tselem affirme que la Cour Suprême d’Israël considère ces requêtes « comme de simples formalités - un détail technique destiné à créer un semblant de respect du droit des propriétaires à plaider leur cause ».
« Au fil des années, des dizaines de recours contre des ordres de démolition de maisons ont été déposées devant la HCJ. Ces initiatives s’opposaient à l’utilisation, par principe, de ces mesures de dissuasion, aux modalités de mise en œuvre des procédures et fondaient leurs arguments sur des cas précis. Pourtant, la Cour a rejeté en bloc ces requêtes, à l’exception de rares cas et de quelques opinions minoritaires », indique le groupe de défense des droits humains.
Les démolitions punitives peuvent être mise en œuvre de plusieurs manières : au moyen de bulldozers ou, ce qui est de plus en plus courant, au moyen d’explosifs, comme nous l’avons vu jeudi. Dans de nombreux cas, Israël scelle les maisons des personnes accusées d’agression avant même qu’elles ne soient démolies, afin de s’assurer que la famille ne puisse pas continuer à y vivre.
Si cette politique concerne essentiellement les Palestiniens de Cisjordanie (et de Gaza jusqu’au « désengagement » d’Israël en 2005), elle s’applique également aux Palestiniens vivant à Jérusalem-Est occupée et à l’intérieur d’Israël.
Au fil des ans, Israël a détruit des centaines de maisons palestiniennes dans le cadre de cette politique. Bien que l’armée ait brièvement mis un terme à cette pratique entre 2009 et 2014 (nous y reviendrons plus tard), elle bat son plein depuis.
Ce qui est particulièrement cruel, selon les groupes de défense des droits humains, c’est que dans presque tous les cas de démolition punitive, le présumé agresseur palestinien a déjà été tué ou emprisonné par Israël. La démolition de sa maison, ou de celle de sa famille, n’est qu’une punition supplémentaire.
Dans le cas de Froukh, dont la maison familiale a été démolie jeudi, le jeune homme de 26 ans est déjà emprisonné en Israël depuis des mois. Selon les médias israéliens, Froukh résidait dans la ville de Kufr Aqab, dans la région de Jérusalem, mais aurait « vécu la plupart du temps » dans la maison de sa famille à Ramallah.
Suite à l’inculpation de Froukh par Israël en décembre, les forces israéliennes ont fait une descente dans sa maison de Kufr Aqab et dans celle de sa famille à Ramallah, afin de cartographier les résidences à démolir, a rapporté le Times of Israel. Pour des raisons inconnues des médias, Israël a choisi de démolir la maison familiale de Froukh à Ramallah. La famille avait été informée des projets de l’Etat de détruire leur appartement en février.
La famille de Froukh a fait appel de l’ordre de démolition auprès de la Cour suprême israélienne. Mais comme c’est le cas dans la plupart des démolitions punitives, leur recours a été rejeté et l’armée a reçu le feu vert pour faire exploser leur maison.
Selon l’agence de presse Wafa, les parents et les quatre sœurs de Froukh, qui vivaient dans l’appartement, sont désormais sans abri.
Cette politique est-elle efficace pour "dissuader" les attaques ?
Non, et l’armée israélienne elle-même l’admet.
La principale raison invoquée par Israël pour justifier la démolition des maisons des auteurs présumés d’attaques palestiniennes, même si la personne n’y vit plus, est de « dissuader » d’autres Palestiniens de commettre des attaques, par crainte que leurs familles ne souffrent et que leurs maisons ne soient démolies.
Mais comme l’histoire l’a prouvé, après des décennies de mise en œuvre de cette politique et des centaines de maisons détruites, ces attaques n’ont pas cessé. Pourquoi ? En bref, parce que l’occupation militaire d’Israël et le traitement cruel et inhumain des millions de Palestiniens vivant sous son contrôle n’ont pas cessé.
L’État lui-même n’a pas réussi à prouver que cette politique fonctionne. En fait, les responsables militaires ont même prouvé le contraire.
En 2005, un comité militaire israélien a remis en question l’efficacité de la politique en tant que moyen de dissuasion, affirmant qu’en « engendrant la haine, elle causait plus de dégâts que de bienfaits », a noté B’Tselem dans un rapport de 2017 sur ce sujet.
Dans un rapport, le comité affirme que la politique « repousse les limites de la loi ». La même année, le ministre israélien de la Défense de l’époque a suivi les recommandations du comité, et mis fin à cette politique. Pendant près de dix ans, à l’exception d’un cas à Jérusalem-Est en 2009, les démolitions punitives de maisons ont été effectivement stoppées.
Mais en 2014, à la suite de l’enlèvement et du meurtre de trois colons israéliens, la politique de destruction de maison a été remise en place unilatéralement. À l’époque, note B’Tselem, l’État n’a pas expliqué comment la reprise des démolitions punitives pouvait être conciliée avec les recommandations du comité militaire de 2005, qui avait jugé la politique inefficace et préjudiciable.
Depuis lors, des dizaines de maisons de présumés assaillants palestiniens et de leurs familles ont été détruites. Dans certains cas, comme celui d’Islam Froukh, la maison de la famille est détruite avant même que l’agresseur présumé ne soit condamné.
Que dit le droit international ?
Que les démolitions punitives de maisons sont illégales, purement et simplement.
Malgré la légalisation de cette politique par les tribunaux israéliens, la politique de démolition punitive de maisons viole le droit international sans équivoque.
A l’article 33 de la quatrième Convention de Genève de 1949, il est précisé que « aucune personne protégée ne peut être punie pour une infraction qu’elle n’a pas commise personnellement. Les peines collectives ainsi que toutes les mesures d’intimidation ou de terrorisme sont interdites ». Il y est ajouté : « Les représailles contre les personnes protégées et leurs biens sont interdites ».
En vertu du droit international, les Palestiniens vivant sous l’occupation militaire israélienne, entrent dans la catégorie des personnes protégées.
Comme le note Human Rights Watch, le droit international humanitaire, - y compris le Règlement de La Haye de 1907 et la quatrième Convention de Genève -, interdit les châtiments collectifs, « y compris le fait de porter délibérément atteinte aux proches des personnes accusées d’avoir commis des crimes, en toutes circonstances ».
Human Rights Watch ajoute que « les tribunaux du monde entier ont reconnu la punition collective comme un crime de guerre ».
En plus de violer les lois et les normes internationales concernant les personnes protégées et les châtiments collectifs, Al-Haq affirme que la politique de démolition punitive de maisons de personnes innocentes, qui n’ont pas été accusées ou reconnues coupables d’avoir commis un crime, viole également le droit de ces personnes à un procès équitable.
« Une bonne administration de la justice comprend le droit à l’égalité devant les cours et les tribunaux et le droit à un procès équitable devant un tribunal indépendant, compétent et impartial, établi par la loi », note Al Haq. « L’accusé bénéficie de la présomption d’innocence et « aucune culpabilité ne peut être présumée tant que l’accusation n’a pas été prouvée, au-delà de tout doute raisonnable ». Les sanctions administratives prises à l’encontre d’individus pour des actes de violence présumés commis par d’autres enfreignent donc les principes fondamentaux de la justice, selon lesquels nul ne peut être puni pour le crime d’autrui ».
En outre, Al-Haq affirme que la loi de l’époque du mandat britannique, sur laquelle Israël fonde sa politique, n’est pas applicable étant donné que l’article 64 de la quatrième Convention de Genève « exige de la puissance occupante qu’elle modifie les lois dans le territoire occupé qui ne répondent pas aux garanties humanitaires minimales avancées dans les conventions de Genève ».
Sur cette base, Al-Haq affirme qu’Israël doit abroger le règlement britannique 119, issus des Règlements de défense (1945) « car ses dispositions sont incompatibles avec les garanties fondamentales de justice, l’interdiction des peines collectives et la protection des biens civils prévues par les Conventions de Genève ».
La Grande-Bretagne elle-même a fait valoir que le règlement 119 avait déjà été abrogé en vertu du Plan de partage de la Palestine de 1948 et qu’il ne s’appliquait donc plus aux Palestiniens vivant sous le contrôle d’Israël.
Alors, pourquoi Israël poursuit-il cette politique ?
Si l’armée israélienne elle-même a déclaré précédemment que la politique de démolitions punitives ne fonctionnait pas comme mesure de dissuasion, et si d’innombrables groupes de défense des droits humains ont clairement souligné que cette politique violait le droit international, pourquoi Israël continue-t-il à la pratiquer ?
Même si cette politique ne dissuade pas les attaques comme elle est censée le faire, elle réussit à semer la peur et la terreur dans les communautés palestiniennes vivant sous le contrôle d’Israël. En fin de compte, ces pratiques permettent à Israël d’exercer une autre forme de contrôle sur la population civile qu’il occupe.
Selon Human Rights Watch, « différents types de châtiments collectifs, tels que les démolitions punitives de maisons et les restrictions générales de circulation imposées à des zones ou à des communautés entières sur la base des actions de quelques personnes, font partie des politiques sur lesquelles les autorités israéliennes se sont appuyées pour opprimer systématiquement les Palestiniens ».
Outre les objectifs d’oppression et de contrôle, l’une des principales raisons pour laquelle Israël poursuit ces politiques malgré la condamnation internationale généralisée est tout simplement qu’il le peut.
Comme c’est le cas pour d’autres politiques employées par Israël contre les Palestiniens - démolitions de maisons, confiscation de terres, restrictions de la liberté de mouvement, limitation de l’accès aux ressources, criminalisation des groupes de la société civile et des ONG, déportation et expulsion forcées - qui vont à l’encontre du droit international, Israël n’a jamais été véritablement tenu pour responsable, à l’exception d’une tape occasionnelle sur les doigts.
Malgré la multiplication des déclarations de groupes de défense des droits humains, palestiniens, israéliens et internationaux, affirmant qu’Israël commet le crime d’Apartheid - l’une des violations les plus graves du droit international-, la communauté internationale n’a pas réagi en imposant des sanctions ou en faisant progresser les enquêtes criminelles de la Cour Pénale Internationale.
Sans être inquiété sur la scène internationale et avec le soutien, le financement et les partenariats continus de pays comme les États-Unis et des membres de l’Union Européenne, Israël a été autorisé à faire ce qu’il voulait, quel que soit le nombre de lois qu’il viole.
Traduction par : AFPS