La Cour suprême d’Israël a statué jeudi que l’État peut révoquer la citoyenneté de personnes sur la base d’un "manquement à la loyauté" [breach of loyalty en anglais], une loi qui, selon les groupes de défense des droits, est une loi dangereuse et "illégitime".
Les actions qui pourraient constituer un abus de loyauté ou de confiance comprennent tout ce que l’État considère comme du "terrorisme", de l’espionnage et de la trahison. Adalah - le centre juridique pour les droits des minorités arabes en Israël - a déclaré que la loi sera probablement utilisée pour cibler de manière disproportionnée les citoyens palestiniens d’Israël qui représentent 20 % de la population de l’État.
La décision a été prise en réponse à deux appels déposés par Adalah et l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) au nom de citoyens palestiniens d’Israël qui ont été condamnés pour avoir participé à des attaques ayant entraîné la mort de citoyens israéliens.
À la suite de leur condamnation, l’État a pris des mesures pour révoquer leur citoyenneté, sur la base de la loi israélienne de 2008 sur la citoyenneté, qui autorise le ministère israélien de l’intérieur, avec l’approbation du tribunal de district, à révoquer la citoyenneté pour "manquement à la loyauté".
La décision de jeudi a accepté un appel des groupes dans les cas des deux citoyens palestiniens d’Israël en question, citant de "graves défauts de procédure" dans leurs cas spécifiques, a rapporté Reuters.
Mais la Cour a jugé que la loi elle-même était constitutionnelle et qu’elle pouvait être utilisée dans d’autres cas pour priver des personnes de leur citoyenneté, même si un tel acte laisse la personne apatride.
Dans sa décision, le tribunal a noté qu’il n’y avait "aucun défaut constitutionnel dans le dispositif qui permet la révocation de la citoyenneté d’une personne qui a commis un acte qui constitue un manquement à la loyauté envers l’État d’Israël, tel que : un acte de terrorisme ; un acte de trahison ou d’espionnage grave ; ou l’acquisition de la citoyenneté ou du droit de résidence permanente dans un État hostile ou en territoire hostile".
"Il en est ainsi, même si à la suite de la révocation de sa citoyenneté, l’individu devient apatride, à condition que si l’individu devient apatride, le ministre de l’Intérieur doit lui accorder un statut de résidence permanente en Israël ou un autre statut désigné", indique le jugement.
En réponse à l’arrêt, Adalah et l’IARC ont publié une déclaration commune, affirmant que "la décision de la Cour est très dangereuse car elle confirme également la constitutionnalité de cette loi de "violation de loyauté"."
"Cette décision ouvre la voie à la poursuite de l’utilisation de cette loi illégitime, contraire au droit international. La Cour suprême a pris cette décision, bien qu’elle ait reconnu dans l’arrêt qu’aucune loi de ce type n’existe dans aucun autre pays du monde", ont déclaré les groupes.
Sélective et discriminatoire
Dans leur lutte de plusieurs années contre cette politique, Adalah et l’IARC ont fait valoir qu’elle est utilisée spécifiquement pour cibler les citoyens palestiniens d’Israël, qui comptent environ 2 millions de personnes et sont largement traités comme des citoyens de seconde classe en Israël.
Selon Adalah, depuis que la loi sur la citoyenneté a été modifiée pour inclure la clause de "manquement à la loyauté" en 2008, la révocation éventuelle de la citoyenneté a été envisagée dans 31 cas, dont aucun n’impliquait un citoyen juif-israélien.
La décision du tribunal de jeudi a toutefois rejeté l’argument des groupes selon lequel la loi était utilisée de manière "sélective et discriminatoire" exclusivement contre les citoyens palestiniens d’Israël. Adalah et l’ACRI ont déclaré que cette décision était prise en dépit du fait qu’ils ont fourni à la cour un certain nombre d’"incidents graves" après 2008 au cours desquels des citoyens juifs israéliens ont attaqué des Palestiniens, qui n’ont donné lieu à aucune demande de révocation de la citoyenneté.
La juge en chef Esther Hayut a déclaré dans son jugement que, puisque seules trois demandes de révocation de la citoyenneté ont été soumises par le ministre de l’Intérieur aux tribunaux israéliens pour approbation, "cela ne suffit pas à mettre en évidence un modèle de discrimination."
Le groupe a critiqué la décision, affirmant qu’après la décision de la Cour suprême, la loi discriminatoire "sera probablement utilisée exclusivement contre les citoyens palestiniens d’Israël."
L’année dernière, le ministère israélien de l’Intérieur a révoqué la résidence permanente de l’avocat palestinien des droits de l’Homme Salah Hammouri dans sa ville natale de Jérusalem, pour "manquement à l’allégeance" envers l’État, ouvrant ainsi la voie à l’expulsion forcée de Hammouri.
Le groupe de défense des droits des prisonniers Addameer a condamné cette décision à l’époque, affirmant qu’elle était l’aboutissement d’années de harcèlement ciblé de la part du gouvernement israélien à l’encontre d’Hammouri pour son travail en faveur des droits humains, notamment des arrestations et des emprisonnements arbitraires.
Hammouri est actuellement détenu dans une prison israélienne en vertu de la détention administrative, une politique utilisée par Israël presque exclusivement contre les Palestiniens qui permet l’emprisonnement sans accusation ni procès, souvent en vertu de "preuves secrètes".
Traduction et mise en page : AFPS /DD