Photo : Un Palestinien devant la projection d’un discours de Mahmoud Abbas en 2012 - Crédit : Oren Ziv (Active Stills)
Faits marquants (7-10 juillet)
Le président palestinien Mahmoud Abbas aurait organisé la semaine dernière une réunion avec les dirigeants du Fatah et les forces de sécurité palestiniennes afin de proposer le redéploiement des forces de l’Autorité palestinienne à Jénine. Plusieurs sources médiatiques israéliennes ont fait état des efforts présumés de M. Abbas pour rétablir le contrôle de l’Autorité palestinienne sur la région, bien que celle-ci n’ait fait aucune annonce officielle. Cette information fait suite à une confrontation embarrassante entre des responsables de de l’Autorité palestinienne et du Fatah avec des habitants de Jénine la semaine dernière, au cours de laquelle des résidents se sont opposés aux forces de sécurité de l’Autorité palestinienne et ont expulsé Mahmoud al-Aloul, un membre éminent du Fatah, lors de sa visite dans la ville à la suite de l’invasion meurtrière de l’armée israélienne. Depuis le début de l’année, l’Autorité palestinienne a engagé un certain nombre de pourparlers avec des responsables israéliens et américains, dont l’un des principaux objectifs aurait été d’enrayer la résistance palestinienne croissante. Comme l’a rapporté Mondoweiss en début d’année, des sources ayant connaissance des sommets en Jordanie et en Egypte, ont indiqué qu’une partie des réunions « portait sur la conception d’une nouvelle unité d’opérations de sécurité, composée d’au moins 5 000 membres de l’AP qui seraient formés en Jordanie et déployés à Jénine et à Naplouse ». Le dimanche 9 juillet, le cabinet chargé de la sécurité au sein du gouvernement du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a annoncé qu’Israël « s’efforcerait d’empêcher l’effondrement » de l’Autorité palestinienne, a rapporté l’agence Reuters. Le gouvernement de M. Netanyahou n’a proposé aucune mesure concrète pour soutenir l’Autorité palestinienne, mais a déclaré qu’il prendrait « des mesures pour stabiliser la situation civile dans l’arène palestinienne ».
Quatre Palestiniens ont été tués par des tirs israéliens entre le 7 et le 10 juillet, et plusieurs autres ont été blessés, selon le ministère palestinien de la santé. Le vendredi 7 juillet, les forces israéliennes ont assassiné deux militants palestiniens lors d’un assaut mené à leur domicile dans la ville de Naplouse. Khairy Shaheen, 34 ans, et Hamza Maqboul, 32 ans, tous deux membres présumés de la branche armée du parti de gauche Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), ont été tués après une brève confrontation avec les forces israéliennes, qui ont fait une descente dans la maison où ils se trouvaient. Selon Al Jazeera, Shaheen et Maqboul ont utilisé des explosifs improvisés et ont engagé une fusillade avec les soldats israéliens. Israël les accusait d’avoir tiré sur une voiture de police israélienne à l’extérieur de la colonie illégale de Har Bracha, au sud de Naplouse, la semaine précédente. Trois autres Palestiniens ont été blessés au cours du raid, et trois ont été arrêtés. Toujours le 7 juillet, Abdul-Jawad Saleh, 24 ans, a été tué par balle dans le village d’Umm Safa, près de Ramallah, lors d’une manifestation contre l’installation d’une colonie illégale sur les terres de la ville. Des colons israéliens auraient jeté des pierres en direction des Palestiniens, tandis que les forces israéliennes ont utilisé des gaz lacrymogènes et tiré à balles réelles en direction des manifestants palestiniens non armés. Un témoin oculaire de la manifestation a déclaré à Mondoweiss que si l’attaque des colons et des soldats a incité les jeunes de la région à lancer des pierres en retour, Saleh n’y avait pas participé, et qu’il a été « abattu par une balle tirée de nulle part, en plein dans la poitrine ». Le témoin oculaire a déclaré à Mondoweiss que les soldats « étaient là pour tuer ». Les Palestiniens d’Umm Safa ont fait l’objet d’un certain nombre d’attaques violentes de la part des colons au cours des dernières semaines. Le lundi 10 juillet, Bilal Qadah, 33 ans, a été abattu par les forces israéliennes à un poste de contrôle près du village de Deir Nidham, au nord-ouest de Ramallah. Selon les déclarations israéliennes, Bilal Qadah tentait de lancer un explosif lorsqu’il a été abattu, a rapporté l’agence de presse Wafa.
Les forces israéliennes ont attaqué et abîmé les véhicules de deux journalistes palestiniens dimanche soir, selon une publication des journalistes sur les réseaux sociaux. Le reporter Mohammad Turkman a écrit sur Facebook que lui, son collègue Kharim Khamaysa et leur ami Ali Awwad ont été arrêtés et fouillés par les forces israéliennes alors qu’ils rentraient chez eux après avoir effectué un reportage à Jénine. Selon le message de M. Turkman, les forces israéliennes ont pris les cartes d’identité des hommes et leur ont demandé d’ouvrir leurs téléphones pour les fouiller. Lorsqu’ils ont refusé, les forces israéliennes ont fait descendre M. Turkman de la voiture et l’ont agressé, le frappant à la tête et au dos, avant de retenir les trois hommes pour leur confisquer leurs cartes d’identité et leurs téléphones, tout en « pointant leurs armes sur nous », a écrit M. Turkman. Il poursuit en expliquant qu’un soldat masqué est ensuite monté dans sa voiture et l’a conduite sur une bande cloutée, brisant les quatre pneus. Il nous a ensuite interrogés : « « D’où êtes-vous ? », « D’où venez-vous ? », « Où êtes-vous allés ? » et bien d’autres questions encore ». Une fois que les soldats les ont relâchés, la voiture de M. Turkman a dû être remorquée. « Cette occupation est méprisable, elle ne connaît que le langage du meurtre et de la destruction », a écrit M. Turkman.
Les colons israéliens attaquent les Palestiniens et leurs biens dans plusieurs endroits de Cisjordanie. Selon Wafa, ils ont attaqué les maisons de Palestiniens dans un village bédouin près de Jéricho et ont pollué l’eau du village avec une « substance inconnue ». À Naplouse, les colons ont mis le feu à des terres agricoles et à des arbres dans le village d’al-Lubban al-Sharqiyah. Les colons ont également mis le feu à une structure résidentielle palestinienne dans la zone d’al-Baqaa, près du village de Mikhmas, au centre de la Cisjordanie. Des colons israéliens ont également attaqué des véhicules palestiniens, dont une ambulance, dans les gouvernorats de la vallée du Jourdain, de Tulkarem, de Qalqilya et de Jérusalem. L’ambulance attaquée à coups de pierres par les colons transportait apparemment un enfant. Personne n’a été grièvement blessé. Les colons ont également érigé des tentes et clôturé des zones de terres palestiniennes lors de deux incidents distincts dans la région d’Hébron et de Naplouse, apparemment dans le but de s’emparer de terrains palestiniens appartenant à des particuliers. Parallèlement aux attaques de colons qui se poursuivent depuis des semaines, la chaîne israélienne Channel 12 a rapporté que le ministre de la sécurité nationale d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir, envisageait de modifier sa politique afin que la police ne confisque plus les armes des colons utilisées lors d’attaques contre des Palestiniens. Le mois dernier, M. Ben-Gvir a également annoncé son intention d’augmenter le nombre d’Israéliens pouvant obtenir un permis de port d’arme.
Au moins 18 Palestiniens ont été arrêtés par les forces israéliennes lors de raids en Cisjordanie et à Jérusalem occupée, dont au moins deux enfants, a rapporté Wafa. Les arrestations israéliennes dans les villes palestiniennes sont quasi quotidiennes et ont lieu le plus souvent au milieu de la nuit.
Analyse : La deuxième phase de l’invasion de Jénine
Alors que l’assaut israélien de 48 heures sur le camp de réfugiés de Jénine, la semaine dernière, touchait à son terme, l’ancien général de brigade israélien Tamir Hayman a évoqué les objectifs de l’opération lors d’un podcast de l’INSS. Il a retenu deux objectifs principaux : le rétablissement de la « liberté opérationnelle » de l’armée israélienne - la capacité d’Israël à pénétrer dans n’importe quelle partie de la Cisjordanie sans être contesté ni gêné par la résistance - et, plus particulièrement, faciliter les conditions du retour de l’Autorité palestinienne dans le camp.
M. Hayman explique qu’il souhaite remédier au « manque d’efficacité » de l’Autorité palestinienne pour endiguer le « cycle de la vengeance » entretenu par la résistance palestinienne, ce qui signifie que l’armée devrait intervenir et réduire l’influence des groupes de résistance en supprimant leur soi-disant infrastructure (leur capacité à fabriquer des engins explosifs improvisés et d’autres moyens de résistance). Mais dans cette affirmation, beaucoup de choses ne sont pas dites : la résistance palestinienne reste bien vivante dans le camp, précisément parce que l’opération ne visait pas à l’éradiquer, mais simplement à retirer quelques-uns de ses fusils et à éliminer une poignée de ses laboratoires. En d’autres termes, on ne voit pas très bien comment cette « réussite » limitée et tant vantée pourrait faciliter le retour de l’influence de l’Autorité palestinienne.
La réponse ne réside pas dans les objectifs militaires tactiques de l’opération, mais dans ses objectifs politiques plus larges : se livrer à une démonstration théâtrale de destruction et de chaos dans le camp, sans rapport avec la nécessité opérationnelle sur le terrain. Les bulldozers D-9 de l’armée ont déchiré des rues et démoli des maisons non seulement pour satisfaire les appels de la droite israélienne assoiffée de sang à se venger, mais aussi pour permettre à l’Autorité palestinienne d’apporter une aide à la reconstruction. Qu’il s’agisse là d’une composante intentionnelle de l’opération de l’armée n’a aucune importance - en réalité, il s’agit de sa phase deux et de l’inauguration de sa mission contre-insurrectionnelle douce.
Cela n’a rien de nouveau non plus. Après sa destruction en 2002, le « réaménagement urbain » du camp de réfugiés de Jénine a eu lieu dans le cadre d’un effort colonial concerté de contre-insurrection visant à ramener les forces de sécurité de l’Autorité palestinienne pour surveiller la résistance. Des fonds étrangers ont également afflué dans le cadre de ce que Linda Tabar appelle « l’aide humanitaire bureaucratique », transformant Jénine en « zone économique et de sécurité modèle » de Tony Blair. C’est cette même stratégie que l’INSS considère comme relevant du « soft power » qui, en conjonction avec le pouvoir militaire (alternant « la carotte et le bâton »), est la manière dont le commandement central de l’armée israélienne s’efforce de maintenir le « statu quo » depuis 1967 - une colonisation rampante couplée à une pacification coloniale.
Et les tentatives de pacification ont déjà commencé. Une délégation de l’Autorité palestinienne qui se rendait aux funérailles des martyrs de l’invasion a été expulsée du camp par les habitants en deuil, furieux du silence de l’Autorité palestinienne pendant l’opération. Mais les tentatives ne se sont pas arrêtées là, puisque la délégation a annoncé que l’Autorité palestinienne avait constitué un comité pour la reconstruction du camp et qu’elle dirigerait les efforts de reconstruction. Une autre délégation est retournée au camp le samedi 8 juillet et a rencontré des membres de la brigade de Jénine. Le lendemain, une nouvelle délégation composée de ministres de l’Autorité palestinienne est arrivée. L’Algérie a promis 30 millions de dollars pour la reconstruction, qui seront également versés par l’intermédiaire de l’Autorité palestinienne.
En toile de fond, le cabinet de sécurité nationale israélien s’est réuni et a décidé de voter la proposition du Premier ministre Netanyahu d’ « agir pour empêcher l’effondrement de l’Autorité palestinienne », y compris par des moyens économiques pour la soutenir. Les seuls opposants à cette proposition étaient Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich (déclarant « qu’il n’y aura pas d’aide économique aux Palestiniens »), dont les positions extrémistes conduiront, selon le courant dominant de l’establishment militaro-sécuritaire israélien, à un « désastre sécuritaire » pour Israël.
Le risque posé par le lancement de la deuxième phase officieuse de l’opération menée contre Jénine est que la résistance devra désormais mener une guerre sur deux fronts - de l’extérieur et de l’intérieur. Le plus difficile, c’est que les groupes de résistance peuvent difficilement refuser l’aide à la reconstruction du camp, mais au fur et à mesure qu’elle afflue, le défi pour celle-ci ne sera plus seulement constitué de frappes aériennes et de missions d’assassinat, mais d’un cheval de Troie agitant un drapeau blanc.
Faits marquants
Au moins 190 Palestiniens ont été tués par Israël depuis le début de l’année. 26 Israéliens ont été tués au cours de la même période.
Plus de 500 attaques de colons israéliens contre des Palestiniens en Cisjordanie ont été enregistrées depuis le début de l’année.
Les forces israéliennes ont effectué au moins 1 800 perquisitions et arrestations en Cisjordanie cette année.
Traduit par : AFPS