Le contentieux entre le président américain et le premier ministre israélien est lourd. Mais des experts américains sont déjà en train de travailler à un plan de paix global que Barack Obama pourrait proposer à Israël en échange de nouvelles garanties de sécurité.
Ce n’est pas un secret : les quatre années qui viennent de s’écouler n’ont pas été de tout repos entre Barack Obama et Benjamin Netanyahou. Le contentieux, personnel et politique, entre les deux hommes état tel que le premier ministre israélien n’avait pas caché son soutien à Mitt Romney. Il est vrai qu’outre le catéchisme ultra-libéral qui oriente leurs choix économiques, le candidat républicain vaincu par Obama et le chef du Likoud sont unis par d’autres liens. Ils sont en fait des amis de 35 ans. Depuis qu’ils ont travaillé ensemble, dans les années 70 pour le Boston Consulting group, aux Etats-Unis, ils sont restés proches.
Et ils ont en commun un mécène : le milliardaire Sheldon Adelson, magnat des casinos de Las Vegas à Macao en passant par Singapour. Considéré par Forbes comme la 13ème fortune du monde, avec un patrimoine personnel de 11,5 milliards de dollars, Adelson a été l’un des principaux financiers de la campagne de Romney. En Israël, où il dépense sans compter, il a créé et finance, pour soutenir son ami Benjamin Netanyahou, un quotidien gratuit, Israel Hayom, devenu aujourd’hui, en diffusion, le deuxième journal du pays.
La vérité est qu’avant même le choix de Romney comme candidat Républicain et l’ouverture de la campagne électorale américaine, les relations entre Netanyahou et Obama étaient déjà mauvaises, voire exécrables. Pourquoi ? Un retour en arrière, ici, s’impose. Il explique en effet la profondeur du contentieux entre les deux hommes. Et la dimension des ressentiments qu’ils vont devoir surmonter au cours des quatre prochaines années, pour que l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et Israël soit préservée et joue pleinement son rôle dans un Moyen-Orient déstabilisé par les « Printemps arabes » et leurs suites chaotiques.
La mission de George Mitchell
En Israël comme dans les territoires palestiniens, personne ne l’a oublié : lorsqu’il a fait son entrée à la Maison Blanche, après sa première élection, le 20 janvier 2009, Barak Obama a indiqué que son premier appel téléphonique depuis le bureau ovale avait été pour le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Le geste avait une portée politique limitée mais un réel poids symbolique. Il entendait rappeler que pour le nouveau président américain, la réactivation du processus de paix agonisant entre Israël et les Palestiniens et la recherche d’une solution fondée sur la coexistence de deux Etats - Israël et un Etat de Palestine - était une priorité.
Pour démontrer l’importance qu’il accordait à ce dossier, et sa volonté d’impliquer les Etats-Unis dans la négociation Barack Obama avait désigné deux jours plus tard, un envoyé spécial au Proche-Orient, chargé d’explorer, pour commencer, les positions des deux parties. L’homme chargé de cette mission avait été choisi avec soin. L’ancien sénateur du Maine, George Mitchell, alors âgé de 76 ans, avait réussi, en 1998 à mettre un terme à l’interminable guerre d’Irlande du nord. Ce succès avait incité le président américain Bill Clinton à le désigner, avec l’assentiment du premier ministre israélien Ehoud Barak et du président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat pour diriger une mission d’enquête sur la crise entre Israël et l’Autorité palestinienne.
Remis en avril 2001, le Rapport Mitchell – qui devait, deux ans plus tard, servir de base à la « Feuille de route » du Quartette (Etats-Unis, Nations Unies, Union européenne, Russie) – préconisait l’arrêt de toute violence, le gel de la colonisation israélienne et une lutte énergique de l’Autorité palestinienne contre le terrorisme. Ces conditions sont indispensables, indiquait le rapport, pour rétablir la confiance entre les deux parties et reprendre les négociations.
Un camouflet pour Joe Biden
C’est fort de cette expérience de la situation et des hommes que le sénateur Mitchell s’envole pour le Moyen-Orient, en janvier 2009 et entame ses navettes entre Ramallah et Jerusalem pour tenter de rapprocher les positions. Comme il l’a confié par la suite, il constate rapidement que l’une des clés majeures de la reprise des négociations est l’arrêt de la colonisation israélienne.
Il s’attelle à la rude tache d’en convaincre Netanyahou. Barack Obama, de son côté s’efforce de convaincre le monde arabe que les Etats-Unis ne sont pas et ne seront jamais en guerre avec l’islam. C’est le sens du discours du Caire, en juin 2009, où il rappelle que les Etats-Unis « n’acceptent pas la légitimité de la poursuite de la colonisation israélienne ». Les colonies, insiste Obama, violent les accords déjà signés et sapent les efforts pour parvenir à la paix. Il est temps pour cette colonisation de s’arrêter ».
En novembre 2009, George Mitchell estime, à bon droit, avoir franchi une première étape. Le gouvernement Netanyahou accepte en effet de proclamer un moratoire de dix mois sur les nouvelles constructions en Cisjordanie. Certes, ce moratoire ne s’applique pas aux chantiers en cours (2900 logements), aux colonies de Jerusalem-Est (où vivaient alors 191 000 Israéliens) et aux bâtiments publics (écoles, synagogues, centres administratifs), mais c’est un début.
Ce ne sera qu’un début. En mars 2010, au moment même ou le vice-président américain Joe Biden est en visite à Jerusalem et Ramallah, pour tenter de relancer le dialogue, le gouvernement israélien annonce la construction de 1600 logements au nord de Jerusalem. Fureur d’Obama. Qui croit encore pouvoir faire fléchir Netanyahou. Six mois plus tard, s’exprimant devant l’Assemblée générale des Nations Unies, le président américain affirme son espoir de voir conclu « d’ici un an un accord débouchant sur l’admission d’un nouvel Etat membre des Nations Unies, un Etat indépendant et souverain de Palestine, vivant en paix avec Israël ».
Obama multiplie les reculades
Lancé dans une véritable guerre politique secrète contre Obama, Netanyahou, pendant ce temps multiplie les voyages aux Etats-Unis, rencontrant tous ceux – évangélistes ultra-conservateurs, représentants du lobby pro-israélien – qui jugent inacceptable la politique du nouveau président américain au Moyen-Orient – et aux Etats-Unis. Méthodiquement, Etat après Etat, les Sénateurs et les Représentants – Républicains et Démocrates - favorables à Israël, sont recensés et invités à faire part de leurs réserves et de leurs désaccords au président.
Le sommet de l’offensive israélienne est atteint le 24 mai 2011, lorsque Netanyahou, invité à s’exprimer devant le Congrès américain, est interrompu, plus de trente fois par des ovations. Obama ne cache plus son animosité à l’égard de Netanyahou. Il va même jusqu’à abréger un entretien à la Maison-Blanche en invoquant un « dîner en famille ». Entre les deux hommes, rien de va plus.
D’autant que la pré-campagne présidentielle américaine s’approche et que le président, déjà mis en difficulté, à l’intérieur par sa loi sur la sécurité sociale, est contraint de lâcher du lest aussi, en matière de politique étrangère. Sur la question palestinienne, en particulier sur le dossier explosif de la colonisation, Obama, piégé, va multiplier les reculades. Lorsque Mahmoud Abbas plaide pour l’admission de l’Etat de Palestine aux Nations Unies, Washington s’y oppose, reprenant l’argument israélien selon lequel, une telle initiative risquerait de mettre en péril le dialogue israélo-palestinien…qui n’existe plus. Lorsque la Palestine est admise à l’Unesco, à la colère d’Israël, Washington, annonce, en représailles, l’arrêt du versement de ses contributions à cette agence des Nations Unies. Lorsqu’une résolution condamnant la colonisation israélienne en Cisjordanie est soumise au Conseil de sécurité des Nations Unies, Washington oppose son veto.
Obama a quatre ans pour régler ses comptes
Empoisonné par le désaccord sur la question palestinienne, le dossier du contentieux israélo-américain est encore alourdi par l’affaire iranienne. Affirmant que la République islamique est sur le point de disposer d’une arme nucléaire qui menacerait directement la sécurité, voire la survie d’Israël, Netanyahou et son ministre de la Défense, l’ancien travailliste Ehoud Barak, se déclarent prêts à déclencher une frappe préventive sur les installations nucléaires iraniennes, si la menace se précise.
Washington, comme l’Union Européenne se déclarent prêts à garantir la sécurité d’Israël mais privilégient l’usage combiné de sanctions économiques renforcées et de négociations, pour convaincre Téhéran de renoncer à ses projets de nucléaire militaire.
Dans les mois qui précèdent l’élection présidentielle américaine, Netanyahou n’hésite pas à recourir à une forme de chantage stratégique : alors que de nombreuses voix, dans l’armée, dans les services de renseignements, parmi les intellectuels, s’opposent à une frappe israélienne sur l’Iran, qui risquerait de plonger toute la région dans le chaos, des « fuites » font état de préparatifs pour une attaque à l’automne 2012.
Quelques semaines avant l’élection américaine, Benjamin Netanyahou encore s’efforçait d’obtenir de Barack Obama, un engagement public et solennel sur une « ligne rouge », dans le développement du programme nucléaire iranien, au-delà de laquelle une frappe serait inévitable et légitime.
Comme l’écrivait mercredi un éditorialiste de Haaretz « Obama a maintenant quatre ans pour régler ses comptes avec Netanyahou, pour son soutien délibéré à Mitt Romney, pour l’avoir humilié devant le Congrès, pour avoir gelé les négociations avec les Palestiniens, pour les colonies, pour avoir tenté de lui donner des leçons de leadership sur le dossier iranien. Maintenant, Obama va être en mesure d’agir librement avec Netanyahou, sans craindre le lobby juif ou l’argent de Sheldon Adelson, qui voulait sa tête ».
Dans un environnement régional profondément modifié par le changement de régime en Egypte, la chute de Kadhafi et ses conséquences dans les pays voisins, le chaos syrien, les incertitudes Jordaniennes, le début de déstabilisation du Liban, l’activisme saoudien et qatari au côté des islamistes, la mobilisation de l’Iran et du Hezbollah aux côté de Bachar al-Assad, la naissance de l’alliance chiite Iran-Irak, quelles initiatives peut prendre Obama ?
Le document Pickering
Préparé depuis plusieurs mois par un groupe d’experts dirigé par Thomas Pickering, ancien ambassadeur en Jordanie, en Israël, en Russie et aux Nations Unies, un document de travail sur les options diplomatiques et de sécurité au Proche-Orient suggère que le président renonce à la vieille formule selon laquelle « les Etats-Unis ne peuvent pas vouloir la paix davantage que les parties en conflit ». Selon ce document, à la rédaction duquel des militaires ont été associés, Washington doit désormais partir du principe que son implication dans la résolution du conflit du Proche-Orient relève de l’intérêt stratégique supérieur des Etats-Unis.
La nouvelle administration, estiment les auteurs du document, doit présenter un plan global reconnaissant la souveraineté palestinienne sur la base définie par l’Initiative de paix arabe de 2002, renouvelée au sommet de Riyad en 2007. Rejetée par Ariel Sharon, à l’époque premier ministre, comme par Benjamin Netanyahou, mais saluée par Shimon Peres, et approuvée par les responsables Palestiniens – à l’exception de ceux du Hamas – cette initiative proposait la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie, dans la bande de Gaza et à Jerusalem-Est en échange d’un « accord avec Israël » au d’une normalisation des rapports entre Israël et le monde arabe.
Le plan global, proposé par le document des experts américains prévoit parallèlement un schéma de sécurité fondé sur le déploiement, sur le terrain d’une force internationale d’inspection et de surveillance. Les experts suggèrent que le président américain présente ce projet aux responsables israéliens dans le cadre d’un plan destiné à garantir la sécurité d’Israël et à préserver sa suprématie militaire. En échange de l’acceptation de ce plan Washington pourrait fermer les yeux sur l’absence d’Israël lors des négociations d’Helsinki sur la dénucléarisation du Proche-Orient et renouveler son engagement à empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire.