Issu d’une famille installée aux États-Unis depuis la fin du XIXe siècle, Jonathan Daitch se confie volontiers sur la façon dont il vit son identité : « Ashkénaze de Boston ». « Quand j’étais enfant, j’étais fier de glisser un peu de monnaie dans la boîte blanche et bleue que l’on trouvait partout dans les écoles juives : je contribuais par ce don à la plantation d’arbres sur la terre d’Israël. Plus tard, quand j’ai compris que ces arbres servaient à effacer les ruines des centaines de villages palestiniens détruits, j’ai eu honte ! ».

Nul besoin de chercher plus loin la fierté qu’il éprouve aujourd’hui, au moment où il publie Voix du théâtre en Palestine. C’est, pour lui, une forme de réparation, un hommage à la force et au courage de ce peuple qui subit le colonialisme sioniste. Et ses yeux brillent d’émotion quand il évoque les liens d’amitié qu’il entretient toujours avec la plupart des acteurs qu’il a rencontrés. « Je pense que le fait que je sois juif, et que je leur aie dit, a mis de la chaleur dans les relations. La plupart des Palestiniens sont hostiles au sionisme, pas aux juifs. Ils vivent depuis des siècles entre musulmans, juifs et chrétiens. Le racisme, c’est de l’autre côté ! ».
Jonathan a longtemps tenu la Palestine à distance : pas question d’aller cautionner Israël. Pas question non plus de faire le « voyeur » en Palestine. Mais, en 2007, installé en France, il rencontre Jean-Claude Ponsin, fondateur de l’Association des Amis d’Alrowwad, devenue depuis l’Association des Amis des Arts et de la Culture de Palestine (https://arts-culture-pales¬tine.org/). « Tu peux aller en Palestine donner des cours et installer un labo, a-t-il suggéré au vieil amoureux de la photographie que je suis. J’y suis allé pendant deux semaines. Et là, toute ma lutte intérieure contre le sionisme, jusqu’ici intellectuelle, est devenue concrète… Je me suis engagé pleinement. J’ai adhéré à France Palestine Solidarité, j’ai accompagné la troupe d’Alrowwad, servi d’interprète en France lors de la tournée Handala » …
Puis en 2012, en tant que « chauffeur/traducteur », il accompagne le Yes Theatre d’Hébron en tournée en France. Il recommence en 2014. C’est ainsi qu’a commencé l’histoire : « Ils étaient quatre, trois comédiens et un technicien. Une amitié s’est créée. Le livre est né avec eux. Ils m’ont convaincu qu’il était de mon devoir de montrer toute la richesse du théâtre palestinien. »
C’est ainsi qu’en 2015, Jonathan, 73 ans, fort de deux lettres d’introduction en arabe rédigées par Abdelfattah Abusrour, fondateur d’Alrowwad à Bethléem, et par Raed Alshyoukhi, cofondateur du Yes Theatre d’Hebron –, se met à arpenter la Palestine, photographiant et interviewant acteurs, metteurs en scène, administrateurs, comédiens et comédiennes. Il recommence, lors d’un second voyage en 2016. Il se sent alors « débordé » par la
richesse du sujet, et son projet initial (un livre de photographies commentées) se transforme. Il se lance dans une collecte d’informations complémentaires, consolide ses contacts et rédige, pendant cinq ans. Il aboutit enfin à ce qu’il considère comme un ouvrage collectif, fruit de l’intense investissement d’écriture et de mise en forme qu’il y a consacré.
En 2020, la question de la publication du livre et de son financement se pose, avec son cortège de contraintes et de difficultés. De nombreux contacts sont pris, le principe d’un financement participatif est retenu et, en juin 2021, une jolie cagnotte de près de 16 000 € permet d’envisager plus sereinement la sortie simultanée d’une version française – aux Éditions Riveneuve – et d’une version anglaise, intitulée Acting Out, éditée à Jérusalem Est, par l’Educational Bookshop.
Aujourd’hui, Jonathan Daitch et sa compagne, Marie-Renée Bourget – qui a largement contribué à l’aboutissement du projet – sont mobilisés sur la diffusion du livre, dans ses deux versions. Ils parlent avec émotion des contacts presque quotidiens qu’ils entretiennent avec les nombreux protagonistes palestiniens du livre. Ils disent aussi la fierté et la reconnaissance que ces derniers leur expriment depuis sa publication. Et Jonathan conclut : « Il ne faut pas voir les Palestiniens seulement comme des victimes qui ont besoin d’aide. Ils ont surtout besoin de liberté. Il y a une telle frustration, un tel besoin d’expression. C’est un théâtre très immédiat, lié à la vie quotidienne des gens. Les Palestiniens ont un esprit de débrouille, une force incroyable. Ils nous donnent une leçon d’humanité. »
Bernard Devin
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