Si la communauté internationale, sous la direction des Etats-Unis, entend sérieusement préserver la solution à deux Etats dans le conflit israélo-palestinien, la conférence internationale qu’accueille la France dimanche 15 janvier est une occasion unique de redéfinir la voie à emprunter. Reconnaître l’Etat palestinien contribuerait politiquement à mettre fin à l’occupation militaire israélienne de la Cisjordanie, dont Jérusalem-Est, et de la bande de Gaza, qui dure depuis près d’un demi-siècle. Cette reconnaissance constituerait le remède miracle capable de sauver la solution à deux Etats.
Un tel geste prendrait acte de l’asymétrie du rapport de force sur le terrain et reconnaîtrait enfin du point de vue du droit – préalablement à un accord de paix – qu’aux yeux de la communauté internationale, l’issue ne peut être que la coexistence de deux Etats. Cela pourrait servir de point de départ à de futures initiatives incitant les deux parties à agir en fonction de leurs intérêts stratégiques sur le plan international. Toute solution en deçà, ou toute tentative de brouiller les cartes en noyant cette mesure dans un panier d’autres problèmes, ne ferait que retarder encore un peu plus un véritable processus de paix pour le Moyen-Orient.
Le 28 décembre 2016, le secrétaire d’Etat américain John Kerry s’est félicité du fait que « les Etats-Unis ont reconnu Israël sept minutes après sa création » en 1948. Cette reconnaissance s’est effectuée alors qu’Israël n’avait pas de frontière orientale définie, ce qui est pourtant censé être une condition préalable à la constitution d’un Etat. Serait-ce trop demander aux Etats-Unis que de reconnaître de la même façon l’Etat palestinien, même s’il ne comporte pas de frontière occidentale précisément tracée ? C’est exactement ce que mentionnait en 2011 la demande palestinienne, faite auprès du Conseil de sécurité de l’ONU, d’une adhésion pleine et entière aux Nations unies. Aux yeux des Palestiniens, l’annonce d’une énième conférence de paix fait le même effet que si on les informait que Starbucks vend du café
Lorsque les Etats-Unis ont menacé d’opposer leur veto à la demande palestinienne d’adhésion à l’ONU, les Palestiniens, par une étrange réaction, ont transmis leur demande à une commission du Conseil de sécurité de l’ONU afin qu’elle fasse l’objet de plus amples délibérations en attendant un moment plus opportun. L’année suivante, le 29 novembre 2012, l’Assemblée générale de l’ONU votait une résolution qui « décid[ait] d’accorder à la Palestine le statut d’Etat non membre observateur » et « exprim[ait] l’espoir que le Conseil de sécurité examine favorablement la demande présentée le 23 septembre 2011 par l’Etat de Palestine, qui souhaite devenir membre de plein droit de l’Organisation des Nations unies ». La majorité des pays du monde ont unilatéralement reconnu l’Etat de Palestine et, en votant en faveur de la résolution 67/19, 138 d’entre eux en ont renforcé le statut à l’ONU.
En dépit du rejet total par le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou des efforts de la communauté internationale en vue de sauver la solution à deux Etats, la France s’apprête à recevoir ce dimanche quelque 70 pays dans le cadre d’une conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient qui vise à préserver le paradigme des deux Etats. Le président palestinien Mahmoud Abbas a salué l’initiative française, mais aux yeux de ses concitoyens, l’annonce d’une énième conférence de paix au Moyen-Orient fait le même effet que si on les informait que Starbucks vend du café.
La liste des accords de paix avortés est déjà longue
Ceux qui subissent tous les jours le poids de l’occupation militaire israélienne ont raison d’être sceptiques. La liste des accords de paix avortés est déjà longue – la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU sur le futur gouvernement de la Palestine (1947), les propositions du comte Folke Bernadotte (1947-1948), la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU (1967), le plan Rogers (1969), la résolution 338 du Conseil de sécurité de l’ONU (1973), le plan Reagan (1982), les accords d’Oslo (1993), le mémorandum de Wye River (1998), le sommet de Camp David II et les « paramètres Clinton » (2000), le sommet de Taba et le plan Tenet (2001), l’initiative de paix arabe de 2002, la « feuille de route pour la paix » (2003), le sommet de Charm El-Sheikh de 2005 et les six principes de John Kerry pour une paix au Moyen-Orient (29 décembre 2016), pour ne citer que les principales initiatives –, et, malheureusement, il est probable que la liste s’allongera encore.
Si elle veut éviter de rejoindre cette liste de rencontres sans lendemain, la conférence internationale qui se tient à Paris devrait s’engager à soutenir une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU reconnaissant la Palestine. Une fois qu’Israël et la Palestine seront toutes deux reconnues, les nations du monde pourraient commencer à appliquer les conventions, traités et accords internationaux – tout comme ils s’appliquent à tous les pays ayant des frontières communes – concernant les obstacles quotidiens (depuis les déplacements et le commerce jusqu’à l’utilisation de l’espace aérien et du spectre électromagnétique) auxquels se heurte la vie des Palestiniens sous l’occupation militaire israélienne. Ces mêmes pays pourraient également, dans leurs transactions avec Israël, opérer une distinction entre le pays dans ses frontières d’avant 1967 et son entreprise illégale de colonisation.
« Les défis de l’ère Trump »
A propos du discours prononcé par John Kerry à la fin de l’année 2016, le président de l’Arab American Institute, James J. Zogby, a écrit que « pour certains, notamment les Palestiniens, cela peut paraître “trop peu, trop tard”. Mais dans la mesure où elle contribue à lancer un débat américain sur la politique israélienne, l’intervention de Kerry est bienvenue, validante et habilitante. Il a établi des marqueurs qui devraient aider libéraux et progressistes à définir un agenda politique sur le conflit israélo-palestinien – et c’est exactement ce dont on a besoin alors que s’annoncent les défis de l’ère Trump ».
A la veille de cette « ère Trump », la possibilité que la communauté internationale reconnaisse l’Etat de Palestine avant qu’il ne soit trop tard pourrait faire beaucoup plus qu’« établir des marqueurs ». Une telle initiative pourrait être utilisée pour enfin demander des comptes à Israël et le menacer de coûts importants – politiques, économiques et autres – afin de l’amener à se plier au droit international et aux résolutions de l’ONU, sans parler du simple bon sens.
Si le paradigme des deux Etats devait être enterré, Palestiniens et Israéliens ne se volatiliseront pas pour autant. En 2014, alors que les neuf mois d’efforts du secrétaire d’Etat Kerry pour relancer les négociations s’effondraient, le Bruno Kreisky Forum for International Dialogue organisait à Vienne une vaste réflexion avec des intellectuels, politiciens et militants palestiniens, juifs israéliens et européens, afin de procéder à un réexamen des stratégies et paradigmes du moment, proposant et explorant de nouvelles perspectives, des discours visionnaires et des alternatives à la partition. La teneur des débats fut publiée, en collaboration avec l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, dans un ouvrage intitulé Rethinking the Politics of Israel/Palestine. Partition and its alternatives, qui propose une réflexion novatrice sur le conflit israélo-palestinien. En politique, le vide n’existe pas, et cet ouvrage en est le témoignage.
Si la réunion de Paris devait échouer, les Français pourraient se contenter de chanter : « C’est la vie », et Nétanyahou se tordre de rire en allant visiter le prochain site de colonisation en Cisjordanie, mais une nouvelle génération d’Israéliens et de Palestiniens ne manqueraient pas de payer le prix de ce nouvel échec.