Intervention de Monique Chemillier Gendreau lors de la réunion des adhérents de l’AFPS Paris 14-6 le 8 janvier 2013
État de Palestine : et maintenant ?
Par la résolution du 29.11.2012, l’Assemblée générale des Nations unies a admis la Palestine en tant qu’État observateur non membre par 138 voix pour (dont la France), 9 contre (dont les États-Unis, le Canada, Israël et, pour l’Europe la République tchèque), et 41 abstentions (dont l’Allemagne et le Royaume-Uni), officialisant la reconnaissance de l’État de Palestine au niveau international.
La manière dont les médias ont rendu compte de l’entrée de la Palestine à l’ONU, témoigne de la perplexité qui provient d’une procédure inhabituelle. A première vue en effet, la Palestine, Etat « non membre » est un non-sens juridique. Il convient donc de s’interroger pour savoir si la reconnaissance de l’Etat de Palestine comme Etat observateur non membre est un pas en avant ou un coup pour rien, s’il n’est qu’un acquis symbolique (ce qui peut être apprécié en soi dans les circonstances actuelles) ou si cela a des effets concrets et lesquels ?
Pourquoi la Palestine n’a-t-elle pas été admise comme un État membre à part entière et pourquoi cette reconnaissance ambiguë intervient-elle si tard ?
Pour mieux comprendre l’étrangeté de la situation, il faut repartir des mécanismes du droit international en matière de reconnaissance de l’État, tout en soulignant la différence entre l’existence et la reconnaissance. On verra ensuite comment la question palestinienne n’a pas été réglée sur ces bases. Et on dira pour terminer ce que les Palestiniens peuvent tirer de la relative avancée de la résolution de novembre 2012.
Les mécanismes du droit international en matière de reconnaissance d’un État
1 – Le droit international est dominé par le principe sacro-saint de la souveraineté des États. La société mondiale est ainsi composée de sociétés indépendantes les unes des autres et l’ONU n’a pas réussi à exister comme expression d’une communauté mondiale. Elle n’est qu’une simple addition de souverainetés. Toutefois, en dépit du principe d’égale souveraineté, affirmé dans la Charte, il y a une profonde inégalité exprimée par les droits exorbitants des membres permanents du Conseil de sécurité.
En effet, l’ONU ayant été instaurée au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les vainqueurs imaginèrent un mécanisme à leur profit : le droit de veto. Ils se sont ainsi arrogé une prééminence définitive, cinq pays détenant les clés d’une institution que l’on ne peut modifier sans leur accord.
2. Dans le droit international, il y a trois types de reconnaissances :
- la "reconnaissance d’État", par exemple la reconnaissance des pays ayant accédé à l’indépendance après la colonisation. Tout État peut reconnaître ou ne pas reconnaître le nouveau venu.
- la "reconnaissance de gouvernement" (lorsque pour un même État, il y a concurrence de deux gouvernements. Ce fut le cas en France pendant la guerre avec de Gaulle à Londres en 1940 et un gouvernement de Vichy à l’intérieur).
- la "reconnaissance de belligérance" accordée aux mouvements de libération (en rébellion pour leur indépendance), statut dont ont bénéficié notamment le Front de libération nationale FLN algérien et l’Organisation de libération de la Palestine OLP à partir de 1974.
Le phénomène étatique est un phénomène contingent et relatif. La carte des États du monde est extrêmement mobile selon les périodes. Gilles Lapouge avait eu cette boutade : « De temps en temps on perd un État ». On peut citer les unions et désunions autour de Kadhafi dans le monde arabe, les dislocations qui ont suivi la fin de l’URSS ou de la Yougoslavie. Il y a eu les moments de division d’un même État avec des réunifications parfois : : 2 Chine, 2 Corée, 2 Allemagne. Il est vrai qu’il y a des consolidations historiques (par exemple la France ou l’Angleterre). Mais il faut bien constater qu’il y a une relativité du phénomène État.
Partant de ce phénomène contingent de la division du monde, on a habillé les États d’un absolu qui est la souveraineté. Cependant on ne peut pas éliminer la relativité. Elle est double. Il y a la relativité de ce qu’est un État et la relativité de la reconnaissance des autres. Les subjectivités jouent un grand rôle. Ce ne sont pas des phénomènes objectifs. Chaque peuple décide de manière subjective s’il veut être considéré comme un État ou préfère une autre forme d’existence. Chaque État décide dans sa souveraineté s’il reconnaît, ou ne reconnaît pas un nouveau candidat au statut d’État.
2- Les procédures traduisent cette relativité.
Qui peut dire qu’un État existe ? Seul le peuple concerné peut dire qu’il existe et souhaite emprunter la forme de l’État. Pour cela il faut qu’il y ait une "affirmation de soi" de la part du candidat, de la part de son peuple. C’est un acte unilatéral de proclamation. Puis chacun des autres États donne sa propre réponse. Il n’y a aucune règle, aucun critère, aucune obligation pour chaque État déjà existant de reconnaître un autre État, aucune interdiction non plus de reconnaître un État candidat. C’est une reconnaissance bilatérale qui se traduit notamment par un échange d’ambassadeurs. Le nouvel État existera comme tel pour ceux qui l’ont reconnu et pas pour les autres.
D’où une société internationale à géométrie variable. On aurait pu penser que l’ONU introduirait une dose d’objectivité. Mais l’admission devant être adoptée par le Conseil de Sécurité avant d’être soumise à l’Assemblée générale, ce sont les grandes puissances qui font la décision : on n’est pas dans le droit, mais bien dans la politique. Il faut le vote favorable des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité, puis des deux tiers des membres de l’Assemblée générale.
C’est ainsi que bien des États reconnus cependant par beaucoup d’autres, sont restés longtemps ou sont encore à la porte de l’Organisation. En 48, l’entrée d’Israël à l’ONU a été refusée une première fois parce qu’à peine créé Israël violait ses engagements.
Certains États sont entrés facilement, d’autres non, par exemple après le démantèlement de l’URSS, l’Estonie, la Lettonie n’ont eu aucune difficulté, mais la Tchétchénie n’est pas entrée. Les Palestiniens et le Sahara occidental sont soumis au jeu des grandes puissances qui font la décision ce qui explique leurs difficultés. D’autre part, on peut entrer à l’ONU sans être reconnu par tous, sans l’unanimité, du moins à l’Assemblée générale et dans ses différentes institutions : le droit est par moments rigoureux, par moments flou, on est alors dans le politique et pas dans le droit.
Mais pour le peuple palestinien, le schéma du droit international a été bouleversé par le contexte historique et politique.
La question de la Palestine
Rappelons que la résolution 181 ne créait rien. L’ONU n’a ni le pouvoir de créer un État (seul son peuple peut le faire) ni celui de le reconnaître (seuls les autres États peuvent le faire souverainement. ) La résolution 181 propose un plan de partage entre un État juif et un État arabe (sans aucune valeur contraignante). Le mouvement sioniste s’emparera immédiatement de cette résolution pour proclamer l’État d’Israël dès le retrait des autorités mandataires.
Cependant le peuple israélien est une notion floue : au début il n’y avait que le mouvement sioniste qui était loin de représenter tous les juifs ; en Israël, la loi du retour a créé un hypothétique peuple israélien puisque la loi du retour permet de puiser dans la diaspora juive du monde entier. Le territoire israélien est aussi une notion floue car même si la résolution 181 propose des frontières bien définies, la déclaration d’indépendance proclamée par Ben Gourion dès le lendemain de la fin du mandat britannique concerne un État dont les frontières ne sont pas définies.
Après la guerre de 1948-49, les Palestiniens aussi refusent la résolution 181 et cela jusqu’à l’unification réalisée par Yasser Arafat qui permet en 1974 la reconnaissance de l’OLP comme Mouvement de libération nationale par l’ONU. Dès lors, les Palestiniens peuvent participer à l’assemblée générale de l’ONU en qualité d’observateur, en tant que représentant du peuple palestinien. Ils en ont le droit mais Nixon, le Président des USA de l’époque, arguant du fait que pour les États-Unis l’OLP est une organisation terrorisme, refuse à ses délégués les visas nécessaires pour aller à New-York. Saisi par les Palestiniens, le tribunal de New-York oblige le président américain à s’incliner, le refus de visa étant une violation de l’accord de siège entre les États-Unis et l’ONU.
En 1988, à Alger, les Palestiniens proclament leur État : 94 pays reconnaissent immédiatement la Palestine et 30 autres dans les jours qui suivent. Certes tous les États n’ont pas reconnu la Palestine mais Israël non plus ne bénéficie pas d’une reconnaissance universelle de la part des autres États.
La réalité est que, notamment depuis le début du processus d’Oslo, les Palestiniens, à supposer même qu’ils l’aient voulu, ont été entravés dans leur projet de devenir un État par un autre chemin qui leur a été ouvert, celui des négociations dans lesquelles, on n’a cessé de leur dire de ne rien faire, car cela pourrait nuire au processus de négociations.
C’est ce qui explique que les Palestiniens ne se sont pas ensuite comportés dans la logique de la constitution de l’État. En raison de la négociation d’Oslo, ils ont accepté de repousser leur demande de reconnaissance de leur existence même à la fin des négociations. Il est apparu ainsi qu’ils attendaient leur pleine reconnaissance de la part d’Israël.
En décembre 2003, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte une demande d’avis consultatif adressée à la Cour Internationale de Justice CIJ à propos de la construction du mur. La Cour ainsi saisie doit demander à chaque État membre et à chaque institution internationale de faire s’il le désire soit par écrit, soit par oral des observations. Le greffier a donc envoyé une lettre à tous les États et organismes internationaux, mais aussi à la Palestine qui était ainsi traitée comme un État, en leur demandant s’ils voulaient intervenir par des remarques écrites ou orales. Pour les plaidoiries, il a donné 3/4 d’heures aux États pour cela et trois heures à la Palestine et à Israël directement impliqués dans la question. (Les Israéliens ont refusé d’intervenir.) La Cour reconnaissait de facto la Palestine comme Etat ! Les Palestiniens n’en ont pas tiré sur le plan médiatique tout ce qu’il était possible d’en tirer.
À partir de 1988, dès lors que les Palestiniens étaient reconnus comme État par un nombre substantiel d’autres États, ils avaient la possibilité d’adhérer aux Conventions internationales. Il faut un dépositaire aux Conventions qui en soit le garant. Le gouvernement suisse était garant des grandes conventions avant la guerre. Mais depuis la création de l’ONU, c’est le Secrétaire général de l’ONU qui est dépositaire des Conventions, sauf les Conventions de Genève de 1949 dont la Suisse est dépositaire. Il aurait fallu adhérer à ces conventions (dont le gouvernement suisse était dépositaire, puis à celles qui sont déposées auprès du Secrétaire général des NU). Les Palestiniens auraient aussi pu entrer dans les institutions spécialisées des Nations unies notamment l’UNESCO. Mais cette démarche a été entravée par les négociations d’Oslo qui ont remis à après les négociations la reconnaissance d’un État de Palestine. Toutefois, pour l’UNESCO cette entrée a été réalisée en 2011.
En 2012, les Palestiniens ont déclaré être décidés à demander la reconnaissance de leur État aux Nations Unies, soit en tant qu’État membre soit dans une position de repli.
La première demande risquait d’échouer par le veto des États-Unis au Conseil de Sécurité. Mais il aurait été possible (et il est encore possible) de le contourner : aller au Conseil de sécurité, avec le veto des USA, puis utiliser la résolution 377 de l’Assemblée générale des NU du 3 novembre 1950. Cette résolution appelée « Union pour le maintien de la paix » date du temps de la guerre de Corée en 1950 et résulte d’une inscription à la session de l’Assemblée générale à la demande des États-Unis. (Ceux-ci souhaitaient intervenir militairement en Corée mais l’URSS y avait mis son veto au Conseil de Sécurité. Une première résolution était passée au Conseil de Sécurité autorisant les Membres des Nations-Unies à fournir « l’assistance » nécessaire à la République de Corée « pour repousser l’attaque armée et restaurer la paix internationale et la sécurité dans la région ». Cette résolution était passée car l’URSS avait boycotté la réunion du Conseil de Sécurité. Les Américains ont alors décidé que l’abstention ne valait pas veto et ils ont envoyé Mac Arthur et quelques autres forces dont les Canadiens en Corée. L’URSS a réalisé son erreur et est revenue au Conseil de Sécurité et a mis son veto à une résolution des Américains concernant la Corée. Pour surmonter ce problème, les Américains, Dean Acheson étant Secrétaire d’État, ont fait admettre par l’Assemblée Générale qu’elle pouvait prendre des mesures si le Conseil de Sécurité était bloqué du fait du vote négatif d’un membre permanent dans tous les cas où paraît exister une menace contre la paix, une rupture de la paix ou un acte d’agression).
Cette résolution a ensuite été appliquée quelques fois et est tombée en désuétude. La 377 est une résolution d’initiative américaine, mais ensuite les Américains avec l’entrée de nouveaux pays ne faisaient plus ce qu’ils voulaient à l’Assemblée générale, c’est pourquoi les grands États n’ont plus demandé l’application de cette résolution. On ne sait pas si l’Assemblée générale aurait reconnu l’État palestinien. Il fallait un vote des deux tiers des membres. Les Palestiniens ont estimé qu’il leur serait difficile d’atteindre ce nombre et ils ont préféré se rabattre sur la demi mesure de l’État observateur non membre.
Les perspectives ouvertes aux Palestiniens par ce nouveau statut
1 – Il semblerait logique que les Palestiniens obtiennent les reconnaissances formelles unilatérales de tous les États ayant voté pour son admission aux Nations unies comme État non membre, en tout cas de ceux qui ont voté positivement alors que jusque-là ils n’avaient pas encore reconnu la Palestine. Il en va ainsi de la France.
Mais on notera que M. Gérard Araud, représentant permanent de la France auprès des Nations unies a déclaré le 29.11.12 dans son explication de vote que « la reconnaissance internationale qu’accorde aujourd’hui cette Assemblée au projet étatique palestinien ne pourra se traduire dans les faits que par un accord, fruit de la négociation entre les deux parties sur l’ensemble des questions du statut final dans le cadre d’un règlement de paix juste et global ». La reconnaissance de l’État palestinien ne pourrait donc se traduire selon lui dans les faits qu’après des négociations bilatérales.
Cela veut dire que la France n’est pas prête à se mettre en cohérence avec son vote. Il y a une forte action à mener sur ce terrain.
2 – La Palestine peut désormais adhérer à toutes les grandes conventions internationales.
Il faut d’abord que la Palestine adhère au statut de Rome de la Cour pénale internationale. Même si l’adhésion ne peut pas avoir d’effet rétroactif, tout fait postérieur à l’adhésion pourra lui être soumis, il faut donc le faire rapidement. L’accès à la Cour pénale internationale est une démarche délicate car si la Palestine peut porter devant la Cour tout crime de guerre commis en Cisjordanie et à Gaza, Israël peut faire de même pour tout acte du même type commis par les Palestiniens, par exemple les roquettes tirées de Gaza. Les diplomates des divers pays ne doivent pas faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils renoncent aux mécanismes de la justice pour les crimes de droit international.
Par ailleurs, la Palestine peut signer toutes les conventions internationales Ils doivent notamment signer la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS/CNUDM) adoptée en 1982 à Montego Bay qui définit les droits des États sur la mer territoriale, la zone économique exclusive, le plateau continental. Elle définit en outre les principes généraux de l’exploitation des ressources de la mer. Cette Convention a également créé le Tribunal international du droit de la mer, « compétent pour connaître les différends relatifs aux droits de la mer » dont le siège est à Hambourg. Les Palestiniens doivent former des gens compétents pour cela et avoir une politique offensive.
Enfin, la Palestine peut demander à entrer dans toutes les institutions spécialisées de l’ONU. Certaines sont plus importantes que d’autres. Si les Palestiniens avaient un délégué à l’Organisation mondiale des douanes ou à l’Organisation maritime internationale, cela pourrait leur permettre d’exiger la traçabilité des produits israéliens et de s’opposer à ce que les produits des colonies de peuplement ne bénéficient des préférences tarifaires qui sont accordées aux produits d’Israël et ne doivent en aucun cas être accordées aux produits des colonies.