Photo : Panneau de signalisation israélien installé à l’entrée des zones A de Cisjordanie, et interdisant aux Israélien.ne.s d’y entrer - Source : Wikipédia
Le monde entier a assisté à la poignée de main historique entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin sur la pelouse de la Maison Blanche, aux côtés de Bill Clinton, il y a exactement 30 ans, un moment considéré comme l’un des événements géopolitiques cruciaux du 20e siècle.
Je n’avais que cinq ans à l’époque, je vivais en France et je m’en souviens principalement à travers la télévision et, plus tard, dans les manuels scolaires d’histoire.
Peu après, ma famille a déménagé à Gaza, car mon père, réfugié palestinien, a pu enfin entrer dans le pays pour la première fois, aux côtés de quelques milliers de Palestiniens. Notre retour au pays a coïncidé avec celui de feu Yasser Arafat.
Appelée tristement célèbre « Génération Oslo », composée de Palestiniens âgés de 30 à 40 ans, nous sommes les enfants des négociateurs ou des leaders de la première Intifada. Notre vie entière a été façonnée par les décisions prises en secret par les dirigeants de l’OLP et le gouvernement israélien.
Au cours de ces trois décennies, nous avons été - et nous sommes toujours - encouragés à participer à des chorales dites « de paix », à des camps d’été ou à d’autres plates-formes de « dialogue », afin de nous mêler aux Israéliens. En fait, ces activités n’ont fait qu’aider les Israéliens à se sentir bien dans leur peau, ces mêmes Israéliens qui ont ensuite servi dans l’armée, ne parvenant pas à lutter contre le système raciste et colonial dont ils faisaient partie.
Nous avons assisté à la construction d’un mur d’apartheid de 700 km, coupant les voisins et les amis des membres de leur famille ou de leurs arbres fruitiers. Nous avons assisté à la fragmentation et à l’enfermement de nos villes, entourées de postes de contrôle militaires. Et nous avons vu la croissance exponentielle des colonies juives et des routes séparées qui font de chaque trajet en voiture une entreprise dangereuse.
Ce soi-disant « processus de paix » - avec des accords intérimaires qui n’étaient censés durer que cinq ans - a effectivement donné carte blanche à Israël pour poursuivre son contrôle et son expansion coloniale tout en imposant une domination raciste d’apartheid sur les Palestiniens.
Des sommets futiles
Cette désillusion a conduit à la seconde Intifada et à la défiance massive que l’on observe aujourd’hui chez les jeunes générations. Le ressentiment provient en grande partie des dirigeants palestiniens, qui ont continué à accepter des sommets de paix et des cycles de négociations futiles, tout en renforçant leur propre assujettissement.
Le processus d’Oslo était voué à l’échec dès le départ. Il a cimenté l’idée que les négociations bilatérales dans le cadre d’un programme libéral de « consolidation de la paix » constituaient une voie politique viable, par opposition à la poursuite de la paix par la décolonisation, la fin de l’occupation militaire et le respect des droits des peuples conformément au droit international.
Premièrement, les négociations n’ont jamais été menées de bonne foi et le déséquilibre des forces a toujours été en faveur d’Israël.
L’ancien négociateur israélien Yossi Beilin a récemment reconnu que la plus grande erreur commise par les Palestiniens était de croire en l’engagement d’Israël de geler la colonisation.
Dans son discours de 1995 à la Knesset concernant les accords d’Oslo, Rabin a indiqué que la « solution permanente » impliquerait « l’établissement de colonies en Judée et en Samarie », et la construction de colonies s’est poursuivie pendant les périodes de négociation.
Les négociateurs israéliens ont également évité de faire référence au droit international, sauf en tant que « base de négociations futures », échappant ainsi à toute responsabilité ou à tout engagement ferme de mettre fin à l’occupation et de faire respecter les droits des Palestiniens. À ce jour, Israël n’a pas reconnu les Palestiniens en tant que groupe national ni notre droit à l’autodétermination.
Deuxièmement, le peuple palestinien a été exclu des négociations secrètes et les négociateurs palestiniens étaient mal équipés pour veiller à ce que leurs demandes soient satisfaites. L’Autorité palestinienne (AP), créée en vertu des accords, a en effet été conçue pour jouer un rôle contre-insurrectionnel en pacifiant et en contrôlant les Palestiniens, plutôt que d’agir en tant qu’entité souveraine nous conduisant à la liberté et à l’indépendance.
L’OLP a ainsi troqué la lutte de libération palestinienne contre une autonomie limitée à l’intérieur de notre patrie, entièrement dépendante d’Israël.
L’Autorité Palestinienne sert désormais d’exécutant local de notre assujettissement, avec une classe dirigeante qui intensifie la répression contre les jeunes dissidents ayant perdu confiance dans la capacité du système gouvernemental à les libérer de l’oppression.
La farce des négociations bilatérales
Troisièmement, tout processus négocié par les États-Unis et soutenu par les alliés occidentaux était voué à favoriser les intérêts israéliens.
Comme l’a noté l’ancien ministre égyptien des affaires étrangères Nabil Fahmy en 2019, l’administration de Bill Clinton « a brouillé la distinction entre les intérêts et les priorités américains et israéliens ». Aujourd’hui, les États-Unis restent le principal sponsor de l’armée israélienne, avec 3,8 milliards de dollars par an.
Depuis 1972, les États-Unis ont opposé leur veto à plus de 44 résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant les actions illégales d’Israël, contribuant ainsi à la culture d’impunité dans laquelle Israël opère aujourd’hui. Ces actions préjudiciables se poursuivent par la promotion de la normalisation avec Israël par le biais des accords d’Abraham.
Les rares fois où les autorités palestiniennes ont tenté de s’éloigner de la farce des négociations bilatérales, par exemple en recourant aux conventions des Nations unies ou à la Cour pénale internationale (CPI), Israël et ses alliés ont qualifié ces mesures d’« unilatérales » qui « nuiraient à la paix », faisant des Palestiniens les victimes d’un rejet perpétuel des offres de paix.
On me demande souvent si la solution à deux États est morte ou si nous plaidons pour une solution à un État. Il s’agit là d’une question cruciale qui ne permet pas d’aller de l’avant. La fixation sur la création d’un État et l’approbation de pure forme de la solution à deux États ont déresponsabilisé notre nation, consolidé les appareils bureaucratiques et sécuritaires et blanchi les crimes israéliens.
La véritable question devrait être : comment pouvons-nous parvenir à une paix juste et à un avenir libéré sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique. Il est déraisonnable d’attendre des Palestiniens qu’ils négocient leur liberté et leurs droits fondamentaux.
Il faut que la communauté internationale change d’approche et reconnaisse la nécessité d’un changement radical dans la dynamique du pouvoir.
Tout d’abord, elle doit reconnaître la futilité et l’inadéquation du cadre du « processus de paix » et se concentrer sur un processus politique centré sur la réalisation des droits humains.
Elle doit soutenir les efforts des Palestiniens pour se réapproprier leur système politique et leur représentation, en encourageant la recherche d’un consensus dans tous les segments de la société.
Plus important encore, elle doit tenir Israël pour responsable de ses crimes et cesser le commerce, la coopération et les alliances amicales avec l’un des derniers régimes coloniaux de la planète.
Traduit par : AFPS