L’ONG Addameer a été créée en 1991 pour offrir une aide juridique gratuite aux prisonniers politiques palestiniens sous l’occupation israélienne. Depuis 1996 nous nous sommes aussi développés pour soutenir également les détenus politiques sous l’Autorité palestinienne [1].
Nos rencontres avec les prisonniers ont lieu lors de la préparation des sessions du tribunal et à l’occasion de visites aux prisonniers dans les centres d’interrogatoire ou les prisons. Notre objectif principal est de les représenter sur le plan légal, mais également de constituer une base de documentation sur les tortures et les autres violations auxquelles ils sont exposés dans leur vie quotidienne en prison.
Arrestations et emprisonnements de masse, un moyen de dissuasion et de contrôle des esprits et des corps des Palestiniens.
Depuis 1967, les arrestations de masse sont utilisées pour bloquer toute forme de résistance ou de lutte contre l’occupation. Lorsque les autorités d’occupation israéliennes ont mis en place les ordres militaires et les tribunaux militaires, leur objectif était d’arrêter autant de personnes que possible et de les emprisonner pendant de longues périodes. Un des exemples en est la déclaration de tous les partis politiques comme illégaux, ainsi que les mouvements étudiants et les syndicats.
De même, lors de la première Intifada, les arrestations de milliers de prisonniers –- en particulier ceux en détention administrative, c’est-à-dire incarcérés sur la base de dossiers secrets – avaient pour but de stopper ce mouvement et d’empêcher toute manifestation publique. La même stratégie de campagnes d’arrestations massives a été utilisée lors de l’invasion des principales villes en mars 2002, où des milliers de Palestiniens ont été arrêtés. Plus de 2000 ont alors été placés sous le régime de la détention administrative pendant 3 mois sans aucune justification. Encore maintenant, l’augmentation significative des détentions administratives, qui concernent environ 915 individus, alors qu’en 2021 ils étaient de l’ordre de 400-450, montre la façon dont l’occupant utilise ce système « d’informations secrètes » pour justifier l’arrestation de centaines de personnes sans procès.
Deux poids, deux mesures… l’apartheid !
Alors qu’ils vivent illégalement sur le même territoire, lorsqu’ils sont arrêtés, s’ils le sont, les colons ne sont pas poursuivis devant des tribunaux militaires. Ils bénéficient d’un système totalement différent des Palestiniens, celui de tribunaux civils.
Pour les Palestiniens, la période d’interrogatoire est plus longue, la période d’interdiction de visite d’un avocat, pour un conseil juridique par exemple, est aussi plus longue. Le procureur militaire et les juges militaires ont des comportements et des critères très différents de ce qu’on observe dans les tribunaux civils. D’une façon générale le système des tribunaux militaires est loin d’être un système de justice, et on ne peut pas parler de procès équitables.
Ainsi, les autorités d’occupation israéliennes violent les règles du droit humanitaire international avec la mise en place d’un système de tribunaux militaires, en particulier les 4 conventions de Genève. Une enquête du procureur de la CPI devrait être ouverte afin de démontrer que ces tribunaux ne peuvent pas garantir des procédures équitables, ce qui constitue un crime de guerre.
De même, la détention administrative est utilisée de manière généralisée et systématique. Comme il s’agit d’une détention arbitraire, puisqu’elle est basée sur des informations secrètes, et d’une durée indéfinie puisqu’il n’y a pas de limite à l’emprisonnement d’une personne en vertu de la détention administrative, il s’agit d’une violation grave du droit humanitaire international (DHI) ou « droit de la guerre », et du droit international relatif aux droits humains (IHRL) [2], on peut donc dire que la détention administrative est un crime de guerre et un crime contre l’humanité.
De plus, depuis la création du gouvernement de décembre 2022, le nouveau ministre de la Sécurité intérieure I. Ben Gvir met en place de nouvelles restrictions et des lois qui vont nuire gravement à la vie des prisonniers et des détenus palestiniens. Les mesures vont affecter leurs conditions d’hygiène et de santé, les visites familiales, les temps de récréation, les conditions de mise à l’isolement, les transferts d’une prison à l’autre, et ainsi de suite.
Les menaces qui pèsent sur les Palestiniens, qu’ils soient jeunes, réfugiés, de Jérusalem, journalistes ou encore défenseurs des droits humains… varient et dépendent des intérêts de l’occupation. Elles sont en général directement liées à ce qui se passe sur le terrain.
L’appartenance, ou la simple suspicion d’appartenance à un parti politique, un syndicat, ou une ONG peut exposer à des arrestations ou à une stigmatisation par Israël. Cela a atteint aussi Addameer.
En effet, le processus d’arrestation abusif et sans preuve est similaire pour des structures de la société civile. Par exemple la désignation d’Addameer et des autres ONG [3] comme « terroristes » est basée sur des informations secrètes, tout comme les cas de détention administrative. Ainsi, sous le couvert de la lutte contre le terrorisme et des besoins de sécurité, les forces d’occupation israéliennes justifient tous les crimes qu’elles commettent contre les Palestiniens. De même, lorsqu’elles ont arrêté 48 parlementaires palestiniens après les élections de 2006, elles ont prétendu qu’ils étaient tous du Hamas, ce qui était faux. Mais le but était bien de nuire à la vie politique palestinienne, au choix démocratique, et les forces d’occupation israéliennes ont réussi à paralyser totalement le parlement palestinien.
Dans le cas d’Addameer et des ONG des droits de l’Homme concernées, l’objectif est de désorganiser la société civile palestinienne. L’attaque ne s’arrêtera pas avec les 7 organisations [4]. En fait, la volonté de détruire la société civile a une longue histoire, qui s’est renforcée après la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) en 2004 contre le mur et l’initiative du mouvement BDS. La CPI est l’outil privilégié pour pouvoir dénoncer la responsabilité d’Israël, ses crimes de guerre et ses crimes contre l’humanité. Notre travail auprès de la CPI et de l’ONU, et le succès que nous avons au niveau international où l’on perçoit un changement du discours, avec de plus en plus de personnes qui parlent maintenant de l’apartheid, nous désigne comme cibles.
Jusqu’à présent, nous avons continué notre activité et nous persisterons à le faire, même si nous savons qu’il existe un risque personnel et collectif d’être arrêté ou que d’autres mesures puissent être prises. Mais nous croyons en notre vision de l’avenir, à un futur où nous pourrons exercer notre droit à l’autodétermination. Avec le soutien de notre peuple, de nos partenaires et de nos amis qui croient en notre travail et lui font confiance, nous continuerons à agir.
Stopper cette violence envers le peuple palestinien ?
La communauté internationale devrait prendre ses responsabilités plus sérieusement dans la mise en œuvre du droit dans le territoire palestinien occupé (TPO). Depuis des décennies, elle agit « avec diplomatie » pour demander à Israël de respecter le droit international ; cela ne fonctionne pas, il est temps de prendre des sanctions afin de protéger les Palestiniens et forcer Israël à mettre fin à ses crimes et à rendre des comptes.
Propos recueillis en anglais par Mireille Sève