Ne plus donner du temps au temps, imposer un calendrier contraignant, malgré le contexte défavorable, une équation politique insoluble et le pessimisme ambiant : tel est le défi que s’est imposé la France dans le conflit israélo-palestinien, en promouvant une nouvelle résolution, destinée à être présentée au Conseil de sécurité des Nations unies d’ici à l’Assemblée générale de l’organisation, fin septembre. Tel est aussi le sens de la tournée régionale que doit accomplir le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, et qui le conduira à Jérusalem et à Ramallah, dimanche 21 juin, après l’Egypte et la Jordanie la veille.
La France propose de fixer dans une résolution à la fois les paramètres d’une solution négociée au conflit, et une durée limitée de dix-huit mois pour ces négociations. En revanche, aucune date n’est mentionnée sur la fin de l’occupation israélienne, contrairement au souhait de Mahmoud Abbas, le président palestinien. La résolution appelle à la création d’un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967, avec des échanges de territoires admis par les deux parties. Cet Etat serait démilitarisé, mais Israël s’engagerait à retirer son armée, au cours d’une phase de transition. Concernant Jérusalem, la Ville sainte est définie comme la capitale des deux futurs Etats. Enfin, sur le droit au retour des réfugiés palestiniens, il devrait faire l’objet d’une forme de compensation, ce qui signifie en creux qu’il est illusoire de réclamer ce retour.
Marge de manœuvre étroite
A quelques jours de la fin formelle des négociations sur le programme nucléaire iranien, prévue le 30 juin, la marge de manœuvre française est très étroite. Fin 2014, après avoir travaillé sur un texte similaire, Paris avait été contrarié par le jusqu’au-boutisme de l’Autorité palestinienne (AP), qui avait présenté, par le truchement de la Jordanie, sa propre résolution. Celle-ci n’avait pas recueilli assez de voix. La France a décidé de faire une nouvelle tentative, après les élections législatives anticipées du 17 mars en Israël, qui ont accouché d’un gouvernement penchant très à droite.
Dès lors, Paris s’est senti conforté dans son analyse. L’épuisement des négociations bilatérales classiques, sous le parrainage jugé partisan des Etats-Unis, a vidé les engagements de principe de leur sens. M. Nétanyahou a répété depuis 2009 qu’il était favorable à la coexistence pacifique de deux Etats voisins, mais il n’a jamais cessé d’encourager le développement des colonies et des avant-postes juifs en Cisjordanie. Cet écart entre les mots et les actes a fini par transformer la perspective d’un Etat palestinien en mirage. Aujourd’hui, « Bibi » propose de reprendre la conversation en commençant par définir les limites des blocs de colonies qui seront annexés par Israël dans un règlement. Inacceptable pour l’AP, qui a choisi depuis fin 2014 de changer de stratégie et de dénoncer l’occupation sur tous les fronts : judiciaire, diplomatique ou sportif.
Paris garde un argument ultime. En l’absence d’accord au bout de dix-huit mois, la France reconnaîtrait l’Etat de Palestine. Ce délai d’un an et demi (et non plus de deux ans, comme le projet précédent) correspond exactement à la présidentielle française de 2017. « La France est le seul pays pas blasé qui tente encore, souligne un diplomate européen. Mais la fenêtre est très étroite et on ne voit pas qui aurait un levier. Toute la région brûle. Le risque est de banaliser ce qui se passe en allégeant la peine de Palestiniens ici ou là, en permettant un peu de développement économique ou en augmentant le nombre de travailleurs circulant en Israël. »
Spécialiste de la gestion purement sécuritaire du conflit, le gouvernement israélien sait que d’autres priorités dominent l’agenda international. La France a cédé aux demandes américaines d’ajourner toute démarche publique avant la fin des négociations sur le nucléaire iranien, prévue le 30 juin. La grande énigme pour Paris concerne les intentions, après cette échéance, de l’administration Obama. Marquera-t-elle une rupture historique en levant le veto américain à l’ONU contre toute résolution mettant Israël sous pression ? Rien n’est dit, mais les experts en doutent. « Cela varie selon les déclarations, nous sommes attentifs à cela », a reconnu Laurent Fabius à l’Assemblée, devant la commission des affaires étrangères, le 9 juin.
« Deux Etats pour deux peuples »
Pour l’heure, Paris se contente de faire circuler son ébauche auprès de partenaires européens – l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Espagne, membre non permanent du Conseil de sécurité – et de l’Egypte, porte-voix de la Ligue arabe sur ce dossier. Les premiers retours montrent à quel point chaque formulation est minée. Dans son texte en novembre, Paris n’utilisait pas l’expression « Etat juif », un enjeu politique majeur pour M. Nétanyahou. Cette fois, il semble faire une petite concession aux Israéliens en employant la formule « deux Etats pour deux peuples », alors que les juifs ne sont pas les seuls citoyens israéliens : il faut aussi compter 20 % d’Arabes. Ce compromis ne convainc pas la Ligue arabe, qui préfère réserver ces débats sémantiques aux négociations.
Enfin, les Palestiniens aimeraient que la résolution mentionne Jérusalem-Est comme capitale de leur futur Etat, pour ne pas s’exposer à des débats sans fin sur son périmètre. Le point de départ serait la « ligne verte » de démarcation de 1949. Le 17 mai, à l’occasion de la journée de la ville, Benyamin Nétanyahou a laissé peu de place au doute. « Nous préserverons à jamais Jérusalem indivisée et sous souveraineté israélienne », a-t-il déclaré. « La France semble avoir oublié, dans son zèle visionnaire, que les Israéliens et les Palestiniens sont tous profondément divisés sur l’avenir des territoires palestiniens et qu’aucun n’est en mesure, en réalité, de décider quoi que ce soit », écrivait le journaliste Roy Isacowitz dans le quotidien Haaretz, le 1er juin. Il recommandait à Paris de reconnaître la Palestine sans attendre dix-huit mois en vain.